Quelle réforme pour le Pacte de stabilité ? edit

19 mai 2010

L’accord conclu il y a dix jours à Bruxelles semble avoir été accueilli favorablement par les marchés. Malheureusement, il est trop tôt pour conclure que ce fut un succès. L’histoire monétaire jugera si ce fut une brillante initiative des gouvernements de la zone euro qui mit un terme à la spéculation, ou le premier pas sur la route glissante de la ruine.

Il semble en tout cas que la BCE achète désormais des obligations d’État issues dans la zone euro « pour assurer la profondeur et la liquidité dans les segments de marché en proie à des dysfonctionnements », tout en se tenant prête « à résorber les liquidités injectées ». Même s'il est difficile aujourd’hui de savoir exactement ce que cela signifie, on peut penser que la BCE achète des obligations émises par des États qui ont effrontément méconnu le pacte de stabilité et de croissance, tout en vendant des obligations émises par les autres. Si cette démarche peut être justifiée par la crise actuelle, elle donne de bien mauvaises incitations aux responsables politiques.

Mais plutôt que de débattre sur ce plan, il peut être utile de prendre du recul et de se demander quelles leçons nous devrions tirer de l'imbroglio actuel et quelles politiques pourraient être utiles pour éviter une répétition de cette crise. Trois leçons se dégagent.

Tout d'abord, ceux qui s'inquiètent depuis longtemps des risques graves que les déficits budgétaires excessifs et le niveau de des dettes publiques pourraient poser pour la stabilité monétaire et financière dans la zone euro avaient absolument raison.

Comme nous l'avons vu, une contraction brutale peut amener les États fortement endettés de la zone euro tout près du défaut de dette souveraine, même si, quand tout va bien, les dettes et les déficits semblent gérables. Le Pacte de stabilité et de croissance allait dans le bon sens, mais au bout du compte il s'est avéré inefficace. Les marchés financiers ont donné à ces développements une vitesse qui a surpris même les experts.

Deuxièmement, la règle de non-renflouement (no bail-out) du Traité de Maastricht n’était tout simplement pas crédible.

Ne pas soutenir la Grèce risquait de conduire ce pays à un défaut qui aurait pu déclencher une deuxième vague d'instabilité dans le secteur bancaire européen. La faillite de Lehmann, qui a déclenché la plus grande récession depuis les années 1930, montre trop bien que le défaut soudain d'un acteur important peut infliger d’extraordinaires dommages collatéraux. La règle de non-renflouement entrait donc en conflit direct avec l’objectif d’assurer la stabilité financière de la zone euro.

En troisième lieu, précisément parce que la règle de non-renflouement est inefficace, nous avons besoin d'un nouveau mécanisme, qui parvienne à limiter les déficits budgétaires en Europe.

Pour faire fonctionner le nouveau régime, il nous faut comprendre pourquoi l’ancien Pacte de stabilité et de croissance a échoué. Celui-ci supposait, à tort, que les États contrôlaient pleinement leurs recettes et leurs dépenses et qu'ils écarteraient les desiderata politiques de court terme au profit de la stabilité budgétaire à long terme.

En pratique, les équilibres budgétaires dépendent en grande partie du cycle conjoncturel. Les fortes récessions vont de pair avec une baisse des recettes fiscales et à l'augmentation des dépenses sociales. Compte tenu de cette incertitude, les gouvernements peuvent facilement dissimuler des dépenses dont les motivations sont d’abord politiques. Par ailleurs, il est devenu difficile de faire respecter le pacte quand les responsables politiques font valoir, à juste titre, que les déficits sont en grande partie dus à des circonstances échappant à leur contrôle. Enfin il existe beaucoup de possibilités de tenir une comptabilité « créative » et de se livrer à des transactions financières douteuses qui permettent de réduire les déficits reportés.

Le problème central avec le Pacte est que les limites qu’il dessinait n’étaient tout simplement pas crédibles. La forte différence de traitement entre un État responsable d'un déficit de 3,2% et un État dont le déficit est de 2,8% semble arbitraire et déraisonnable. Et puisque les États présentant des budgets en faible déficit savaient qu'ils pourraient facilement passer au-dessus des 3% si l'économie s'affaiblissait, il était difficile de recueillir un soutien politique pour faire appliquer les règles.

Pour se montrer efficace et rétablir la crédibilité, un nouveau pacte doit élever le niveau de transparence sur la façon dont les États respectent les règles. Cela doit conduire à faire vérifier les comptes nationaux par des experts non-politiques - une chose à laquelle l'Allemagne, la France, et d'autres se sont opposé, car elle implique une perte de souveraineté. Mais c’est précisément l’enjeu. La probabilité d'un examen externe de la politique budgétaire offrira d’excellents incitatifs aux les hommes politiques pour présenter des comptes bien tenus.

Un tel régime de transparence implique une séquence de seuils d’alerte, commençant bien en-deçà de la limite des 3% de déficit budgétaire fixée par le Pacte actuel. Chaque passage d’un seuil impliquerait un nouveau resserrement des exigences de transparence. Par exemple, un pays avec un déficit de moins de 1% de PIB pourrait être tenu de fournir des données détaillées à la Commission européenne. À 2%, il serait nécessaire de soumettre des plans d'assainissement budgétaire. À 3%, la Commission européenne enverrait des observateurs pour un suivi des comptes en temps réel. Le resserrement progressif vise à donner l'alerte suffisamment tôt avant que ne se déclenche la supervision budgétaire du Pacte de stabilité et de croissance.

Pour mettre en œuvre ce régime de transparence, un comité indépendant d'experts de la politique budgétaire devrait se voir confier la tâche de suivre l'évolution budgétaire dans la zone euro, d’examiner de près les justifications données par les États sur leurs déficits budgétaires, d'évaluer et de commenter publiquement les consolidations proposées.

Ce comité devrait être petit et gérable, avec un mélange d'experts juridiques, d’anciens ministres des Finances, de responsables des banques centrales, et d’universitaires de l'ensemble de la zone euro. Il devrait être pris au sérieux dans la sphère politique. Un conseil d'administration avec des membres avec des comme Mario Monti, Hans-Werner Sinn, Lucas Papademos, Peer Steinbrück, Charles Wyplosz et Paul De Grauwe serait un bon début.

Enfin, pour s’attaquer avec succès aux déficits budgétaires, il faut pouvoir montrer les dents. L’idée qui vient immédiatement à l’esprit de taxer directement les déficits budgétaires n'est pas crédible. Une taxe sur la partie de la dette publique excédant les 60% du PIB serait plus judicieuse. Comme l'a récemment suggéré Guido Westerwelle, cet impôt sur le déficit pourrait être mis en œuvre par retenue à la source des transferts de l'UE ou les subventions agricoles, ou par une surtaxe sur la TVA. Ce type de mesure obligerait les responsables politiques à dire la vérité et à tenir correctement leur budget avant les périodes de crise. De toute évidence, le Pacte de stabilité et de croissance n'a pas pu forcer la Grèce à nettoyer sa situation fiscale, ce qui était pourtant une condition essentielle pour entrer dans la zone euro.

Si les responsables politiques de l'UE et de ses États avaient fait preuve de plus de diligence en 2000, nous n'aurions pas les problèmes que nous faisons aujourd'hui. Si l'euro doit survivre à la décennie actuelle, ce qui vient d’arriver avec la Grèce ne doit plus se reproduire.

Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.