L’Amérique latine sous François Hollande: un tournant? edit

31 mars 2016

Le déplacement, en février dernier, du président François Hollande en Amérique latine – le quatrième depuis 2012 – semble conforter un tournant de notre politique étrangère. Depuis la visite historique du Général de Gaulle dans la région en 1964 et les actions politiques volontaristes menées durant le premier septennat de François Mitterrand, l’Amérique latine était, pour de nombreux analystes, « l’oubliée de la France ».

En effet, la proximité évidente qui existe avec cette région, qu’elle soit historique (l’expression « Amérique latine » fut créée à  Paris au XIXe siècle), linguistique (l’espagnol et le portugais sont des langues latines tout comme le français) ou culturelle (de nombreux artistes, intellectuels et politiques se réfugièrent en France durant l’époque des dictatures militaires dans la deuxième moitié du XXe siècle), ne s’est pas traduite jusqu’à aujourd’hui par l’élaboration d’une vision politique d’ensemble vis-à-vis de ce sous-continent. Sous la présidence Sarkozy, la place de l’Amérique latine dans l’agenda élyséen se résumait au Brésil et au Mexique. Avec le Brésil, malgré la proximité affichée des présidents, la réussite de l’initiative politique turco-brésilienne concernant le nucléaire iranien fut accueillie froidement par Paris, suscitant l’incompréhension et la méfiance entre les deux pays. Concernant le Mexique, l’affaire Florence Cassez empoisonna la relation bilatérale du début à la fin du quinquennat. De ce fait, l’alternance à la tête de l’État symbolisée par l’élection de François Hollande fut vivement applaudie de l’autre côté de l’Atlantique.

Pour la nouvelle équipe aux commandes, l’Amérique latine constitue donc une zone où un changement de ligne peut s’exprimer plus clairement. Tout d’abord, et malgré la chute des taux de croissance de ces dernières années, cette région représente un terrain d’action naturel pour la « diplomatie économique ». De nombreux pays désirent accroître leurs flux d’investissements étrangers. De leur côté, les grandes entreprises françaises sont durablement implantées dans la région et souhaitent améliorer leur accès aux décideurs. Le gouvernement nomme donc des représentants spéciaux et des conseils de haut niveau sont formés, qui rassemblent des entrepreneurs, des politiques et des membres de la société civile. En second lieu, l’échec, en 2009, du sommet de Copenhague a démontré, aux yeux du Quai d’Orsay, la nécessité d’obtenir le soutien non seulement des grands pays, mais aussi des pays en développement qui ont, par le passé, tenté de bloquer ou d’atténuer la portée des textes soumis aux parties. D’où le besoin de renforcer le dialogue politique avec l’ensemble des pays de la région afin de maximiser les chances de succès de la COP21, d’autant plus que la présidence de la COP20 a été assurée par le Pérou. Finalement, la France dispose en Amérique latine d’un important réseau de coopération éducatif, scientifique et culturel, que le gouvernement décide de préserver malgré les restrictions budgétaires.  

Afin d’expliciter ce « rapprochement durable avec l’Amérique latine », le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius publie une tribune en 2013, tout en étoffant les équipes du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du MAE. Toutefois, malgré ces prises de position volontaristes, malgré le déplacement du président dans la région à deux reprises dans le cadre de visites d’Etat (Mexique, Brésil), et la multiplication des visites ministérielles, certains exécutifs latino-américains restent sur leur faim en ce qui concerne la ligne politique adoptée par la France vis-à-vis de l’Allemagne concernant le débat européen sur l’austérité. Ils sont aussi déçus par l’attitude de la France dans l’épisode malheureux de l’interdiction de survol de l’avion du président Bolivien Evo Morales, soupçonné par les États-Unis de transporter clandestinement Edward Snowden. La France, de son côté, s’accommode mal des critiques de la présidente brésilienne concernant les « tentations coloniales » supposées de la France suite à l’opération Serval au Mali. Un quiproquo semble s’installer. Il révèle le besoin, pour la consolidation d’une politique latino-américaine d’envergure, d’une impulsion politique au plus haut niveau. C’est ce qui arrive en janvier 2015, lorsque Jean-Pierre Bel est nommé à l’Élysée. Profitant des liens étroits tissés à Cuba par l’ancien président du Sénat, le président Hollande prend l’initiative politique de voyager à La Havane avant tout autre chef d’État occidental, suite au rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis. Ce geste est rétribué par Raúl Castro, qui réalise en février 2016 la première visite d’État en France d’un président cubain depuis l’indépendance de l’île. Ces initiatives ne sont pas passées inaperçues dans les grandes chancelleries occidentales : tant Barack Obama que Matteo Renzi ont effectué depuis des déplacements en Amérique latine. La Chine, de son côté, pousse ses pions économiques. L’Amérique latine redevient un espace convoité.

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la visite du président au Pérou, en Argentine et en Uruguay. Ce déplacement, qui aurait dû avoir lieu en 2015 mais qui fut ajourné suite à l’attentat contre le journal Charlie Hebdo, a été maintenu afin de souligner cette initiative politique, à défaut de se  traduire par l’obtention de contrats d’envergure. La première étape de cette visite, au Pérou, visait à marquer la reconnaissance de la France vis-à-vis du Pérou pour son implication dans la COP21. Elle concrétisa le rehaussement de la relation bilatérale entre les deux pays. En Argentine, la visite avait pour but d’établir des contacts avec le nouveau gouvernement de Mauricio Macri. Finalement, le déplacement express à Montevideo (moins de 24h), la capitale uruguayenne, voulait traduire la bonne entente entre ces deux pays, et répondre à la visite du président Vázquez à Paris l’année dernière.

Que pouvons-nous retenir des annonces du président Hollande ? Nous pouvons souligner la création de l’antenne espagnole de France 24. Cette mesure vient en quelque sorte réparer une anomalie de l’audiovisuel extérieur de la France. L’Amérique latine est une région fortement dotée en groupes audiovisuels privés puissants. La langue espagnole est parlée par 500 millions d’habitants, et c’est l’une des plus utilisées sur les réseaux sociaux. C’est pourquoi CNN, Deutsche Welle, Al Jazeera, CCTV (Chine), et HispanTV (Iran) diffusent dans cette langue. Dans une région où le « soft power » est de mise, et où la France dispose d’un réel capital de sympathie, France 24 était la seule grande chaîne internationale à ne pas avoir de déclinaison espagnole. Si la question des moyens alloués à cette nouvelle chaîne subsiste – ce qui devra être tranché par les tutelles et le Parlement dans les mois à venir –, elle illustre cette volonté de replacer l’Amérique latine dans le radar de la France.