Et si Hollande avait raison de ne rien faire ? edit

29 mars 2013

L’interview de François Hollande s’est révélée intéressante. En matière économique au moins, il tâtonnait depuis son élection entre réalisme et fidélité à des promesses électorales étrangement déconnectées d’une situation économique plus inquiétante que jamais depuis 1945, en raison d’une dette publique à la limite du niveau qui déclenche une crise de première grandeur. Des tâtonnements, hélas, ne remplacent pas une stratégie. Près d’un an après l’élection, le Président sait-il maintenant où il va ? Il a décidé de ne rien faire en matière budgétaire. Curieusement, ce pourrait être une bonne idée.

Celui qui avait fait campagne contre l’austérité prônée par Merkozy a très rapidement viré de bord. Les hausses d’impôt se sont rapidement succédé et leurs effets, entièrement prévisibles, sont désormais parfaitement visibles. La France rechute dans la récession, le pouvoir d’achat du Français moyen baisse et le chômage continue de monter. La dette aussi car on peut taxer plus fort, mais si les revenus des particuliers et des entreprises baissent, les recettes fiscales n’augmentent pas. Un début de sagesse est arrivé en septembre avec la promesse de baisser les dépenses – que l’on contrôle, à la différence des recettes fiscales – de 10 milliards. Les esprits chagrins ont alors noté que : 1) ce n’est pas beaucoup, en tout cas pas assez ; 2) rien de précis n’est annoncé et donc ce n’est pas crédible. En effet, s’il est techniquement facile de couper les dépenses  publiques, politiquement c’est autre chose. Sans surprise, six mois plus tard, rien de substantiel n’est arrivé. Chaque groupe de pression a immédiatement signalé que les dépenses qui le nourrissent sont essentielles pour le peuple et la patrie. Touche pas à la santé, touche pas à l’Éducation nationale, touche pas à la sécurité, ni à la justice, ni à l’environnement. Ces derniers jours, on a même vu la gauche s’angoisser devant les coupes prévues en matière de défense, c’est dire si la situation était bloquée.

Alors le Président a administré la preuve de son habileté politique. On ne coupera pas les dépenses, sinon de manière symbolique grâce au mystérieux choc de simplification. Adieu l’austérité, bonjour la rigueur car, au moins, on n’augmente pas les dépenses et on ne baisse pas les impôts. Ne rien faire (de mal) est devenu une stratégie. Le plus surprenant, c’est que c’est une bonne idée. Bien entendu, face à une situation aussi désastreuse, il faudrait faire une bonne vieille relance budgétaire, mais c’est impossible car les marchés financiers paniqueraient immédiatement. Hollande avait identifié la finance comme son véritable ennemi, et il avait bien raison. Les marchés l’avaient à l’œil, pas lui personnellement, mais la France lourdement endettée. À la moindre incartade, Fitch, Moody’s et autres agences de notation (anglo-saxonnes, bien sûr) enlèveront quelques points et la France ressemblera à la Grèce. Coincé entre une austérité autodestructrice et une relance impossible, le Président a trouvé la parade qui évoque la figure tutélaire de Mitterrand et son inoubliable « ni-ni ». De fait, c’est ce que la France, et les autres pays dont la dette est excessive, peuvent faire de mieux. On sait bien qu’un pays qui se retrouve avec une dette trop élevée ne peut la ramener à un niveau confortable que très, très lentement, sur plusieurs décennies. Rien ne presse donc, et le faire à marche forcée en situation de récession et de chômage en augmentation n’a aucun sens économique. Remettre à plus tard le rétablissement des comptes publics est donc bel et bien la meilleure stratégie.

Oui, mais c’est une stratégie difficile et risquée. La première difficulté, c’est l’Europe, autrement dit la Chancelière Merkel. Très imprudemment, pour ne pas dire de manière insensée, la France s’était engagée à ramener son déficit à 3% en 2013 et 2,5% en 2014. Tout aussi peu raisonnablement, Hollande et Ayrault ont repris à leur compte cet engagement et martelé jour après jour leur totale détermination à atteindre ces objectifs. Maintenant que l’inévitable est devenu vérité officielle, il va falloir s’en expliquer face à une Chancelière qui est peu disposée à faire des cadeaux à son « ami François ». La Commission, qui est chargée de rappeler les gouvernements à leurs promesses, a déjà commencé à accorder des remises de peine d’un an aux pays vertueux, c’est-à-dire ceux qui ont fait tellement d’austérité que leurs économies sont asphyxiées. Mais cette largesse s’accompagne d’exigences renforcées pour que tout rentre dans l’ordre avec seulement un an de retard, ce qui est impossible avec la stratégie de l’inaction. De plus, à Berlin comme à Bruxelles, on  va profiter de cette situation de faiblesse pour demander des réformes structurelles peu compatibles avec l’exception française si brillamment défendue par Montebourg.

La deuxième difficulté, c’est la finance, bien sûr. Maintenir et prolonger les déficits signifie qu’il va falloir emprunter plus et plus longtemps. Pour cela, il faut trouver des prêteurs et ce ne peut être que les marchés financiers, à moins d’inviter à Paris la Troika dont la réputation n’est plus à faire depuis qu’elle a pris en main la Grèce, l’Irlande, le Portugal et Chypre. Moins bornés qu’on ne le croit, les marchés veulent voir de la croissance à court terme et de la discipline à long terme – ils viennent d’ailleurs de sanctionner la Grande-Bretagne pour cause d’austérité et de récession. Ils vont applaudir la stratégie de l’inaction, qu’ils préfèrent à l’austérité, mais ils vont vouloir des garanties en matière de croissance et de discipline. Pour la croissance, cela signifie des réformes structurelles (pauvre Montebourg). Le cœur de ces réformes, c’est le marché du travail. L’accord patronat-syndicat, s’il est adopté sans trop de dégâts par le Parlement, est un timide premier pas. L’idée, formulée par Hollande, d’atténuer les aspects désincitatifs des allocations de chômage, pourrait représenter un second pas, mais il en faudra beaucoup d’autres, plus courageux car plus difficiles politiquement.

La garantie d’un retour à la discipline budgétaire après la récession, nécessaire pour apaiser les marchés mais aussi pour éviter la banqueroute d’État, est la troisième difficulté. Cela passe par une baisse très substantielle réduction des dépenses publiques – de l’ordre de 150 à 200 milliards d’euros – car la fiscalité est désormais suffocante. Une promesse ne suffira pas, d’autant plus que la précédente, toute petite qu’elle était, a été abandonnée face aux pressions politiques. Le projet d’allonger la durée des années de cotisation avant la retraite va dans le bon sens et peut avoir des effets très substantiels, mais il ne vise qu’à réduire les déficits dans un futur éloigné. Il va falloir dresser une liste détaillée et chiffrée des coupes à venir, précisément ce qu’Hollande a voulu éviter.

On le voit, la stratégie de l’inaction est judicieuse aujourd’hui. Mais pour qu’elle soit faisable, elle doit être accompagnée par une promesse d’action particulièrement énergique dans les années à venir. Est-ce bien cela que le Président a en tête ?