Trois leçons sur la politique industrielle edit

5 mai 2010

Le processus de destruction créatrice joue un rôle crucial dans les gains de productivité et donc dans la croissance économique. De quelle façon précisément ? On ne peut esquiver cette question si, dans l’espoir de favoriser la croissance, on cherche à concevoir des politiques publiques de soutien aux entreprises innovantes.

La destruction créatrice se joue principalement sur deux fronts.

Le premier est la création et la commercialisation de nouvelles technologies, qui permettront le développement de nouveaux secteurs industriels. On observera à ce propos que les start-ups ne captent qu'une infime proportion des capitaux injectés chaque année dans l'économie mondiale. Seules 0,1% à 0,2% des start-ups américaines reçoivent chaque année des fonds en capital-risque, la principale source de financement de ces entreprises à forte croissance.

Le deuxième front de la destruction créatrice est l’amélioration des méthodes de production existantes, via la naissance d'entreprises plus productives et la fermeture d'entreprises peu productives. Une part substantielle de la croissance de la productivité provient de ce phénomène, plus que par les gains de productivité des entreprises existantes. Des recherches récentes montrent les avantages de la productivité des nouveaux entrants dans divers secteurs industriels, y compris pour des produits traditionnels comme le béton.

Un certain nombre d'études soulignent le rôle essentiel de l’entreprenariat pour la croissance économique. Mais les politiques soucieux de stimuler la croissance devraient accorder autant d'attention aux entreprises qui essaient de fabriquer de meilleurs parpaings qu’ils n’en accordent aux start-ups. C’est un premier point.

La capacité des marchés financiers à financer les entrepreneurs prometteurs semble essentielle. Des études transnationales montrent clairement que la puissance des marchés de capitaux est corrélée positivement avec des taux plus élevés de croissance économique. Tout ne serait donc qu’une question de financement ? Ce n’est pas si simple, et il est essentiel de comprendre comment les marchés financiers impactent la création d’entreprise et contribuent ainsi à augmenter la productivité. C’est ce que nous avons tenté de faire avec plusieurs études récentes, s'appuyant sur l’ensemble des micro-données fournies par les statistiques fédérales américaines (Census Bureau) sur les créations et fermetures d'entreprises.

Rappelons d’abord quelques faits. Tout d'abord, la grande majorité des nouvelles entreprises commencent très petites. Les données de la Longitudinal Business Database montrent que 75% des nouveaux entrants commencent avec moins de cinq salariés. Moins de 0,5% d’entre eux commencent avec une centaine d'employés ou davantage. Comme leurs principales sources de capitaux sont les crédits négociés auprès des banques, l'environnement concurrentiel et la structure organisationnelle des banques peuvent avoir des effets significatifs.

Ensuite, différentes études ont pointé les différences de productivité parfois considérables entre des entreprises très similaires, même au sein de secteurs industriels étroitement définis. L'écart-type de productivité entre différents établissements peut dépasser 20 points, et les technologies utilisées ne rendent pas compte de la totalité de ce différentiel, loin s’en faut. Autrement dit, des raisons propres à chaque entreprise déterminent quelles sont les sociétés qui vont connaître une croissance rapide de leur productivité… et quelles sont les autres.

Dans ces conditions, comment pourrait-on faciliter la réallocation des ressources en faveur des entreprises les plus productives ? Certains commentateurs et de nombreux politiques penchent pour un financement public direct. Ce type d’approche, qui consiste à « choisir les gagnants » et à leur allouer davantage de ressources, souffre de trois faiblesses.

Première faiblesse. Comme des facteurs idiosyncrasiques déterminent largement le développement et la survie des entreprises, ceux qui cherchent à « choisir des gagnants » ex ante risquent de manquer de précision dans leur évaluation. Les professionnels du capital-risque passent leur vie à travailler sur ces évaluations, et pourtant plus de 50% de leurs investissements ne sont pas rentables.

Deuxième faiblesse. Les facteurs non-financiers jouent un rôle important pour expliquer les choix des individus de devenir entrepreneurs. On a pu montrer aussi que plus on est riche, plus on est susceptible de monter une entreprise, parce qu'on ne sera pas confronté à la discipline d’un financement externe. Ce facteur explique le lancement trop fréquent d’entreprises qui n’ont en réalité guère de chances de survivre. En subventionnant les individus, on favoriserait le même type d’effet pervers, en encourageant l'entrée ou le maintien d’entrepreneurs moins talentueux, qui n'auraient pas pu obtenir de financement sur les marchés financiers formels.

L’attribution de subventions directes aux entreprises est aussi, trop souvent, un processus hautement politisé. Tout homme politique aime à annoncer que sa ville ou sa région accueillera le prochain cluster de biotechnologies. En fait, 49 des 50 États américains ont fait cette annonce, alors même que la plupart des activités de biotechnologie financée par capital-risque ont tendance à se regrouper à Boston et à San Francisco. Les efforts publics pour stimuler les start-ups innovantes ont tendance à échouer, parce que les décideurs ont du mal à annoncer la fin d’ « expériences » dont l’échec est pourtant avéré. Combien d'hommes politiques veulent-ils annoncer que leur idée n'a pas fonctionné ?

Troisième faiblesse. Enfin, et c’est l’une des leçons de notre étude, la hauteur des financements semble avoir un effet relativement faible sur la croissance des entreprises. Nous avons examiné les effets marginaux dans le contexte de la déréglementation américaine des succursales bancaires. Et nos travaux montrent que l’effet « taille des entrants » (et donc hauteur des financements) était relativement faible, comparé à l’effet « nombre d’entrants ». On peut en déduire que les subventions aux entreprises existantes ne sont sans doute pas le meilleur moyen de stimuler la croissance, même en imaginant que l’on puisse réellement choisir les meilleurs.

Tout le monde s’accorde à juger utile un soutien public aux entrepreneurs. Mais il est essentiel que ce soutien soit mis en œuvre de la façon correcte. Une approche consistant à choisir les gagnants ex ante a toutes les chances d'échouer. La très mauvaise performance des interventions politiques de ce type est avérée. Et la dynamique de développement et de survie des entreprises, telle qu’elle ressort de nos travaux, suggère les mêmes conclusions. Plutôt que de prétendre sélectionner les futurs champions des secteurs d’avenir, les décideurs politiques feraient mieux de concentrer leur action sur les nombreuses petites entreprises qui font de petites et de grandes améliorations de l'économie. Non pas en les noyant de subventions, mais en encourageant au niveau local la concurrence entre les banques et entre les bailleurs de fonds.

Par exemple, la dérégulation bancaire américaine a joué un rôle important dans la démocratisation de la création d’entreprise. L'effet le plus prononcé de la réforme a été l’augmentation massive du mouvement d’entrées et de sorties. Puisque la destruction-création exige beaucoup d'échecs pour quelques succès, et puisque les succès sont difficiles à identifier ex ante, la capacité des marchés de capitaux à favoriser l’entrée sur les marchés et l’expérimentation est une caractéristique importante de leur bon fonctionnement. On a pu montrer, ainsi, que dans les États ayant une législation plus sévère sur la faillite personnelle, les banques sont plus susceptibles de prêter aux petites entreprises ex ante, car la loi augmente leur capacité à se faire rembourser leurs prêts ex post, au cas où l'entreprise fait faillite.

Il serait en somme plus utile de faire porter l’effort sur la structuration des marchés financiers concurrentiels, capables de mieux soutenir les entrepreneurs. Il serait certes moins spectaculaire de « choisir le système financier gagnant » que de récompenser d’avance les futurs champions des nouvelles technologies, mais cela donnerait de meilleurs résultats pour stimuler l'esprit d’entreprise et ainsi la croissance. Ce ne sont pas les champions qu’il faut choisir, mais le système qui donnera les meilleures chances aux meilleurs.

Références

Kerr, W. & R. Nanda (2009a), “Democratizing entry: Banking deregulation, financing constraints, and entrepreneurship”, Journal of Financial Economics, 94(1):124-149.

Kerr, W. & R. Nanda (2009b), “Financing constraints and entrepreneurship”, NBER Working Paper 15498.

Kerr, W. & R. Nanda (2010), “Banking deregulation, financing constraints, and firm entry size”, Journal of European Economic Association, 8(2–3),582-593.

Une version plus développée de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.