C'est le moment de financer l'innovation ! edit

16 décembre 2008

La crise fait peur. Les pouvoirs publics se portent au secours de tout un chacun : les banques voire les compagnies d'assurance, puis les petites entreprises, puis les grandes entreprises aujourd'hui fragilisées (l'automobile...), sans oublier les ménages faillis ou surendettés. Si la crise est destruction créatrice, il serait grand temps de se préoccuper aussi des entreprises émergentes, encore plus difficiles à financer en ces périodes incertaines qui rendent les investisseurs bien plus prudents.

La crise doit être l'occasion de faciliter les restructurations et l'émergence de nouveaux acteurs productifs. Alors que des secteurs se sont révélés en surcapacité (secteur financier, secteur automobile en particulier), il est banal de souligner, à juste titre et conformément au message de Schumpeter, le rôle moteur de l'innovation dans la dynamique économique, tout particulièrement dans les périodes de crise. Les tirades sur ce thème se terminent en général par un plaidoyer appuyé en faveur des crédits alloués aux écoles, aux universités et aux centres de recherche. C'est assurément bienvenu mais forcément un peu convenu (notamment lorsque les plaideurs sont d'éminents représentants des milieux académiques !).

Il convient bien vite de compléter cela en rappelant l'urgence qu'il y a en Europe et particulièrement en France à soutenir les activités émergentes, celles qui utilisent beaucoup d'innovations aussi bien que celles qui en produisent. Il est de notoriété publique que les PME constituent le plus gros réservoir d'emplois. Mais ce n'est là qu'une vision statique. Il a été récemment documenté ("Recherche et entreprenariat : repenser l'innovation en Europe", septembre 2008) qu'il faut surtout porter attention aux entreprises émergentes, dont la petitesse ne saurait être l'apanage essentiel. Quelle vertu y-aurait-t-il à rester petit et à le revendiquer ? Les technologies émergentes sont portées par les entreprises émergentes. Entre les grosses banques (too big to fail) et les petites entreprises (small is beautiful), il faut faire de la place aux entreprises innovantes.

Pour cela, des politiques de long terme sont en général mises en avant. La politique des brevets est fondamentale : les entreprises émergentes ne font pas que produire de la technologie, elles se chargent aussi de l'utiliser plus abondamment y compris avec des brevets acquis. La fiscalité n'est pas non plus indifférente. Enfin, il est admis qu'un " Small Business Act " à l'Européenne devrait être adopté ou plutôt transformé en " New Business Act " réservant le bénéfice de ce type de mesures aux " jeunes " entreprises, plutôt qu'aux " petites ".

Mais de façon plus ponctuelle, et plus urgente, il serait utile de profiter de cette période d'interventionnisme bienveillant des pouvoirs publics pour traiter le sujet de l'accompagnement financier des entreprises émergentes. Pourquoi ne pas isoler et promouvoir une enveloppe financière à cette fin, dont les modalités d'octroi et de gestion strictement spécialisées garantiraient l'absence de déperdition ?

La modalité essentielle paraît devoir être une intervention sous forme d'acquisition de titres de dette subordonnée. C'est bien l'un des modes d'action privilégié de Warren Buffet ces derniers temps. Cela conforte les fonds propres. Cela n'implique pas d'ingérence dans la direction opérationnelle. Et cela permet de dégager pour l'apporteur de fonds un taux d'intérêt intégrant une prime de risque suffisante. En outre ces titres peuvent être assortis d'options de souscription des actions qui ne manqueront pas d'être émises dans le futur en cas de succès. Ce type d'intervention est plus facile à développer si les risques, certains, qu'il comporte sont mutualisés par un intervenant spécialisé et centralisé. En outre les titres acquis doivent pouvoir, à terme, être mis sur le marché par l'investisseur initial, ce qui permettrait de révéler la valeur de marché de la prime de risque de ce type d'opération. Enfin les dispositifs fiscaux d'aide à l'investissement sur les créneaux les plus risqués (FCDI) pourraient cibler particulièrement ce type de titres, sachant en outre que les investisseurs de long terme (fonds de pension et particuliers) retrouvent bien des vertus au rendement fixe, après avoir été échaudés par la volatilité des gains en capital.

Le problème de la gouvernance de ce type d'intervention n'est pas négligeable. Il existe bien sûr déjà des équipes impliquées dans le financement de telles activités. Mais il conviendrait que l'enveloppe dont il est question soit très strictement cantonnée et isolée afin d'éviter la dispersion et les effets d'aubaine. Il serait bon en outre que quelques critères d'octroi, stricts mais fort peu nombreux, soient clairement fixés a priori, tels que la durée maximale de vie de l'entreprise bénéficiaire et le type d'activité concerné. L'efficacité de ce dernier critère sera fonction de la clarté des objectifs de la politique publique d'innovation : celle-ci devrait plutôt fixer des orientations (ex : économies d'énergie) que cibler un objet innovant particulier (ex : moteur propre) trop facilement identifié a priori à un supporter patenté (ex : les constructeurs automobiles, dont les difficultés relèvent d'une autre problématique). Tout ceci plaide pour la mise en place d'un " guichet " ad hoc (le terme anglo-saxon d'" agence " serait plus noble mais s'accommode moins des pratiques françaises). Le pilotage et le contrôle de ses performances en seraient facilités. Une enveloppe initiale peut être mise à disposition de ce " guichet " soit directement par l'Etat, qui s'endette à due concurrence (mais avec une espérance raisonnable de gain moyen en retour), soit par le truchement d'émissions obligataires dédiées, garanties, au début de l'opération, par l'Etat ou tout autre hébergeur ou sponsor dudit " guichet ". A terme on peut imaginer laisser cette agence se financer librement (sans garantie) sur le marché, lequel sera appelé ainsi à exercer sa propre discipline sur cet intervenant.

Ce type de formule aurait l'avantage de stimuler l'initiative et le marché tout en garantissant un pilotage effectif. Il laisse les initiatives se déclarer en préservant une approche a priori agnostique dans la sélection et le traitement des dossiers. Le marché est appelé à valoriser les titres, dès que possible. On garantit ainsi une grande transparence et une grande publicité à ce type d'interventions. La tutelle publique bénéficie d'outils de pilotage simples : elle peut s'astreindre à une révision périodique des critères d'octroi, compte tenu de l'examen ex post des dossiers sélectionnés et de l'évolution de ses priorités.

Une telle mesure est relativement simple à concevoir et à mettre en place. Son principal défaut est de ne pas disposer de suffisamment de soutiens en termes d'économie politique. Les bénéficiaires potentiels sont en devenir et n'ont guère de temps à consacrer au lobbying. Quant aux responsables politiques, il est pour eux plus facile d'appeler en recours d'anciennes gloires de l'innovation, fussent-elles expatriées, que de prendre dans les filets de l'action publique les innovateurs de demain, qui risquent quant à eux de s'expatrier.

On peut aussi objecter qu'il serait bien mieux de compter sur une initiative européenne en la matière. Certes, mais l'expérience nous prouve que l'Europe actuelle n'est pas toujours un exemple de rapidité, de définition précise des objectifs publics et de gouvernance transparente. Bien sûr l'idéal serait que la présidence française impose ce type d'approche. Cela n'en sera que plus facile si elle est testée rapidement en France. Au pire cela ne coûte pas grand-chose. Au mieux, c'est l'avenir que l'on aide à forger.