Obama est une marque, les États-Unis restent une puissance edit

1 décembre 2009

On semble très souvent considérer comme acquis le fait que le monde serait devenu multipolaire et que l’administration Obama s’en accommoderait fort bien. Or ces deux hypothèses sont pour le moins contestables. Le monde n'est que très imparfaitement multipolaire et la diplomatie américaine ne cherche guère à le promouvoir.

Il ne fait guère de doute que sur le plan matériel, l’ordre mondial tend à devenir de plus en plus multipolaire. La disparition du G7 au profit du G20 en est la meilleure illustration. Les difficultés croissantes que les pays occidentaux rencontrent face par exemple la Chine pour lui imposer une réévaluation de sa monnaie montrent bien le formidable déplacement des sources de création de richesses vers l’Asie. De sorte qu’il existe aujourd'hui quatre grands pôles économiques (États-Unis, Europe, Chine, Japon) suivis de très loin par l'Inde, le Brésil et la Russie. Mais il faut par exemple se rendre compte que le PIB russe représente 1 % seulement du PIB mondial contre 22 % pour le PIB américain. On est donc très loin d'une multipolarité économique où les différents pôles auraient une puissance équivalente. De surcroît, puissance économique et puissance politique sont loin d’être mécaniquement corrélées.

Sur le plan stratégique, il y a une superpuissance militaire qui dépasse très largement toutes les autres (États-Unis), une puissance montante (Chine), une puissance qui vit essentiellement sur son passé et ne parviendra à maintenir son rang que si ses ressources énergétiques lui permettent (Russie) et une infinité d'acteurs d'envergure moyenne dont la capacité de projection reste encore très faible. La Turquie, Israël, l’Indonésie le Pakistan, l’Arabie Saoudite sont parmi bien d’autres acteurs des Etats qui comptent énormément sur la scène mondiale surtout lorsqu’ils se trouvent au cœur d’enjeux régionaux de première importance. Or, rien n'indique que l'on se dirige vers une multipolarité stratégique, car en dehors de la Chine qui en a la volonté et les moyens et la Russie qui en a la volonté mais pas forcément les moyens, on ne décèle aucun véritable aspirant à la puissance mondiale.

Certes, le Brésil ou l’Inde se renforcent militairement. Mais leur ambition stratégique restera régionale encore très longtemps. Mais même sur le plan régional, un acteur dominant n’est pas nécessairement capable d’imposer ses vues à l’ensemble de ses partenaires. L’échec du sommet de l’Amazonie initié par le Brésil montre que ce dernier est loin d’être le seul maître du jeu latino-américain. Cette observation vaut pour la plupart des régions du monde. Il y a bien sûr des acteurs beaucoup plus puissants que d’autres, mais cela ne leur confère pas une autorité mécanique sur les autres dans un espace mondial décidément la puissance est de plus en plus fragmentée.

Cette réalité complique à l’évidence la tâche des États-Unis sans rendre pour autant plus facile celle des autres acteurs. Elle leur donne par ailleurs de nouveaux atouts quand sur le plan régional apparaissent des acteurs perçus à tort ou à raison comme des sources de menaces. Face à la montée en puissance de la Chine, la dépendance stratégique du Japon vis-à-vis des États-Unis ira en s'accroissant quelles que soient les difficultés conjoncturelles que connaissent les relations nippo-américaines.

Le même schéma vaut pour l'Europe confrontée au défi russe. L'Europe est la seule région du monde qui refuse d'accroître ses dépenses militaires, comme si les Européens avaient une fois pour toutes décidé de sous-traiter leur défense aux États-Unis. Enfin, même dans les situations où les États-Unis se trouvent en difficulté (Afghanistan, l’Iran) en est frappé de voir qu’aucun autre grand État au groupe régional n’est en mesure de proposer une stratégie de sortie de crise différente de celle des Américains. Au niveau européen il n’existe à peu près aucune concertation politique sur le sujet et une incapacité tout aussi grande à peser sur le choix américain sinon en résistant aux pressions de Washington pour envoyer de nouveaux soldats. Nicolas Sarkozy justifiait il y a de cela à peine un an la nécessité de renforcer l’engagement militaire de la France dans ce pays au nom de la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, il déclare refuser d’envoyer un seul homme supplémentaire dans ce pays. Que fera-t-il demain quand Washington lui demandera d’accroître ses troupes de 1500 hommes supplémentaires ?

La jalousie presque maladive que le président de la république semble d’ailleurs nourrir vis-à-vis de M. Obama est très révélatrice de la diplomatie française et européenne en général. Le président Sarkozy est d’abord et avant tout soucieux de se faire reconnaître comme un interlocuteur privilégié des États-Unis en profitant notamment de l’affaiblissement britannique et de la faible empathie de M. Obama pour l’alliance anglo-américaine. Mais son premier réflexe est d’abord et avant tout national. À sa décharge, il faut admettre que les autres Européens n’agissent pas autrement. Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi les États-Unis se feraient du souci quant à l’émergence d’un pôle européen autonome.

On ne voit donc pas pourquoi Washington accepterait une structuration « multipolaire » de l'ordre mondial alors que sur les trois plans que nous indiquons, ils continuent à disposer d'un avantage sensible sur tous les autres acteurs. On comprend donc pourquoi l'administration Obama préfère parler de multi partenariats plutôt que de multipolarité.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser cette différence est loin d’être sémantique. Elle signifie en réalité que les États-Unis vont jouer sur différents registres en fonction de leur intérêt à associer ou pas des acteurs extérieurs à leur stratégie. Sur certains dossiers comme l’Irak ou le conflit israélo-palestinien par exemple ils continueront à être l’interlocuteur quasi exclusif du régime de Bagdad (unilatéralisme). Sur d’autres ils joueront la carte du G-2 avec Pékin (environnement). Sur l’affaire iranienne ils se situeront dans une logique de P-5 (conseil de sécurité), sur l’affaire afghane ils mettront en avant l’OTAN. Les États-Unis ont bien compris qu'ils ne pouvaient plus dominer le monde à leur guise et que l'écart qui le séparait des autres s'est réduit. Ils ont donc besoin du reste du monde pour maintenir leur prééminence et non pour la dissoudre.

En réalité nous sommes dans un monde où il existe trois agendas planétaires : l'agenda stratégique qui continue à être massivement dominé par les États-Unis, l'agenda économique qui est pour sa part plus largement réparti et l'agenda climatique ou les États-Unis sont clairement sur la défensive. Ce que l'administration Obama cherche à faire sera de rester au cœur du jeu mondial en faisant de la place aux autres tout en veillant à prévenir soit la constitution d'une coalition qui pourrait sur un dossier particulier lui forcer la main comme vient de le prouver la Déclaration de Singapour (changement climatique), soit d'un challenger qui voudrait prendre leur place (Chine). Naturellement la structure du système international est par définition évolutive et la seule volonté des acteurs ne suffit pas à geler le jeu. Mais on aurait tort de sous-estimer l'influence américaine après l'avoir exagérément surestimée et encore plus tort de penser qu'ils ont renoncé à rester les maîtres du jeu. Si M. Obama est une marque, les États-Unis restent une puissance.