En Colombie, la paix est encore loin... edit

4 janvier 2006

La France s'est engagée avec la Suisse et l'Espagne dans une négociation avec le gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) en vue d'un " accord humanitaire ". Après l'adoption durant l'été 2005 d'une loi qui fournit un cadre légal pour la démobilisation des paramilitaires, s'achemine-t-on vers une paix négociée en Colombie après plus de quarante ans de guerre civile ? Il est malheureusement permis d'en douter.

L'objectif initial est modeste puisqu'il concerne la libération de 59 otages " politiques " retenus par les FARC. Parmi eux, Ingrid Betancourt : ancienne candidate à la présidence colombienne et citoyenne française, capturée en 2002. Pour comprendre pourquoi les chances de succès de cette première étape, même peu ambitieuse, sont faibles, il convient d'examiner la situation des trois parties impliquées.

En premier lieu la France est dans une situation difficile en Colombie. Les efforts du gouvernement français pour faire libérer Ingrid Betancourt ont beaucoup irrité en Colombie. L'épopée tragi-comique en 2003 d'un avion français envoyé dans la jungle Brésilienne pour récupérer l'otage franco-colombienne s'est faite sans aucune consultation avec la Colombie qui a perçu cette tentative maladroite comme une ingérence dans ses affaires intérieures. L'insistance de la France à vouloir négocier avec les FARC contre la politique officielle du président Alvaro Uribe a créé des tensions entre les deux gouvernements. A trop vouloir faire pour libérer une amie personnelle de Dominique de Villepin, la France s'est retrouvée en porte-à-faux et accusée de se faire manipuler par la guérilla colombienne. Dans ce contexte, une négociation multipartite offre une porte de sortie honorable à la diplomatie française. Une telle position de faiblesse n'est toutefois pas la meilleure des positions pour servir de médiateur.

L'acceptation de cette négociation par le gouvernement colombien a surpris nombre d'observateurs. Dans le cadre d'un règlement étape par étape du conflit colombien, le sort des paramilitaires est encore loin d'être réglé et il paraît prématuré de se tourner si vite vers la guérilla. A moins bien sûr qu'il ne s'agisse d'un " écran de fumée " ou d'une diversion dans le cadre des négociations avec les paramilitaires. Cette initiative à un coût minimal pour le gouvernement qui ne laisserait à la guérilla qu'une zone de 180 km2 (contre 42.000 lors de la précédente négociation en 1998). Pour le président Uribe, cette concession mineure permet de garder l'initiative et promouvoir l'image d'un " homme de paix " en période préélectorale. En cas d'échec, il suffira de revenir à une ligne dure en disant qu'on aura tout essayé et tout candidat partisan d'une attitude plus conciliante avec les FARC pourrait être facilement discrédité comme le candidat de la guérilla.

Dans la situation actuelle, on voit mal le gouvernement colombien échanger 500 guérilleros, combattants et chefs de guerre, contre 59 otages qui, en dehors de trois américains, n'ont qu'un intérêt stratégique limité. Les fuites dans la presse de certaines propositions faites aux FARC en décembre avant même de connaître leur réponse augure mal de la volonté à négocier du gouvernement colombien.

Et les FARC ? Ce mouvement n'est encore vu comme une force politique bienfaisante et crédible que dans certains milieux intellectuels français alors qu'en Colombie ils sont unanimement détestées et identifiés à un groupe criminel et mafieux, ce qui n'exclut d'ailleurs pas la possibilité de négocier avec elles. Comme les paramilitaires, les FARC pourraient négocier la paix contre l'impunité afin de pouvoir jouir de leur richesse mal acquise. Par ailleurs, même si les FARC se comportent de façon criminelle, elles conservent un objectif politique. Les profits de leurs activités sont entièrement réinvestis dans la lutte armée. Quant à ses dirigeants malgré leur comportement abject aucun n'est connu pour ses dépenses ostentatoires, à la différence des mafieux colombiens traditionnels.

Les FARC resteraient donc un mouvement politique. Le fait qu'elles soient devenues totalement autistes et ne puissent plus séparer le bien et le mal ne rend que plus difficile la négociation. A ceci s'ajoute que " l'opération patriote " qui cherche à vaincre militairement les FARC semble avoir atteint ses limites. Après une baisse rapide des attaques des FARC entre 2002 et 2004, le chiffre sur les six premiers mois de 2005 est resté stable, proche de son niveau moyen dans les années 1990. Autrement dit, les FARC ont été contenues militairement mais elles sont encore loin d'être vaincues. Enfin, la perspective d'un abandon des armes pour un engagement politique fait sans doute peur aux FARC après le précédent du M19 à la fin des années 80 : suite leur retour à la vie civile les leaders du M19 ont presque tous été assassinés...

Ni vainqueurs, ni vaincues, et enfermées dans leur logique de terreur et de peur, les FARC sont peu crédibles pour conduire des pourparlers de paix. La récente attaque des FARC contre l'armée le 27 décembre et leur fin de non-recevoir au président Uribe début janvier ne font pas partie d'une tactique de négociation mais doivent malheureusement être prises au premier degré. Le règlement du conflit colombien n'est pas pour demain.