VIH: il faut diversifier les approches edit

6 décembre 2019

Si les outils pour mettre fin à la pandémie du VIH existent depuis plusieurs années, en 2019, la fin du VIH n’est pas en vue ; en fait, la pandémie continue de s’aggraver au niveau global. Bientôt plus de 40 millions de personnes vivront avec le VIH à travers le monde. Et ce malgré les progrès constatés notamment dans la poursuite de l’objectif de la « cascade » de l’ONUSida : 90% séropositifs dépistés - 90% de ces dépistés mis sous traitement - 90% des cas traités atteignant le stade non contagieux.

Dans les pays qui tardent à mettre en place des politiques publiques volontaristes d’accès aux antirétroviraux comme la Russie, certains pays d’Europe de l’Est ou les pays musulmans, le nombre de nouvelles contaminations augmente sans cesse. Quant aux pays qui luttent depuis plusieurs années contre des niveaux élevés de personnes vivant avec le VIH comme en Afrique (australe tout particulièrement) au mieux ce chiffre reste stable mais toujours très élevé. Mais également préoccupant, le nombre de contaminations ne baisse plus ou encore trop peu dans des pays résolument engagés contre la maladie comme la France et qui obtiennent pourtant de très bons résultats dans la couverture des traitements.

L’agence Santé publique France estime en effet à 24 000 environ le nombre de personnes vivant dans notre pays avec le VIH sans le savoir (ce que l’on appelle des « populations cachées »). Cet organisme officiel dénombrait 6424 personnes qui avaient découvert leur séropositivité en 2017 : 3600 (56%) contaminées lors de rapports hétérosexuels, 2600 (41%) lors de rapports sexuels entre hommes et 130 (2%) par usage de drogues injectables. La baisse du nombre de contamination ne s’est poursuivie que dans le groupe relativement restreint des usagers de drogues (sans doute grâce au renforcement de la politique de mise à disposition gratuite et sécurisée de matériel d’injection jetable).  

Car pour réduire drastiquement le nombre de contaminations, traiter reste insuffisant sans prévention bien en amont. Informer sur les risques et dépister à grande échelle (à la fois en nombre de personnes testées et en répétitions périodiques du test pour chacune d’elles) doit devenir également une priorité. Mais, outre les éternelles questions budgétaires, plusieurs difficultés de différents ordres se cumulent aujourd’hui.  

D’une part, on observe une certaine dédramatisation du VIH qui s’accompagne d’une baisse significative de l’usage du préservatif. Cela a pour conséquences négatives non seulement un regain de contaminations au VIH, contrebalançant les bénéfices de l’extension des personnes sous traitements, mais encore une résurgence majeure des autres IST (infections sexuellement transmissibles). Les cas dépistés en ont été multipliés par trois depuis 2012 : en 2016 environ 270 000 infections aux chlamydiae, 50 000 blennorragies (ou gonorrhée) et 14 000 syphilis.  

D’autre part, si la mobilisation des populations homosexuelles frappées de plein fouet par le sida au début de la pandémie dans les années 80, a eu une efficacité remarquable dans la lutte contre la maladie,  la constitution d’une « communauté gay » a également eu des effets négatifs inattendus. Ainsi, tandis qu’un grand nombre d’homosexuels accédaient aux test et aux traitements salvateurs, certains, rejetant cette conception communautariste et activiste soit se trouvaient de fait éloignés de l’information nécessaire, soit s’y opposaient résolument, en adoptant même de façon provocatrice des comportements à risques.

Enfin,  la recherche épidémiologique a eu tendance à penser exclusivement en termes mathématiques de « coût/efficacité » et de grandes catégories essentialisées des populations potentiellement les plus susceptibles d’être contaminées. Les méthodes les plus utilisées pour toucher les populations qui ignorent leur séropositivité ont donc principalement été de type  Respondent Driven Sampling qui procède à partir d’un contact de départ pour toucher de proche en proche des personnes partageant modes de vie et de sociabilité. Certes, cela a donné de très bons résultats notamment parmi les travailleurs/euses du sexe, ou dans le tissus communautaire des villages d’Afrique.

Mais  pour des personnes isolées ou sans liens connus entre elles cette méthode d’information dite « boule de neige » n’est pas adaptée pour les amener au dépistage, que ce soit dans les villes surpeuplées des pays du Sud ou les pays du Nord. Ces populations peuvent alors être qualifiées de personnes « à risque ignoré ». Or l’évaluation du risque que l’on court personnellement et que l’on peut faire courir à autrui, est un élément fondamental dans le changement des pratiques et notamment dans la prise de décision de se faire dépister. Ainsi en est-il souvent des hommes bisexuels qui sont des transmetteurs de l’infection d’autant plus dangereux qu’ils ne se vivent pas a priori comme un groupe à risques, et pour les femmes ignorant cette sexualité multiple de leur partenaire.  

Pour prendre en compte toutes les catégories de populations cachées, il est donc d’une grande importance à la fois de comprendre l’hétérogénéité des risques et de faire preuve d’imagination pour toucher chaque individu dans sa singularité. Pour ce faire, la pluridisciplinarité à la fois vantée mais difficilement mise en œuvre par le milieu de la recherche médicale, doit impérativement être promue. Car le décentrement et la rupture par rapport à la routinisation des méthodes sont indispensables. 

La France pourrait en être le fer de lance d’une part grâce à sa culture universaliste articulant libre pensée et libre disposition de son corps. D’autre part parce que le profil épidémiologique du pays fait ressortir nettement l’existence de ces groupes hétérogènes de populations cachées et notamment les femmes de plus de 50 ans qui sont depuis les années 2000 de plus en plus nombreuses à être testées positives et souvent à un stade avancé de la maladie, ou encore ce nombre croissant d’hétérosexuels des deux sexes, nés en France pratiquant une sexualité libre souvent pluraliste. Enfin parce que la France peut se doter des moyens nécessaires à la prise en charge sur son territoire des populations migrantes très touchées par le VIH.

Des campagnes innovantes de dépistage du VIH et des autres IST en expansion pourraient être imaginées à partir des différents lieux fréquentés par ces populations très diverses. Les dépistages gratuits et sans ordonnances devraient y être généralisés et l’information diffusée vers tous les publics. Et bien sûr l’ensemble du corps médical doit être remobilisé pour proposer de façon bien plus fréquente, au plus proche de la population, prescriptions d’analyses et autotests gratuits.