La protection de l’emploi, un frein à la croissance? edit

15 janvier 2008

Une étude récente de l'INSEE amène à réviser de moitié le décompte des flux de création et de destruction d’emplois en France. Cela repose la question de l'influence de la protection de l'emploi sur le dynamisme économique.

La protection de l’emploi occupe une place à part parmi les causes avancées par les pourfendeurs de la réglementation du marché du travail, pour expliquer la montée du chômage dans les années 1970 et son maintien, depuis, à des niveaux élevés dans certains pays d’Europe continentale. La générosité des allocations-chômage, un niveau élevé des prélèvements sur les salaires ou des salaires négociés par les syndicats tendraient à accroître le chômage.

En fait, les conséquences d’une forte protection de l’emploi, par exemple sous la forme de coûts élevés de licenciement, sont théoriquement ambigus. Si la protection de l’emploi, en renchérissant le coût du travail, a un impact négatif sur les créations d’emploi, elle diminue aussi, c’est une de ses fonctions essentielles, les licenciements, et donc les entrées dans le chômage. De fait, les études empiriques ne parviennent pas à dégager un effet robuste de la protection de l’emploi sur le chômage, ni à la hausse, ni à la baisse. Certes, la protection de l’emploi s’est accrue dans les années 70 en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en France et en Suède, mais la plupart des pays européens avaient déjà une protection largement supérieure à celle des Etats-Unis dans les années 60, période où le taux de chômage était plus élevé outre-Atlantique.

En revanche, ce qui ne souffre aucune ambiguïté, c’est l’impact de la protection de l’emploi sur les flux de créations ou de destructions d’emploi : la protection diminue ces flux. En théorie, mais pas en pratique, du mopins jusqu'à une date récente. Jusqu’à présent, en effet, les spécialistes du marché du travail relevaient qu’environ 15% des emplois étaient créés et détruits chaque année, aussi bien aux Etats-Unis, où la protection de l’emploi est pratiquement inexistante, qu’en France, où elle est élevée. Un tel constat est incompatible avec les thèses selon lesquelles la protection de l’emploi limite les licenciements, exerce un effet sclérosant sur l’économie et / ou conduit, par une nécessité de contournement, à une dualité croissante du marché du travail au détriment des moins qualifiés. De plus, ce fort taux de rotation des emplois serait le signe que le mouvement de destruction créatrice au cœur de la croissance schumpetérienne est à l’œuvre.

Comment expliquer ce paradoxe ? L’une des explications les plus intéressantes a été proposée par Giuseppe Bertola et Richard Rogerson dans un article de 1997. Elle repose sur l’impact de la compression des salaires. Lorsque les salaires sont rigides (c’est-à-dire ne baissent pas assez en cas de chocs défavorables et ne augmentent pas assez en cas de chocs favorables), la variable d’ajustement face aux évolutions conjoncturelles devient l’emploi. Ainsi la rigidité des salaires joue un rôle opposé sur les flux d’emplois à celui de la protection de l’emploi. Or, les pays qui protègent davantage le marché du travail sont très souvent ceux qui ont une forte centralisation des négociations salariales, et des rigidités fortes en matière de salaires. Au final, selon cette thèse, l’impact de la protection sur les flux d’emplois serait donc masqué par celui dû à l’inertie des salaires.

L'étude récente de Claude Picart de l’INSEE permet, si elle est confirmée par les recherches futures, de fournir une explication décisive à ce paradoxe. Les données exploitées jusqu’alors conduisaient à une comparaison fallacieuse des flux d’emplois entre la France et les Etats-Unis, car le suivi longitudinal des établissements était insatisfaisant dans les études sur la France. Cela signifie que des flux artificiels étaient comptabilisés lorsqu’une entreprise changeait de nom, était rachetée ou encore en cas de restructuration interne. Les chercheurs avaient bien sûr souligné que les comparaisons internationales étaient délicates en raison de différences méthodologiques. Mais ils n’avaient pas relevé ces différences liées à la démographie des entreprises et n’avaient certainement pas envisagé que ces problèmes de méthode puissent avoir un tel impact.

Car l’étude de Claude Picart révèle que la prise en compte du suivi des établissements conduit à réviser de moitié le décompte des flux d’emplois en France. En conséquence, le taux de créations / destructions d’emplois serait d’environ 7% à 8% en France, contre 15% aux Etats-Unis. Il serait même inférieur à 5% pour les entreprises de plus de 20 salariés. Toutefois, l’interprétation de l’ampleur des flux agrégés comme reflétant simplement l’effet de la protection de l’emploi est sans doute exagérée. Le taux de rotation varie beaucoup d’un secteur à l’autre : il serait 20 fois plus élevé dans l’audiovisuel que dans le nucléaire. Or, la structure sectorielle de l’emploi est assez différente entre la France et les Etats-Unis, avec une part plus importante des services aux Etats-Unis, secteurs où les taux de rotation sont élevés. A ce stade, la contribution de la composition sectorielle sur les flux d’emplois comparés entre pays n’est pas connue.

Il reste que la protection de l’emploi jouerait bien son rôle : elle amortirait les chocs de court terme, mais ralentirait les ajustements nécessaires à long terme. Si l’étude de l’INSEE était corroborée, elle constituerait une avancée majeure pour valider notre compréhension du fonctionnement du marché du travail en cohérence avec les formalisations théoriques qui constituent la boîte à outils des économistes. Il s’agit d’un préalable nécessaire à l’analyse normative de la protection de l’emploi.