«Enfin, c’est fini!» edit

15 décembre 2019

Le résultat final des élections générales au Royaume-Uni correspond à peu près aux indications données dès le début par les sondages. Elles ont été gagnées haut la main par les Conservateurs, remportant 365 sièges et 43,6% des suffrages exprimés, leur meilleur résultat depuis 1987, et une majorité absolue de 80 sièges. Par contraste, le Labour a subi sa pire performance depuis 1935, avec 203 sièges et 32,2%, Jeremy Corbyn réalisant l’exploit de faire pire encore que le désastreux résultat de Michael Foot en 1983 ! Les Libéraux Démocrates ont perdu leur leader, Jo Swinson, qui a démissionné de son poste de dirigeante du parti ; ils ont remporté seulement 11 sièges et 11,5% des voix. Le Brexit party n’a pas eu un seul siège et les Verts n’en ont gagné qu’un seul. Les anciens Conservateurs qui se présentaient comme indépendants ou Libéraux Démocrates ont échoué malgré un soutien notable des électeurs. Trois sièges ont été obtenus par d’autres candidats et la participation a légèrement reculé par rapport à 2017 (67,3%).

La campagne a connu une personnalisation de type présidentiel, Johnson et Corbyn étant omniprésents sur les médias et dans la rue. Cependant, aucun n’impressionna beaucoup. Ce fut une campagne triste où Johnson répéta son mantra, « Get Brexit Done », promettant aux électeurs travaillistes du Nord et des Midlands une augmentation des investissements pour les écoles et le service de santé. Corbyn et le Labour ont mis en avant leur programme en faveur d’un changement radical qui échoua à convaincre les électeurs de sa viabilité, voire de sa désirabilité. L’échec personnel de Corbyn pour convaincre les gens de ses qualités de leader mais aussi les allégations d’antisémitisme à l’intérieur du parti ont également miné la position du Labour. Les Libéraux Démocrates et leur promesse de révoquer l’article 50 n’ont pas réussi à persuader les électeurs des circonscriptions qu’ils espéraient gagner de leur donner une majorité à l’exception d’une seule.

Les partis nationalistes ont fait des scores variables. Le Parti nationaliste écossais (SNP) a récupéré des sièges perdus en 2017 et remporté 48 des 59 sièges à pourvoir en Écosse. En Irlande du Nord le Sinn Fein a gagné des sièges au dépens du DUP, créant désormais un équilibre entre les 8 sièges du DUP et les 7 du Sinn Fein. Au Pays de Galles, le Plaid Cymru a gagné quatre sièges.

La campagne

L’enjeu central des élections était-il le Brexit ou le Service de santé ? Dans le premier cas, les voix des partis favorables au Remain ont dépassé celles des partis favorables au Brexit. Dans le second cas, les projets de dépense des conservateurs, relativement modérés, ont été jugés plus crédibles que ceux, plus dépensiers, du Labour et des Libéraux Démocrates. Dans ces élections, les plus importantes depuis la guerre, la campagne a été, de mémoire d’électeur, probablement l’une des pires. À partir du moment où les Conservateurs parvenaient à convaincre les électeurs qu’ils feraient le Brexit, ils devaient éviter toute erreur et garder leur leader sous contrôle. Le parti devait donc se tenir à couvert. Ce que les Conservateurs firent parfaitement à part quelques hoquets de la part de Boris Johnson. Par contraste, le Labour colla toujours à sa promesse d’un nouvel accord de Brexit, d’un second référendum et d’un programme radical (de grandes dépenses d’investissement, la renationalisation des chemins de fer et des compagnies des eaux et l’augmentation des dépenses en matière de santé, d’éducation et de logement). Ce programme fut surtout exposé par Corbyn qui, tout en insistant sur ses aspects positifs, échoua à en défendre les aspects négatifs (son coût) et à contrer les critiques exprimées à propos de l’antisémitisme au sein du parti et du manque de clarté sur le Brexit. Il échoua également à prendre l’avantage dans ses attaques sur le bilan des gouvernements conservateurs passés. Les Libéraux Démocrates firent tout pour persuader les électeurs que le maintien dans l’UE était la bonne politique à suivre, échouant misérablement. Les nationalistes écossais concentrèrent leurs efforts sur leur position du Remain (l’Ecosse vota très largement Remain au référendum de 2016) et leur souhait d’un second référendum sur l’indépendance. Au vu des résultats, cette ligne a connu un grand succès.

Ce sont les Travaillistes qui ont souffert le plus, les Conservateurs ayant progressé à leurs dépens, notamment dans les anciens bastions travaillistes du Nord et des Midlands dont nombre d’entre eux avaient voté en 2016 en faveur du Leave. Les Travaillistes ont perdu des sièges qu’ils avaient tenus depuis cinquante années ou plus. Leur soi-disant « Mur rouge » dans ces terres fut bel et bien abattu par les Conservateurs et Boris Johnson souhaita la bienvenue à ses nouveaux électeurs dans son discours de victoire. Il a promis qu’il ne les laisserait jamais tomber, leur accordant qu’ils n’ont pour l’instant que prêté leurs voix à son parti. Plus que jamais, le Labour est désormais le parti de la métropole londonienne et des grandes villes des classes moyennes, ayant perdu le soutien des ouvriers dans ses anciens bastions du nord. Bien que ces évolutions soient en cours depuis les années 80 et aient été très marquées en 2017, les élections de cette année marquent le plus grand basculement jamais observé dans ces territoires, plus prononcé encore que prévu. La carte électorale du pays a été profondément transformée – l’essentiel de l’Angleterre et du pays de Galles est bleu, l’Ecosse jaune nationaliste et l’Irlande du Nord de plus en plus vert irlandais. Attendons que s’écoulent les cinq prochaines années pour vérifier la permanence de ce changement. Le Labour s’affronte à coup sûr à un défi considérable consistant à repenser à la fois ses politiques, sa stratégie et son leadership. Le débat interne fait déjà rage ! Ce résultat confirme que si le Royaume-Uni peut peut-être accepter un agenda de réforme social-démocrate modéré, en revanche il n’envisage certainement pas un agenda d’extrême-gauche.

Et maintenant ?

Les élections donnent à Boris Johnson et au parti conservateur le droit de faire ce qu’ils veulent. Sa majorité est telle que le Premier ministre peut faire plus ou faire moins selon ce qu’il décide. Il a certainement dans l’idée de faire quitter l’UE par le UK au 31 janvier. Le dépôt du projet de loi de retrait est déjà prévu pour vendredi prochain à la Chambre des Communes ainsi que, le jour suivant, le discours de la Reine sur le programme gouvernemental. Ainsi le Brexit sera consommé ! Le Service de santé et quelques gestes en faveur des électeurs du nord récemment conquis constitueront les autres priorités. Johnson sera confronté au défi des nationalistes écossais, déterminés à organiser un nouveau référendum d’indépendance au cours des douze prochains mois mais il leur faut pour cela obtenir l’accord du Parlement de Westminster et Johnson a déjà annoncé qu’un tel accord ne sera pas donné au cours de la prochaine législature ! L’Irlande du Nord restera un problème aussi longtemps qu’elle continuera à vouloir demeurer dans l’UE. Et que deviendra l’accord de paix ? Par ailleurs, certains projets de dépenses qui n’ont pas réussi à relancer l’économie cette année risquent d’avoir des résultats encore plus décevants après le Brexit. Autrement, il nous faut attendre et voir. Johnson a montré qu’il n’est pas homme à s’intéresser aux détails et qu’il n’a peut-être pas d’objectifs clairs pour la suite. En outre, il a tendance à tromper les gens et à revenir sur ses promesses. Ne laissera-t-il pas tomber ses nouveaux électeurs ou, au contraire, ceux-ci ne finiront-ils pas par découvrir qu’ils ont été trompés ? Une promesse fallacieuse est que le Brexit sera effectif le 31 janvier. Le UK peut bien quitter alors l’UE mais ensuite débutera le long processus de négociations d’un accord commercial avec elle qui ne sera signé qu’après la fin de la période de transition à la fin de l’année 2020. Puis devront être négociés tous les autres accords commerciaux, y compris celui avec les Etats-Unis que Trump  a déjà offert à Johnson.

Un dernier mot

J’ai insisté plus haut sur le style présidentiel de cette campagne – un combat au corps à corps entre Johnson et Corbyn, tous les autres leaders ayant été marginalisés. Ce type de campagne consiste essentiellement en un concours de popularité. On peut penser que, cette fois, les électeurs ont choisi le moins impopulaire des candidats. Ces élections peuvent alors être considérées comme un concours d’impopularité que Corbyn a gagné magnifiquement. Le prix a donc été remporté par le perdant : Boris Johnson qui pilote maintenant le Royaume-Uni dans les eaux inconnues où attendent de nombreux requins et où la réalité pourrait ne pas s’ajuster aux rêves.