Emmanuel Macron et la jeunesse: un tournant autoritaire trop sommaire edit
Les mots d’« ordre » et d’« autorité » ont émaillé la conférence de presse d’Emmanuel Macron le 16 janvier. Et ces mots ont notamment été appliqués à la jeunesse. Plusieurs mesures annoncées l’ont illustré : le port de l’uniforme à l’école, une instruction civique renforcée, le « contrôle des écrans » et de l’usage d’internet par les jeunes.
Mais surtout c’est l’état d’esprit général qui frappe. On sent que dans l’esprit du Président la jeunesse a besoin d’être reprise en main, recadrée et au besoin remise dans le droit chemin par des mesures autoritaires. Il ne fait guère de doute que ce discours plait à l’opinion. La valeur d’autorité a la cote.
La question que je voudrais explorer dans cet article est d’apprécier à quel point cette remise à l’honneur de l’autorité est adaptée à la situation actuelle de la jeunesse. Faut-il, la concernant, un tournant autoritaire ?
Un des points d’achoppement de cette orientation est que la jeunesse est en réalité extrêmement diverse (comme l’a montré l’étude que nous avions conduite avec Marc Lazar pour l’Institut Montaigne[1]) et qu’on risque en l’essentialisant ainsi d’aller à contresens de ce qu’il faudrait faire pour une grande partie des jeunes et sans doute même pour la majorité d’entre eux.
Certes, on voit apparaître des manifestations très inquiétantes de radicalité, d’incivisme, d’intolérance dans certains segments de la jeunesse. Les émeutes ayant suivi la mort du jeune Nahel en sont une des manifestations. Mais le Président, dans ses réponses à ce sujet, a curieusement euphémisé le problème en mettant en cause essentiellement le rôle des réseaux sociaux et en niant vigoureusement l’impact de l’immigration. Or les réseaux sociaux ne sont certainement pas à l’origine des émeutes. Ils en ont simplement accéléré la diffusion dans des zones du territoire qui étaient épargnées jusqu’alors. Quant à l’immigration, les émeutiers n’étaient certes pas, pour l’immense majorité d’entre eux, des immigrés, mais une part importante était bien constituée de jeunes issus de l’immigration. Ce n’est un secret pour personne que notre pays est confronté à de sérieuses difficultés concernant l’intégration sociale et culturelle de la jeunesse d’origine immigrée. La radicalité, ou au moins une forme d’absolutisme religieux, y prospère dans une minorité certes, mais une minorité non négligeable. Une grande partie de cette même jeunesse d’origine étrangère se sent collectivement ostracisée par la société dans laquelle elle est censée trouver sa place. C’est évidemment un facteur délétère pour l’intégration.
Le Président n’a pas dit un mot de cette question centrale de la jeunesse d’origine étrangère qui a du mal (pour une partie d’entre elle au moins) à trouver sa place dans la société. On croit deviner pourquoi il ne l’a pas fait : la peur d’être accusé de stigmatisation. Mais, comme disait Camus, « mal nommer un objet c’est ajouter au malheur du monde ». L’appel à l’autorité et à l’ordre s’appliquait-il, au moins implicitement dans l’esprit d’Emmanuel Macron, à cette partie de la jeunesse étrangère en rupture de ban ? On a plutôt le sentiment que le propos visait la jeunesse dans son ensemble (pervertie par l’usage abusif et incontrôlé des réseaux sociaux).
Mais imaginons un instant que la jeunesse d’origine immigrée ait été concernée par les propos du Président. Un surcroît d’autorité serait-il la bonne réponse ? Ce n’est que partiellement vrai. Bien sûr tous les comportements anti-républicains, toutes les atteintes au principe de laïcité, doivent être sévèrement réprimés. Mais en même temps (une formule chère au Président), ces jeunes ont éminemment besoin de reconnaissance. En reçoivent-ils suffisamment ? S’ils ressentent si largement un sentiment d’ostracisme collectif, est-ce par un rappel à l’ordre qu’on le fera disparaître ? Non, on le fera disparaître en envoyant des signaux forts que ces jeunes, tant qu’ils respectent la loi et les principes républicains, ont toute leur place dans la société et que celle-ci met tout en œuvre pour faire disparaître toute forme de discrimination, en mettant en place, par exemple, un grand plan national de lutte contre les discriminations à l’embauche. Ce n’est pas parce que le thème des discriminations a été totalement dévoyé à des fins politiques et électoralistes par la France Insoumise sous le vocable fallacieux d’islamophobie, qu’il faut le passer par pertes et profits.
Mais surtout peut-être, cette jeunesse et particulièrement celle d’origine étrangère, devrait avoir plus d’occasions de s’exprimer, de confronter ses idées au réel, de les confronter aussi aux idées des autres, aux idées des adultes et aux connaissances établies. Monique Dagnaud a rendu compte dans les colonnes de Telos d’une expérience intéressante de démocratie participative rassemblant une soixantaine de jeunes d’origine modeste, organisée par l’ONG Ashoka. Il en ressort un constat positif quant à la maïeutique qui conduit ces jeunes à une forme d’apprentissage du débat et de l’articulation qu’il autorise entre « connaissances, talent argumentatif et action ». Et Monique Dagnaud de conclure « Et si l’Education nationale développait des expériences vouées à générer l’intelligence collective ? » Mais oui, pourquoi pas ? Voilà des idées bien éloignées du simple appel à l’autorité.
Pour autant la question des comportements inciviques ou anti-républicains se limite-t-elle à une partie de la jeunesse d’origine étrangère sensible aux sirènes du salafisme ou simplement persuadée d’être rejetée par la société française ? Non, bien évidemment. Il y a une question plus large. Mais là encore un simple recours aux valeurs d’autorité comme solution magique est une réponse trop courte. Le problème plus large concerne l’évolution des modèles éducatifs. Le sociologue suisse Jean Kellerhals avait bien montré que dans les années 1950-1960 prévalaient deux modèles éducatifs assez contrastés selon les milieux sociaux. En simplifiant, disons un modèle plutôt autoritaire dans les classes populaires, et un modèle de la négociation dans les classes moyennes. Par la suite, le modèle autoritaire s’est étiolé et le modèle négociateur est devenu dominant. C’est au fond la diffusion du libéralisme culturel qui a joué. De ce fait, les jeunes des classes populaires ont été désinhibés. Ils l’ont été d’autant plus que les formes d’encadrement collectif qui existaient dans les années 1950, soit via le Parti communiste, soit via les formes d’engagement catholique (la JOC par exemple) ont complètement décliné. Ainsi la socialisation par le groupe des pairs a pris le pas sur la socialisation par les pères (et les mères). Par la suite, la diffusion des téléphones portables a accentué la portée de ce phénomène en donnant une grande autonomie relationnelle à des jeunes de plus en plus tôt dans la vie (à ce titre les pré-ados, les collégiens ne sont plus vraiment des enfants sous la coupe de leurs parents). Cette évolution est irréversible : croire que l’on peut revenir au modèle éducatif autoritaire des années 1950 est une pure illusion. Cette évolution occasionne évidemment des désagréments pour les générations plus âgées : c’est ce qu’on a appelé les incivilités. Elles existent bien sûr, et il faut autant que possible les contrôler et les réduire. Mais il faut prendre conscience également qu’on ne peut pas attendre des jeunes qu’ils se comportent comme leurs homologues des années 1950. On sait sur quoi a finalement débouché ce modèle autoritaire où les jeunes n’avaient pas le droit à la parole.
Lorsqu’on étudie, comme je l’ai fait, la représentation de la jeunesse dans l’histoire de la société française, on est frappé de voir que, bien souvent, elle est l’exutoire des angoisses et des doutes qui minent la société à un moment donné de son évolution. La société française actuelle est incertaine d’elle-même, elle craint l’avenir et vénère le passé. Les jeunes, théoriquement promesse d’avenir, sont trop souvent vus comme une simple menace ou comme les porteurs de dérives abimant la société. On aimerait entendre un discours plus optimiste et plus positif sur la jeunesse, qui serait aussi un discours plus optimiste et plus positif sur la société elle-même.
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[1] Olivier Galland et Marc Lazar, Une jeunesse plurielle. Enquête auprès des 18-24 ans, Institut Montaigne, février 2022.