Que représentera demain l’Europe dans le monde? edit
« L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Tout le monde, ou presque, se souvient de cette boutade attribuée, au début des années 1970, au secrétaire d’État américain Henry Kissinger. S’il semble aujourd’hui plus aisé de trouver les lignes téléphoniques et les adresses électroniques de la Commission, du Parlement ou encore du Conseil de l’Union, si on voit émerger aujourd’hui une Europe-puissance, une autre question prend de l’importante : « l’Europe, quelle importance ? » Plus précisément, que représente l’Europe dans le monde ?
En période de présidence française de l’Union européenne (PFUE), penchons-nous donc sur ce sujet, en traitant de l’Europe en proportions mondiales. Mobilisons deux instruments : des bases de données de plus en plus facilement accessibles, des règles de trois basiques.
D’abord, retour sur le passé. Il y a près de dix ans, en décembre 2012, Angela Merkel frappa les esprits avec une image chiffrée, à la fois synthétique et simple. Dans un entretien au Financial Times, la Chancelière indiquait que l’Europe représentait alors environ 7% de la population mondiale, un quart du produit intérieur brut mondial, mais la moitié des dépenses sociales du monde.
Qu’en est-il maintenant de ce paysage statistique ? Les données publiées par la division de la population de l’ONU indiquent que l’Union abrite 5,7% de la population mondiale, 6,6% si on ajoute, pour rappel, le Royaume-Uni. Sans surprise, en une dizaine d’années, la part de la population humaine vivant en Europe a baissé. Cette diminution est cependant moindre que celle qui affecte, toujours relativement, le PIB. Les données de la Banque mondiale montrent que l’Union, qui dans l’équation Merkel agrégeait 25% du PIB mondial, ne compte plus aujourd’hui que pour 18% de ce PIB global, 21% avec le Royaume-Uni. Du côté des dépenses de protection sociale, calculées à partir des sources de l’Organisation internationale du travail (OIT), le mouvement saisit davantage encore. L’Union, qui représentait au début des années 2010 la moitié des dépenses mondiales de protection sociale, n’en recense plus que 26% au début des années 2020, 30% avec le Royaume-Uni[1].
Si les données nationales sur la population, le PIB et les dépenses sociales sont assez aisément disponibles, les calculs pour l’Union européenne s’avèrent assez compliqués. En effet, l’Union européenne n’est pas un agrégat statistique systématiquement traité dans les documents et bases de la Banque mondiale, de l’ONU ou de l’OIT. Il faut donc reconstituer l’Union, par addition de chacun des États-membres. C’est ce dont rendent comptent les trois tableaux qui suivent. Où chaque pays, dont la France, retrouvera ses petits.
Qu’en sera-t-il dans dix ans ? Bien malin qui écrit l’avenir sans passer par des scénarios contrastés. Laissons cependant filer la plume et prolongeons les tendances récentes. Admettons, au sujet des trois éléments de l’affirmation Merkel, que les évolutions et les rythmes d’évolution des dix prochaines années ressembleront aux dix dernières années. Faisons également l’hypothèse, a priori raisonnable, d’un Royaume-Uni qui ne reviendra pas. De quelques règles de trois, il ressort qu’en 2032 un responsable politique européen pourra affirmer que l’Union représente moins de 5% de la population de la planète, 13% du PIB mondial, 14% des dépenses globales de protection sociale.
Évidemment ce ne sera pas exactement le cas, car nombre d’évènements contrarieront cette extrapolation élémentaire. Le panorama a toutefois toute son importance. Il rappelle le choc du Brexit par rapport à ce qu’est l’Union et ce qu’est son rang dans le monde. Il montre aussi ce qui procède des évidentes dynamiques démographiques affectant de façon différente les pays riches et les pays pauvres. Surtout, il met à sa manière en lumière, en regardant un futur potentiel, ce que sont les transformations des économies et des puissances. Enfin, l’exercice permet de souligner un résultat. Le vieux continent réussit à faire s’étendre à travers le monde ce qu’il a inventé : la protection sociale. Observation générale : Bismarck, avec ses assurances sociales, est un très grand européen. Les innovations de son cru continuant à s’étendre sur la planète.
Toutes ces transformations ne constituent donc pas forcément des mauvaises nouvelles. Certes la population européenne pourrait continuer de baisser. Le PIB et la protection sociale dans l’Union pourront, de leur côté, croître. Mais bien moins amplement qu’ailleurs, d’où la réduction progressive de leurs proportions.
Certains insisteront sur un relatif déclin européen, d’autres sur d’absolus regains ailleurs. L’ensemble illustre des recompositions géopolitiques en cours[2].
Tableau 1. La population européenne rapportée à celle du monde
Tableau 2. Le PIB européen rapporté au PIB mondial
Tableau 3. Les dépenses de protection sociale dans l’Union et dans le monde (2020)
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)
[1]. Pour le détail et la discussion des bases de données et des méthodes pour aboutir à ces chiffres, voir, pour le cas français, Julien Damon, « France : 5% des dépenses sociales mondiales », Telos (26 octobre 2021).
[2]. Pour une approche plus large que notre travail statistique sur trois dimensions, voir le dossier, dirigée par Michel Foucher, « L’Union européenne dans le monde », Documentation photographique, n° 8145, 2022. Où il n’est pas seulement question de photographie, mais bien plus largement de géopolitique.