Face à la dénatalité: que faire? edit
Quand nombre de pays pauvres souhaitent voir diminuer leur fécondité, nombre de pays riches voudraient la voir augmenter. Un spectre hante même l’Europe, celui du déclin démographique. Dans l’Union européenne, avec ses frontières contemporaines, le solde des naissances vivantes par rapport aux décès est devenu négatif au début des années 1990. Pour la France, le point d’inflexion se situerait autour de 2035[1]. Il pourrait être plus rapproché en raison du recul accéléré de la fécondité depuis la crise Covid. Quelques éco-décroissants crient « alléluia » car ils estiment que toute nouvelle naissance occidentale pèse trop gravement sur la planète, le climat et l’avenir de l’humanité.
Le recul de la fécondité
La fécondité française résiste toutefois mieux qu’ailleurs, avec un taux qui reste aux premiers rangs des pays riches. « Cocorico », répliquent donc les optimistes aux déclinistes patentés et aux écologistes exaltés. « Alerte », lancent cependant les démographes.
La tendance inquiète en effet légitimement. L’indicateur conjoncturel de fécondité (1,8 enfant par femme en 2022) baisse depuis plus de dix ans. Le nombre quotidien de naissances est, depuis 2022, repassé sous la barre des 2000, un niveau qui n’avait pas été connu depuis 1945.
Experts et responsables politiques traitent des explications et des conséquences d’un phénomène aux inerties problématiques. Sur le plan des effets se retrouvent, pêle-mêle, la baisse de la population en âge de travailler, des contrecoups sur le financement des retraites, des perspectives de fermeture d’établissements scolaires, des interrogations sur la croissance, les finances publiques et l’innovation.
Au titre des explications, chacun met en avant son idée : individualisme et hédonisme des jeunes générations, éco-anxiété et malaise global de ces mêmes jeunes générations, suites du Covid et situation géopolitique alambiquée, hypersexualisation et inquisition woke, expansion du porno et sexualité embarrassée. Sur un ton plus militant certains évoqueront un recours jugé trop important à l’IVG, d’autres le recours trop réduit à la PMA.
Du côté de l’infécondité choisie, se renforce, depuis le tournant du millénaire, dans l’actualité éditoriale et dans les interrogations des commentateurs, une position que les anglo-saxons, dans un jeu de mots, avaient baptisé « No Kidding ». Ce mouvement, dit plus communément « child free », rassemble, sous un même vocable, les personnes et les couples qui choisissent de ne pas avoir d'enfants de manière délibérée. Ces partisans dénatalistes revendiquent leurs choix au nom de convictions écologistes ou féministes.
Du côté de l’infertilité subie, la pollution et certaines consommations sont montrées du doigt tandis que la qualité des gamètes fléchit.
Sur le banc des accusés, la politique familiale, aux ambitions historiquement très natalistes, doit répondre de révisions décriées. La réduction des avantages fiscaux liés à la présence d’enfants et la modulation des allocations familiales, décidées sous François Hollande, sont érigées en coupables de la détérioration de la fécondité.
Le consensus des travaux académiques souligne cependant que le lien global entre dépenses de politique familiale et niveau de la fécondité est habituellement ténu[2]. Du côté particulier des mécanismes de l’impôt, les politiques d’incitations fiscales ont des impacts extrêmement faibles et très lents à se diffuser.
Les Français, par ailleurs, ne comprennent pas grand-chose à la sophistication de leurs prestations et de leurs impôts, un système que les toutologues qui en discourent ne maîtrisent pas forcément très bien non plus. On voit donc mal les Français raisonner leurs désirs d’enfants à partir d’évolutions du mécanisme de quotient familial que nombre de spécialistes supposés ne saisissent pas.
Quelques voies possibles
Passons sur les raisons et abordons la question capitale : que faire ? Si l’objectif consiste à inverser la courbe de la fécondité, six voies se profilent. La plus efficace réside probablement dans l’augmentation de l’immigration subsaharienne. Cette voie n’est ni au goût ni à l’ordre du jour, dans un pays où les questions identitaires braquent et où la part des enfants avec au moins un parent étranger hors Union européenne est passée de 12 % à 22 % en 20 ans.
Une deuxième orientation, plus praticable mais à très faible rendement potentiel, serait de revenir sur les réformes réduisant les bénéfices du quotient familial et des allocations familiales. L’idée traverse le débat public, mais sa mise en œuvre n’aurait qu’un impact très limité, s’il devait en avoir un, sur les naissances. Vouloir dépenser plus, au sens de dépenser comme avant, est une sorte d’impasse.
La troisième voie, à valoriser, passe par les modes de garde. Les expertises montrent que c’est ce pan des politiques familiales qui a le plus de portée en termes de fécondité. Si le gouvernement souhaite voir augmenter les naissances, il doit prioritairement réaliser son projet de service public de la petite enfance (SPPE). Disponibilité et coût des modes de garde figurent parmi les premières raisons avancées par les jeunes gens (les premiers concernés) pour ne pas avoir d’enfant. Aujourd’hui, ce sont les aides en matière de garde d'enfants, permettant aux mères de concilier travail et vie familiale, qui soutiennent la fécondité. Depuis le tournant du millénaire, là aussi, elles expliquent, avec les taux d’emploi féminins, une grande part des différences de fécondité au sein des pays de l'OCDE. Autrefois, la fécondité était élevée là où les femmes ne travaillaient pas. Aujourd’hui, elle est la moins dégradée là où elles exercent une activité professionnelle.
Sur le registre des réformes de la politique familiale, une quatrième voie peut s’ouvrir. Le système français privilégie, du point de vue socio-fiscal, les deuxièmes et troisièmes enfants. Alors que le premier enfant ne rapporte rien en allocations familiales, le deuxième représente 140 euros par mois (pour 80% des familles concernées), le troisième 180 euros. Fiscalement, le bénéfice du quotient familial est de 1 part pour chacun des membres du couple, de 0,5 part pour le premier et le deuxième enfant, de 1 part pour le troisième (à l’origine le mécanisme du quotient familial était encore plus nataliste : jusqu’en 1953 les couples voyaient leur nombre de parts redescendre de 2 à 1,5 s’ils n’avaient pas eu d’enfant au bout de trois ans de mariage)[3].
Bref, la politique familiale à la française progresse fortement selon le rang de l’enfant. Le principe historique s’appuie sur une volonté et sur une conviction. La volonté est d’aider les familles nombreuses. La conviction, exprimée de façon abrupte mais claire, est que le premier enfant vient tout seul. Ce sont les autres arrivées qu’il faudrait aider. Or les familles et les Français ont changé. L’arrivée du premier enfant n’est plus aussi évidente, et l’affirmation de jeunes femmes et de jeunes hommes qui ne veulent pas d’enfants, pour des raisons climato-géopolitiques, est à prendre au sérieux. À relativiser peut-être dans vingt ans, mais à prendre en considération maintenant.
Le thème n’est d’ailleurs pas forcément si neuf. On baptise DINK (double income no kids), depuis au moins deux décennies, les couples qui préfèrent vivre avec deux revenus et ne pas avoir la charge de descendants. Aux DINK s’ajoutent désormais les GINK (pour green inclination no kid) sur lesquels la fiscalité et les prestations incitatives à la fécondité pèsent encore moins. Les déterminants sont certainement profonds mais DINK comme GINK n’ont pas de premier enfant… Ce simple constat invite à s’interroger sur la cible même de cet édifice qu’est la politique familiale.
La cinquième voie, à approfondir puisqu’elle est déjà largement empruntée, est celle d’un environnement général positif pour les familles et les enfants, quelles que soient leurs conditions juridiques. Dans les comparaisons internationales, la France ne se distingue pas seulement par sa fécondité. Parmi les pays riches, elle campe aussi aux premières places du podium des naissances hors mariage (près des deux tiers aujourd’hui). À la différence des pays conservateurs à faible fécondité et à fortes réticences à l’égard des autres formes familiales que le mariage, la France considère à égalité, juridiquement et socialement, les enfants nés de divers types d’union (libre, civile). L’ensemble aménage un environnement français globalement favorable à l’enfant. En gommer les défauts résiduels, par exemple au regard de l’égalité entre les hommes et les femmes, en particulier pour ce qui a trait aux charges parentales, pourrait aussi avoir quelque incidence sur la fécondité. Une double leçon générale se dégage. Autrefois, en France, le mariage permettait l’enfant. Aujourd’hui l’enfant permet, parfois, le mariage. Autrefois, dans les pays riches, c’était dans les pays où l’on se mariait le plus et le plus tôt que l’on faisait le plus d’enfants. Aujourd’hui c’est dans les pays où les séparations sont les plus aisées que le nombre d’enfants est le moins réduit.
Enfin une sixième voie, plus originale, potentiellement féconde pourrait-on dire, mérite d’être explorée. Elle procède d’un constat. Le nombre d’enfants à domicile est, dans les familles monoparentales, de 1,8. Il est, dans les familles dites traditionnelles (avec les deux parents), de 1,9, et dans les familles recomposées de 2,4. Or, l’un des sujets clés pour la fécondité est de permettre aux adultes qui le souhaitent d’avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent : 2,39, pour être précis, en 2020 comme en 2011[4]. Ce 2,39 ne saurait être comparé terme à terme au nombre d’enfants dans les foyers recomposés, ni, en toute rigueur, à l’indice conjoncturel de fécondité. Il marque cependant bien un décalage entre, d’une part, les réalités et aspirations du moment, et, d’autre part, la descendance en cours et à venir des générations.
Mais quel rapport avec les familles recomposées donc ? Dans ces dernières, une sur deux compte des enfants nés du couple actuel. La recomposition permet, dans une certaine mesure, une augmentation de la réalisation du désir d’enfant. De fait, elle contribue à la fécondité, bien plus directement que des sophistications socio-fiscales générales.
D’où une idée simple : faciliter le passage de la monoparentalité à une conjugalité recomposée. La monoparentalité piège des parents dans la pauvreté et dans la faible fécondité. Les aider à se recomposer familialement les aiderait individuellement à s’extraire de la précarité et nous aiderait collectivement en matière de natalité. Concrètement, les Caisses d’allocations familiales et autres opérateurs de la politique familiale devraient, dans leurs politiques de lutte contre l’isolement, tout faire pour permettre les rencontres. Car les rencontres et les constitutions de couples, comme le précise tout traité de démographie, sont la base de tout ce dossier de la fécondité.
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[1]. À ces sujets, voir Julien Damon, « Europe : effondrement démographique en vue ? », Telos, 26 mars 2021.
[2]. Pour une synthèse, voir Olivier Thévenon, « Évaluer l'impact des politiques familiales sur la fécondité », Informations sociales, n° 183, 2014, pp. 50-62.
[3]. Voir Julien Damon, Les Politiques familiales, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2018.
[4]. À ce sujet, voir les données et les analyses de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) : Yvon Sérieyx, « Le désir d’enfant en cinq questions clefs », Réalités familiales, n° 140/141, 2023. Au sujet classique de la distance entre le nombre « idéal » et le nombre « réalisé » d’enfants, voir l’article ancien de Alain Girard et Louis Roussel, « Dimension idéale de la famille, fécondité et politique démographique », Population, vol. 36, n° 6, 1981, pp. 1005-1034.