L’espoir américain edit
On le disait fatigué, presque gâteux, ne pensant qu’à aller se reposer, Joe Biden, ce vieil homme, est allé en pleine guerre à Kiev, il revient d’Israël et d’Egypte. Il a prononcé de retour sur la terre américaine un discours de quinze minutes digne des grands moments historiques de la Seconde Guerre mondiale quand Roosevelt s’adressait au peuple américain et le pressait de comprendre la vocation et l’intérêt des États-Unis à défendre la démocratie dans le monde. Sleepy Joe s’est hissé au niveau de l’histoire et du danger qui, à nouveau, menace les démocraties.
Les événements du 7 octobre ouvrent une nouvelle étape de l’histoire d’Israël et révèlent un état du monde – usons d’un euphémisme – inquiétant. Nous avons été stupéfaits. Le Hamas avait-il trompé les services secrets ? Ceux-ci n’avaient pas cru leurs informations ? Le gouvernement, obsédé par ses problèmes intérieurs, ne les avait pas écoutés ? Stupéfaits par la facilité apparente avec laquelle les terroristes ont enfoncé un mur high tech et se sont enfoncés dans le territoire israélien jusqu’à l’intérieur des maisons. Stupéfaits devant le retour d’une sauvagerie dont on aurait voulu croire qu’elle était devenue impossible, éventrer les femmes enceintes, tuer les nourrissons, traîner malades et vieillards, puis faire la fête dans les rues de Gaza devant le cadavre d’une jeune fille dénudée. Après les émotions, les chagrins et les indignations, il faut essayer d’analyser et de comprendre.
Il faut en particulier dénoncer inlassablement l’image que répandent les idiots utiles ou les complices, conscients ou non, des terroristes qui consiste à assimiler le Hamas, branche armée des Frères musulmans soutenus par le Qatar et, indirectement, par l’Iran, à la population palestiniene, de confondre l’action terroriste qui a pour but d’anéantir l’Etat Israël et de tuer tous les juifs avec l’aspiration des Palestiniens à se constituer en nation indépendante.
Les événements actuels relèvent d’une double série historique, l’une locale et l’autre mondiale.
Au Moyen-Orient, le conflit entre les juifs et les Arabes existe depuis plus d’un siècle. La conjugaison des passions messianiques, des mépris réciproques, des malheurs des peuples, du poids de la shoah sur la conscience historique des Israéliens et des juifs, du cynisme des grandes puissances et des États arabes voisins ont rendu a priori tout accord impossible. On peut débattre des responsabilités des uns et des autres au cours du temps, elles sont difficiles à peser, mais elles se réunissent pour rendre aujourd’hui la « solution » plus lointaine que jamais. Faut-il rappeler que les passions mènent le monde et que l’histoire est tragique ?
Mais cette histoire locale s’inscrit depuis les années 1980 dans le projet de l’islam radical, ou de l’islamisme, celui de dominer le monde en lui imposant le régime de la charia – l’Etat islamique en a donné un exemple – et de détruire les démocraties. Dans ce but, il mobilise tous les moyens, même les plus atroces. Le Hamas à Gaza est l’un des courants de l’islamisme. Son action n’est pas motivée par la défense de la cause palestinienne, il l’utilise pour dominer le monde et y établir la charia. Le conflit local est manipulé par le Hams pour faire avancer sa cause. Il tient les Palestiniens en otage et mobilise à son profit le malheur né des guerres entre les peuples qui se disputent la même terre. Pour ce faire, il pratique les méthodes propres aux terroristes, celles d’al-Quaida, de Daech ou de l’État islamique, en s’adaptant chaque fois aux conflits ou aux faiblesses locales, que ce soit en France, au Moyen-Orient ou en Afrique. Mais les islamistes poursuivent dans tous les cas ce projet de retourner à la barbarie d’un pays soumis à la charia et d’abattre le monde démocratique. Ils illustrent le retour à ce que, déjà en 2005, Thérèse Delpech avait appelé l’ensauvagement du monde, la fin de la canalisation de la violence.
C’est ainsi qu’en France, ils s’attaquent au cœur de la République, à son École. C’est la terre où, en Europe, les populations musulmanes et juives sont les plus nombreuses ; c’est la terre de la laïcité qui permet de faire vivre dans la liberté la pluralité des religions, c’est la terre où le ressentiment lié au passé colonial est le plus fort. Or, comme l’a noté notre ami Jean-Louis Bourlanges, nous faisons face à une minorité politique, menée par Jean-Luc Mélenchon, qui refuse de faire la distinction entre la sauvegarde des droits du peuple palestinien à vivre au sein d'une communauté libre et indépendante – le problème « local » – et la nécessité de combattre un projet terroriste mondial visant à éliminer les juifs et la démocratie par tous les moyens.
On peut critiquer la politique menée ces dernières années en Israël (Élie Barnavi parle de politique « imbécile »), comme le fait la moitié des citoyens d’Israël qui manifestent depuis des mois leur opposition aux fondamentalistes dont Netanyahou est un honteux complice. Il est vrai qu’une armée d’occupation en Cisjordanie, même celle d’un pays démocratique, reste une armée d’occupation et elle ne peut que susciter l’humiliation et la haine. Mais le terrorisme est encore d’un autre ordre. Les terroristes ont utilisé le massacre des innocents délibérément comme instrument de leur action. C'est l'application de la méthode Dzerjinski, le fondateur de la police soviétique : pour s'imposer, il ne suffit pas de frapper des coupables, il faut s'en prendre aux innocents. Les formes de guerre choisies par le Hamas défient les lois du genre. Le projet génocidaire est formulé, les déclarations du Hamas condamnent à mort les juifs pour la seule raison qu'ils sont juifs. L’armée israélienne essaie de limiter le nombre des victimes civiles, même si elle ne pourra pas les éviter ; elle veut sauver les otages. Même si, cela va de soi, un mort est toujours un mort, un mort dans la guerre est toujours un malheur. Le père palestinien qui pleure la mort de son enfant éprouve la même douleur que le père israélien et a droit à la même compassion.
Le Hamas a tendu un piège redoutable à Israël. Il faut éliminer le Hamas, parce que c’est un mouvement terroriste qui veut exterminer les juifs et vaincre les démocraties, mais il s’est volontairement mêlé à la population et aux otages, devenus des boucliers humains, en sorte qu’une intervention militaire, si elle a lieu, fera inévitablement de nombreuses victimes civiles. La solidarité avec Israël née des massacres des innocents, le 7 octobre, a déjà commencé à s’affaiblir et un professeur au Collège de France dénonçait, dès le 18 octobre, le « deux poids deux mesures » de nos émotions.
Il n’y a pas de recette miracle. Il faut essayer de penser aussi justement que possible la situation, même si nous avons tous nos préjugés, nos sentiments, nos émotions. Il faut tenter de comprendre ses adversaires et contrôler ses émotions pour soutenir tous les modérés qui recherchent effectivement un accord. Malheureusement ils semblent de moins en nombreux. La violence nourrit la violence, l’extrémisme des uns nourrit l’extrémisme des autres et l’on a l’impression que la marge de manœuvre est plus étroite que jamais.
Les citoyens israéliens attachés à la démocratie combattent la politique que suivait Netanyahou, près d’un million d’entre eux manifestaient chaque semaine pour contester ses décisions. Cela suffira-t-il dans l’avenir pour infléchir la politique du gouvernement israélien ? Du côté palestinien, voit-on des responsables politiques prêts à négocier avec Israël ? Jusqu’à présent ceux qui s’engageaient dans des négociations avançaient volontairement des conditions dont ils savaient qu’elles étaient impossibles à accepter. Cela peut-il changer ? Les autres pays arabes semblent se désintéresser de l’avenir des Palestiniens qu’ils utilisent avec une parfaite inhumanité en fonction de leur propre intérêt. La négociation locale peut-elle échapper à la logique de l’islamisme mondial ? Je ne vois pas de solution, en tout cas à court terme.
Le grand Joe Biden a analysé la situation en termes justes et si le peuple des États-Unis le suit, c’est notre seule chance. Espérons seulement que Poutine, orfèvre en matière de propagande et de corruption de toute nature, n’interviendra pas dans la prochaine élection présidentielle américaine comme il l’a fait avec succès en 2016. L’enjeu est considérable pour le monde et pour les démocraties.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)