De quoi la Communauté politique européenne est-elle le nom? edit
De quoi la Communauté politique européenne est-elle le nom ? Quelle est sa fonction ? Proposée par Emmanuel Macron le 9 mai 2022 lors de son discours au Parlement européen, les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont décidé de la créer lors du dernier conseil européen du semestre de présidence française du Conseil de l’UE le 24 juin 2022. Elle comprend 47 États. Tous ceux à qui il a été proposé d’en faire partie ont accepté. Pas un n’a refusé. Un tel format est comparable avec celui du Conseil de l’Europe, cette organisation internationale fondée en 1949, qui veille aux libertés, ne peut prendre de décision exécutoire ni mettre en œuvre de politiques publiques, et dont dépend la Cour européenne des droits de l’homme. Jusqu’en février 2022, la Russie était membre du Conseil de l’Europe. Elle n’a pas été conviée dans la Communauté politique européenne. Le Bélarus non plus.
La CPE, proposée et créée en 2022 dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a donc un air de « tous sauf la Russie ». Le projet a toutefois été soupçonné de machiavélisme. Les Européens débattaient sans se ménager au sein de l’UE de la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE du président Zelensky. Faire entrer l’Ukraine dans l’UE n’était-il pas complètement cohérent avec le soutien massif à ce pays et avec les sanctions prises à l’encontre de l’agresseur russe ?
Emmanuel Macron n’était pas d’accord (il n’était pas le seul à avoir des réserves). La CPE a pu être interprétée comme une alternative au non-élargissement, une façon d’enrober cette réticence par un projet nouveau. D’autant que la France, entre autres, s’était sous Macron déjà sèchement opposée à l’avancée du processus d’élargissement aux « Balkans occidentaux », c’est-à-dire aux pays issus de l’ex-Yougoslavie encore non membres de l'UE et de l’Albanie. Pour mémoire, à titre de comparaison, les États membres de l’UE précédemment soviétisés, comme la Pologne ou l’Estonie, mirent dix à quinze ans à finaliser leur adhésion, effective dans les années 2000 ; les trois pays neutres et social-démocrates limitrophes de cet empire soviétique (Suède, Finlande, Autriche, entrés en 1995) mirent trois années ; et les trois pays moins industrialisés sortant de dictatures de type fasciste (Grèce, Portugal, Espagne entrés dans les années 1980) cinq à dix ans. Avoir le statut de candidat revient à travailler à mettre sa législation, ses institutions et ses politiques publiques aux normes et aux standards de l’UE, tout en bénéficiant d’un resserrement de plus en plus étroit de ses relations avec l’UE, son marché, ses politiques publiques et ses financements.
Finalement, confrontée à l’agression russe, l’UE a décidé en même temps en juin 2022 d’instituer à l’unanimité la CPE, de donner à vitesse grand V à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat, et de déclarer qu’il est temps de finaliser l’adhésion des Balkans occidentaux qui se négocie depuis vingt années.
Tous ces pays sont dans la CPE avec les 27. C’est aussi le cas de la Turquie de Erdogan, qui ne cesse de critiquer les Européens et de mener une politique étrangère en plusieurs points en contradiction avec les intérêts et les valeurs de l’UE. Mais la Turquie conserve son statut de pays candidat à l’UE ; plus encore, elle est avec l’UE en union douanière. L'Azerbaïdjan aussi est dans la CPE, en dépit de son régime peu démocratique et de sa guerre récente contre l’Arménie, dont le régime est une fragile démocratie tolérée sous condition par Moscou. Aucun de ces deux pays n’est candidat à l’UE ; mais ils bénéficient de la politique européenne de voisinage de l’UE au sein de laquelle ils ont signé avec l’UE des accords de partenariat et de coopération. C’est aussi le cas de la Georgie, qui a demandé, elle, à obtenir le statut de pays candidat.
Le Royaume-Uni aussi a signé un accord de coopération et de commerce avec l’UE. C’est moins que l’union douanière UE-Turquie, mais c’est beaucoup plus que les règles de l’organisation mondiale du commerce. Et son Premier ministre, Rishi Sunak, a récemment déclaré que, tout compte fait, il n’était pas urgent de remplacer par de nouvelles règles et de nouvelles lois toutes celles, innombrables, qui étaient les déclinaisons dans le droit britannique de la législation européenne, héritage d’un demi siècle d’appartenance à l’UE. Et le Royaume-Uni est, avec un plaisir non dissimulé, dans la CPE.
C’est également le cas de la Norvège, de l’Islande et de la Suisse : ces trois pays très industrialisés et prospères qui consomment, importent et exportent de façon intense ne veulent surtout pas être dans l’UE ; ils sont pourtant, à leur demande, dans Schengen et dans le marché intérieur de l’UE. Ils contribuent au budget de l’UE, participent à ses programmes. Autant dire qu’ils sont membres de l’UE à 75%.
En fait, voilà : la Communauté politique européenne réunit dans un même forum tous les pays du continent européen qui sont polarisés par l’Union européenne. La CPE réunit formellement tous les pays frontaliers et voisins de l’UE qui sont reliés à l’Union européenne par des liens contractuels et juridiques qui couvrent à peu près tous les champs de la vie économique et sociale. Pour comprendre ce qu’est la CPE, on propose donc d’employer une image : la CPE est la réunion informelle de tous les pays européens qui sont à des degrés divers intégrés à l’Union européenne.
Dans ce propos imagé, on caractérisera les pays qui se retrouvent dans le format de la Communauté politique européenne par leur pourcentage d’intégration à l’UE. Des États-membres de l’UE qui partagent l’euro et l’espace Schengen (soit 18 pays sur 27), on dira qu’ils sont dans l’UE à 120%. Des Etats-membres de l’UE qui sont dans un des deux (soit 7 pays sur 27, dont l’Irlande et la Pologne par exemple), on dira qu’ils sont dans l’UE à 110%. Des États-membres qui ne sont ni dans l’euro ni dans Schengen (ils sont 2, la Bulgarie et la Roumaine), on dira qu’ils sont dans l’UE à 100%.
Des États non membres de l’UE partie prenante du marché intérieur et de Schengen (Islande, Norvège, Suisse, Lichtenstein), on dira qu’ils sont intégrés à l’UE à 75%. Et ainsi de suite, en passant par les pays candidats, l’union douanière, les pays associés, les pays du voisinage, les pays partenaires de l’UE…
Avec la Communauté politique européenne, les chefs d’État et de gouvernement de tous les pays européens sauf la Russie (et le Bélarus) assument leur appartenance volontaire et construite à un système territorial intégré et polarisé par l’Union européenne. Ils reconnaissent de facto que la Russie poutinienne n’en fait pas partie. Ce système territorial est à l’opposé de ce que fut le concert des nations européen au 19e siècle (du Congrès de Vienne à 1914) et du dénommé système westphalien (matrice des relations internationales entre États depuis 1648). C’est-à-dire que la CPE rend visible, spectaculairement mais sans ostentation, à quel point les Européens ont comme ensemble tourné le dos aux rapport de puissance et de domination, et ont tourné la page des impérialismes. Ils leur préfèrent l’interdépendance, la négociation, l’échange et la convergence. La conflictualité et la guerre y sont de moins en moins des options préférentielles ou des politiques publiques parmi d’autres. Et, quand cela arrive ou menace d’arriver, comme en ce moment entre la Serbie et le Kosovo, cela apparaît comme une anomalie, un archaïsme, que le système dans son ensemble va apaiser. Autrement dit, la CPE révèle que l’état d’esprit qui préside à la construction de l’UE depuis 1950 a fait tache d’huile. Il s’étend progressivement de fait à tous les États européens.
On peut interpréter l’invasion de l’Ukraine par la Russie comme une tentative sanglante mais d’arrière-garde de l’État russe pour éprouver la profondeur et la solidité de cet état d’esprit, le contester et le démolir, et prouver que l’impérialisme et la violence restent structurants et efficaces en Europe.
C’est tout le contraire qui advient. La réaction des Européens témoigne de la profondeur de leur changement de paradigme des relations internationales entre Européens. Ils tiennent tant à leur système territorial interdépendant, mutualisé, pacifié et a-impérialiste, qu’ils inventent des politiques et des actions inédites et imaginatives pour le défendre en engageant leurs forces économiques et industrielles auprès des Ukrainiens et contre l’État russe. À cette aune, la Communauté politique européenne nous dit que l’Union européenne a gagné et que la Russie a perdu.
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