La Suisse recadre ses grandes banques edit
L’importance du secteur bancaire pour la Suisse n’est plus à démontrer, le bilan de l’ensemble des banques représentant cinq fois la valeur du PIB annuel. Une caractéristique centrale du secteur est le poids dominant des deux grandes banques, UBS et Crédit Suisse, avec des bilans équivalents à près de trois fois le PIB. Le poids de ces géants a donné bien des sueurs froides aux Suisses lors de la crise. Les pertes massives d’UBS aux États-Unis ont conduit les autorités à injecter des fonds dans la banque et sortir les actifs les plus problématiques du bilan à l’automne 2008 afin d’éviter une faillite. Si cette intervention a rencontré un succès clair et pourrait même générer un rendement appréciable pour le contribuable, l’alerte a été chaude et le spectre d’une panique généralisée était bien réel. Conscientes que le pays n’est pas passé très loin d’un scénario à l’irlandaise, les autorités ont mandaté un groupe d’experts avec tâche de réformer l’encadrement des deux grandes banques, lequel a remis ses conclusions lundi.
Les recommandations des experts vont plus loin que les règles de Bâle III récemment annoncées, et portent essentiellement sur les fonds propres et les procédures de liquidation des banques.
Les exigences de fonds propres seront portées à 19% de la valeur des actifs, ce qui représente presque le double des règles de Bâle III. La Suisse ne fait-elle pas là preuve de son sens du perfectionnisme au risque de rendre ses banques peu compétitives au niveau international ? En fait non. La sévérité des règles n’est que le reflet de la disproportion entre la taille des grandes banques et celle du pays. Si les Américains devaient sauver un de leurs grands établissements ils pourraient le faire bien que l’exercice s’avérerait douloureux. En Suisse en revanche, une nationalisation d’UBS ou de Crédit Suisse sonnerait le glas de la bonne santé des finances publiques, un des atouts majeurs de l’économie. Il convient donc de limiter au maximum le risque d’un tel désastre en dotant les grandes banques d’épais pare-chocs. Certes cela leur rendra la vie moins facile par rapport à leurs concurrentes, comme le montre la réaction peu enthousiaste des deux intéressées, mais la force de la place financière suisse repose aussi sur sa capacité à traverser les tourmentes. Une compétitivité basée sur des exigences de fonds propres limitées serait illusoire et s’évaporerait à la première crise.
Plutôt que de limiter directement la taille des banques, le comité d’experts recommande des exigences de fonds propres modulées selon la taille des établissements. Le problème avec une limite directe de la taille serait son aspect de seuil : si on interdit par exemple à une banque de dépasser 50% du PIB, cela implique qu’une banque représentant 49% est acceptable mais qu’une banque représentant 51% ne l’est pas. Plutôt que de se lancer dans un tel exercice, le comité a choisi de laisser les banques libres de choisir leur taille mais de les « taxer » par le biais d’exigences de fonds propres accrues afin qu’elles prennent en compte le coût que leur taille peut occasionner pour l’ensemble de l’économie en cas de problème.
Les recommandations ne se limitent pas aux exigences de fonds propres, et la majeure partie du rapport du comité porte sur la procédure de gestion de crise pour les grandes banques. L’intervention des pouvoirs publics en 2008 était en effet liée à la position dominante d’UBS sur le marché domestique, et il fallait éviter une faillite qui aurait entraîné une paralysie des crédits aux entreprises et aux particuliers, ainsi qu’une panique des déposants. Le rapport préconise dès lors la mise en place de plans de crise qui permettront d’isoler le cœur de la banque en cas de problème. Si une des grandes banques devait essuyer de fortes pertes sur un marché étranger, et que ces pertes entament ses fonds propres de manière trop profonde, les activités domestiques de la banque seront isolées. Les épargnants n’auront donc pas de souci à se faire, et l’activité de prêt sur le marché suisse sera protégée. Le reste de la banque serait recapitalisé, voire mis en faillite si les pertes essuyées sont trop importantes. Notons que l’activation de ce plan catastrophe sera liée à des critères connus, comme une réduction des fonds propres en-deçà de 5% du bilan, limitant le risque que le régulateur n’oserait pas passer à l’acte en cas de crise.
Mettre en place de tels plans catastrophe avant une période de crise est clairement souhaitable, car cela évitera de devoir improviser à la dernière minute dans un environnement incertain. Des obstacles demeurent cependant, que le rapport reconnait. Tout d’abord, le législateur devra suivre ses recommandations et leur donner force de loi. La Banque nationale suisse et la Finma, le régulateur bancaire, soulignent la nécessité d’agir vite, et il est vraisemblable que le dossier sera traité au Parlement sans trop de délai.
Ensuite, les experts laissent l’élaboration des plans catastrophe aux banques elles-mêmes. Si cela est compréhensible, il y a là un certain risque. Les banques sont clairement les mieux informées de leur situation et donc mieux à même d’établir un plan. Cela dit, cet avantage pourrait se traduire en un plan qui parait robuste, mais s’avère peu opérationnel en temps de crise. L’État n’aurait alors d’autre choix que d’intervenir, ce qui va à l’encontre de tout le projet. Il sera donc très important pour les autorités d’évaluer les plans soumis avec un regard très critique et de ne pas trop facilement accepter les assurances des banques, un problème qui s’est produit avant la crise de l’aveu même du régulateur.
Enfin, il est important de coordonner les plans d’urgence avec les autorités étrangères. Les deux grandes banques suisses sont des banques globales avec une activité annexe en Suisse. Il y a donc un grand risque qu’en cas de crise conduisant à la liquidation d’activités à l’étranger les créanciers se retournent contre la Suisse en affirmant que les actifs les plus sains ont été mis à l’abri dans le bilan de la partie protégée de la banque.
Un aspect intéressant du rapport est également les mesures qu’il ne prend pas. Tout d’abord, il choisit de ne pas interdire les activités de placement que la banque fait pour son propre compte, contrairement à ce que les autorités américaines ont fait. La motivation est qu’une telle séparation serait problématique pour des banques avec un modèle d’affaire plus large comme les banque européennes.
Enfin, le rapport ne se fixe pas sur le problème des bonus, se bornant à souligner le besoin d’éviter des rémunérations à trop court terme. Cela reflète le fait que ces bonus, tout aussi désagréable qu’ils soient par les temps qui courent, n’ont pas été un facteur déterminant dans la crise. Le comité a donc préférer s’atteler à des tâches plus pertinentes et compliquées, par exemple comment protéger l’activité domestique des banques en cas de crise, plutôt que de se concentrer sur des aspects certes politiquement populaires mais à la pertinence fort limitée. En soit, ceci est un aspect plutôt rassurant quant à la qualité des recommandations.
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