Manuel Bompard détient la solution pour régler la question ukrainienne edit
Manuel Bompard, le coordinateur national de la France insoumise, détient la solution pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Il vient en effet de déclarer dans l’émission « Les Quatre Vérités » sur France 2, le 5 mars, que la priorité devrait être accordée à la diplomatie et à la recherche d’une solution pacifique au conflit. Il appelle à un dialogue inclusif impliquant non seulement l’Ukraine et la Russie, mais également d’autres puissances internationales, l’objectif étant de parvenir rapidement à un accord de paix qui mettrait fin aux hostilités. Il est impératif selon lui d’engager des pourparlers avec Vladimir Poutine, considérant qu’une résolution militaire du conflit est vouée à l’échec face à une puissance nucléaire. À vrai dire, l’appel à négocier avec Poutine n’est pas nouveau. Il a été lancé, à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite et plus largement encore, dès le 22 février 2022. Depuis lors, il s’est pourtant fait de plus en plus rare au fur et à mesure qu’un nombre croissant de dirigeants et d’observateurs politiques se sont convaincus que Poutine n’a jamais envisagé une quelconque négociation sur le statut de l’Ukraine. Le président russe l’a suffisamment répété pour que même les plus malentendants aient pu saisir quelques bribes de son discours. Rappelons-le brièvement.
« Il y aura une paix, a déclaré Poutine le 14 décembre dernier, quand nous atteindrons nos objectifs que vous avez mentionnés. Revenons-y, ils n’ont pas changé. Laissez-moi vous rappeler comment nous les avons formulés : dénazification, démilitarisation et un statut de neutralité pour l’Ukraine. » Pour lui, il n’existe ni Ukraine ni nation ukrainienne. Ce pays fait partie de l’Empire russe : « La Russie est le seul garant de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. » « S’ils veulent négocier, qu’ils le fassent. Mais nous ne le ferons que sur la base de nos intérêts. »
Plus récemment encore, le 4 mars dernier, Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité de Russie, le plus extrémiste du clan poutinien, celui qui exprime le plus clairement son côté délirant, a développé dans une conférence dont le titre était « Frontières géographiques et stratégiques », la vision impériale du pouvoir russe actuel et les raisons pour lesquelles « l’Ukraine est évidemment russe ». Medvedev établit une différence entre frontières géographiques et frontières stratégiques. Les premières correspondent à ce que sont les frontières actuelles de la Russie proprement dite, telles qu’elles sont reconnues par le droit international. Or, selon lui, l’influence des grandes puissances souveraines s’étend bien au-delà de leurs frontières géographiques, ce qui lui permet de donner une interprétation maximaliste du « monde russe » (Russkiy Mir). L’étendue des frontières stratégiques dépend de la puissance et du degré de souveraineté de l’État en question. Plus l’État est puissant, plus ses frontières stratégiques s’étendent loin au-delà de ses frontières géographiques et plus large est la sphère de son influence économique, politique et socio-culturelle. Medvedev reprend ainsi à son compte la vision de Poutine dans laquelle les États faibles, comme l’Ukraine, qui ne sont pas capables d’imposer leur volonté aux autres, n’ont qu’une souveraineté tronquée. Pour cette raison « les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ». En effet, ce pays est en train d’annexer totalement la Biélorussie, de menacer la Moldavie et de provoquer les pays baltes qui sont membres de l’Union européenne. Quant à l’Ukraine elle-même, tous les territoires qui se situent sur la rive gauche du Dniepr et plusieurs de ceux qui se situent sur la rive droite font partie intégrante, selon Medvedev, des frontières stratégiques de la Russie. Parlant avec en toile de fond une carte de l’Europe de l’Est postée sur Telegram en juillet 2022, il confirme ainsi que la Russie n’a jamais varié sur ses objectifs maximalistes ni sur son intention de détruire l’Ukraine. Il pourrait subsister provisoirement un État ukrainien croupion autour de Kiev mais sans Kiev (« vieille ville russe »), État croupion qui pourrait par la suite être attaqué.
Rappelons que Poutine a donné récemment une définition de Russkiy Mir comprenant également des parties de la Pologne, de la Finlande et de la Moldavie et qu’il avait jadis considéré la perte des États baltes comme une catastrophe pour la Russie. Medvedev indique enfin que l’intérêt de la Russie pour l’Ukraine est moins dû à ses richesses qu’à la volonté de contrôler son peuple, comme on le voit dans les territoires occupés où la politique de russification est menée sauvagement. Le concept même d’un État souverain ukrainien et d’une identité nationale ukrainienne non russe doit « disparaître pour toujours ».
Plus généralement, il faut rappeler que la Russie poutinienne s’est déclarée ouvertement en guerre contre l’Europe et le monde occidental. La lecture du livre de Timothy Snyder, La Route pour la servitude, dont Dominique Schnapper a rendu compte sur Telos, nous montre que cette guerre est menée très sérieusement et depuis longtemps. Comme l’a dit le président Macron, elle semble aujourd’hui « inarrêtable ». Or, face à cette volonté expansionniste, notre premier rempart, aujourd’hui le plus solide, est l’Ukraine elle-même. Notre destin est donc étroitement lié à elle. Poutine ira jusqu’au bout car l’annexion de l’Ukraine est à ses yeux indispensable à la survie de la Russie. Ne pas l’arrêter maintenant obligera à l’arrêter demain dans des conditions plus difficiles. Ce n’est pas seulement le peuple ukrainien que l’on défend aujourd’hui mais l’Europe démocratique elle-même. La disparition de l’un entraînera à plus ou moins longue échéance la disparition de l’autre car la différence entre un État national démocratique et un État impérial dictatorial est que ce dernier ne s’arrête pas de lui-même. Il faut l’arrêter. Chacun ou presque a désormais compris que le dessein du despote russe est de liquider purement et simplement l’Ukraine comme nation, comme pays, comme culture. Ses voisins, baltes, polonais, moldaves, géorgiens, finlandais, norvégiens sont profondément inquiets et la Finlande et la Suède, vieux pays neutres, ont fini par adhérer à l’OTAN face à l’envahisseur russe.
Comment dans ces conditions interpréter l’appel de Bompard à négocier avec Poutine ?
Une première hypothèse est qu’il ne suit pas de très près le déroulement de la guerre en Ukraine et les déclarations des dirigeants russes. Que ce serait par ignorance qu’il s’exprimerait ainsi. Il est cependant très peu probable que le dirigeant d’un parti important soit à ce point mal informé.
Une seconde hypothèse paraît plus crédible. Lui et son parti ne considèrent pas l’enjeu ukrainien comme très important. Que le peuple ukrainien soit réintégré de force à la Russie – et on peut imaginer facilement ce que cela signifie – ne représenterait pas pour eux une catastrophe géo-politico-stratégique.
Deux arguments peuvent soutenir cette hypothèse. Le premier est que Jean-Luc Mélenchon a appelé depuis longtemps la France à quitter l’OTAN et que, jusqu’à une date récente, il défendait l’idée d’un partenariat stratégique avec Moscou, estimant que notre pays serait mieux protégé par la Russie que par les États-Unis. Le second est que LFI s’oppose depuis l’invasion Russe à la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine alors qu’elle ne peut ignorer que, dans la phase actuelle de la guerre, sans ces armes l’Ukraine risque fort d’être à terme détruite par la Russie. Ces positions laissent ainsi penser que les Insoumis ne sont pas disposés à empêcher à tout prix la défaite de l’Ukraine, préférant même une Ukraine dans le giron russe que dans l’Alliance atlantique.
Non, ce n’est sans doute pas par ignorance que Manuel Bompard appelle à des négociations avec Poutine qu’il sait par ailleurs impossibles. Le pacifisme est toujours naturellement populaire. Il cache parfois cependant de plus sombres desseins.
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