Les Italiens choisissent le buongoverno contre les populistes edit
Les résultats des élections régionales (en Toscane, dans les Pouilles, en Vénétie, en Ligurie, en Campanie, dans les Marches et dans le Val d’Aoste) constituent un succès pour le Parti démocrate alors que la droite espérait s’emparer de plusieurs régions détenues par le centre gauche et d’abord de la Toscane. Le PD a aisément conservé cette région ainsi que la Campanie et les Pouilles. Il n’a certes conquis aucune nouvelle région et en a même perdu une, les Marches, mais c’est son candidat qui s’est imposé au poste de gouverneur dans les trois régions où le centre gauche l’a emporté.
Au sortir de ces élections le PD affirme sa supériorité sur ses alliés Cinq Étoiles dont les élus au Parlement issu des élections de 2018 dominent la majorité. La position du parti dans la coalition se trouve ainsi renforcée. On peut même dire que le rapport de force avec les Cinq Étoiles est inversé. Aussi s’attend-on désormais à ce que Nicola Zingaretti, le secrétaire du PD, impose certains choix qui lui tiennent à coeur, à commencer par l’acceptation du MES (le prêt de 37 milliards de l’UE pour soutenir le système de santé) ou la révision du décret Sécurité de Salvini? Plus que jamais, le PD devrait aussi figurer dans la cabine de pilotage des Recovery funds européens, dont la bonne utilisation sera l’enjeu majeur pour l’Italie durant les deux prochaines années.
Les grands perdants de ces élections sont les représentants les plus emblématiques du populisme anti-politique et démagogique, la Ligue et les Cinq Etoiles. Matteo Salvini, le leader de la Ligue, rate son objectif affiché de « prendre » la Toscane comme il avait raté celui de conquérir l’Émilie-Romagne en janvier, et il perd même là où il gagne, comme en Vénétie, avec le triomphe attendu de son grand rival Luca Zaia (représentant de la Ligue vénétienne qui obtient près de 45% ) alors que sa propre liste est humiliée avec un petit 17%. Les scores réalisés aux conseils régionaux par la « Ligue de Salvini » sont bien en-dessous des attentes et indiquent un net recul du mouvement, particulièrement marqué dans le Sud, que l’ancien parti régionaliste devenu nationaliste avait commencé à conquérir en 2018.
Le mouvement Cinq Étoiles est l’autre perdant de ces consultations régionales. Les électeurs ont désavoué le refus des états-majors de nouer des alliances avec le PD alors que les deux forces politiques gouvernent ensemble à Rome, refus assumé au risque de faire gagner la droite, partout rangée derrière un candidat unique. Ils ont été nombreux, notamment en Toscane et dans les Pouilles, à choisir le vote utile en faveur du candidat démocrate, mieux placé pour l’emporter. Dans la seule région – la Ligurie – où un accord avec le PD a été trouvé sur un candidat commun, un journaliste présenté par les Cinq Étoiles, celui-ci a subi une lourde défaite. La possibilité d’indiquer sur le bulletin de vote à la fois une préférence pour un candidat gouverneur et pour une liste de candidats au conseil régional n’a pas pour autant épargné le mouvement dont les listes réalisent partout des scores à un seul chiffre, confirmant son net recul, déjà patent aux élections européennes d’il y a un an.
Il faut ajouter les résultats des listes d’Italia Viva, la petite formation créée par l’ancien chef du gouvernement PD, Matteo Renzi, qui risquait de compromettre les chances de succès de la gauche en présentant des candidats alternatifs dans la moitié des régions. Ces listes ont obtenu des scores piteux, sauf en Campanie où Italia Viva atteint 7%.
L’autre enseignement intéressant de ces élections régionales est que, dans cette période marquée par l’épidémie du COVID 19, qu’il s’agisse de la gauche ou de la droite, les têtes de listes qui l’ont emporté étaient reconnues comme ayant bien géré la situation. La crise du Covid a remis au centre la compétence, l’expérience politique et professionnelle, et bénéficié aux gouverneurs de régions qui se sont illustrés par leur bonne gestion[1]. On l’avait déjà vu en janvier dernier avec l’échec de la Ligue de Salvini à détrôner Stefano Bonaccini, le très populaire gouverneur démocrate d’Émilie-Romagne, reconnu pour ses compétences. On l’a vu de nouveau ce weekend dans l’autre bastion de la gauche qu’est la Toscane, avec le même échec de la candidate de la Ligue, Susanna Ceccardi, pupille de Matteo Salvini, à ravir la victoire au candidat du PD Eugenio Giani. Nul doute que celui-ci a bénéficié du jugement très positif porté par les électeurs toscans sur le gouvernement régional démocrate sortant, en particulier, mais pas seulement, au regard de sa gestion du Covid et de la bonne tenue du système sanitaire (dirigé par les régions en Italie). Sa très longue carrière politique à Florence ne semble pas non plus l’avoir desservi, malgré les efforts de la candidate léguiste pour le dépeindre comme un représentant de la caste locale.
Le même constat peut être fait pour les autres gouvernements régionaux confirmés de centre-gauche, qu’il s’agisse de Michele Emiliano (PD) dans les Pouilles, reconnu bon gestionnaire du Covid (en ayant choisi notamment de s’appuyer sur un épidémiologiste renommé) et modèle pour le Sud en matière de capacité à faire profiter sa région des fonds européens (un problème crucial dans le mezzogiorno), ou de l’inclassable (mais soutenu par le PD) Vincenzo De Luca en Campanie, plébiscité lui aussi pour sa bonne administration lors de la pandémie et son charisme indiscutable.
Il en a été de même pour les gouverneurs de droite confirmés : le très populaire Luca Zaia de la Ligue en Vénétie, qui atteint le meilleur score jamais obtenu par un gouverneur régional (près de 77% des suffrages) et s’est illustré par sa compétence hors-norme dans la lutte contre la pandémie avec une politique précoce de tests et d’isolement, faisant ainsi de la Vénétie le miroir inversé de la Lombardie (gouvernée par le salvinien Attilio Fontana). De même pour Giovanni Toti en Ligurie qui a su habilement capitaliser le succès de la reconstruction du pont Morandi. Inversement, la seule région qui a basculé, les Marches, avait connu un procès en mauvaise administration, en vérité consommé il y a un an avec la démission forcée du gouverneur régional PD, très critiqué pour son incurie dans la gestion des suites des tremblements de terre qui ont ravagé le centre de l’Italie en 2016 et 2017. Dans cette terre gouvernée par la gauche depuis un quart de siècle, le candidat du PD a échoué contre celui de Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia), soutenu par l’ensemble de la droite.
Au référendum qui se tenait en même temps que les élections régionales et qui portait sur la réduction du nombre de parlementaires (de 630 à 400 à la Chambre des députés et de 315 à 200 au Sénat), le oui l’a emporté largement avec 70%. Cette victoire ne peut cependant être considérée seulement comme une victoire des populistes « anti-caste » qui étaient à l’origine de cette consultation . Le PD avait appelé à voter oui, prix de l’accord de gouvernement qu’il avait passé avec Cinq Etoiles après la chute de la coalition « jaune-verte » (Ligue - Cinq Etoiles) en août 2019. Au cours de la campagne, les discours en faveur du oui ont perdu beaucoup de leurs accents populistes, le PD et de nombreuses personnalités politiques, intellectuels et constitutionnalistes avançant en sa faveur des arguments beaucoup plus raisonnés. Symétriquement, la campagne du « non », qui pouvait aussi se prévaloir de soutiens prestigieux dans la classe politique et intellectuelle, et dans la plupart des médias, a contribué à élever le niveau du débat et a conduit les Italiens à réfléchir aux problèmes de leurs institutions, à commencer par le Parlement. Avec comme résultat une victoire du « oui » moins écrasante que prévu, les sondages de l’Institut Demos lui donnant 82 % fin août, et bien en-deçà du vote parlementaire de la réforme en octobre dernier, qui avait frôlé l’unanimité. Cette campagne a permis ainsi d’amorcer un véritable débat sur la critique des institutions représentatives et sur l’antipolitique.
L’ensemble de ces consultations montre que le vent de l’anti-politique souffle moins fort dans l’Italie post-Covid. L’alliance du PD et de Cinq Etoiles devrait se trouver consolidée, avec l’affirmation de l’aile gouvernementale, non protestataire, de ce mouvement, désormais incarnée par Luigi Di Maio, vainqueur incontesté du référendum. Au final, c’est le gouvernement Conte, allégé de sa charge populiste et démagogique, qui est stabilisé et peut connaître un nouveau départ. L’immense opportunité offerte à la coalition au pouvoir par l’arrivée de la manne européenne et la réduction drastique du nombre de parlementaires qui n’incite pas la classe politique à recourir aux élections anticipées, joueront sans doute fortement en faveur de son maintien jusqu’à la fin de la législature en 2023.
[1] L’analyse qui suit ne prend pas en compte la septième région qui réélisait son exécutif et son parlement régional, à savoir le Val d’Aoste, trop sui generis.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)