Italie: moins désastreux que ça en a l'air edit
Une chose doit être claire : le budget annoncé par le gouvernement italien est mauvais. Accroître le déficit quand la dette dépasse 130% est un risque énorme. Le faire pour des dépenses qui vont encore réduire une productivité stagnant ou déclinant depuis au moins une décennie n’est pas intelligent. Même réduite, la version italienne du revenu universel consiste à payer les gens pour ne pas travailler et coûte cher, ce qui n’est pas destiné à une utilisation efficace des ressources humaines. Réduire l’âge de départ à la retraite va dans le même sens et détruit pour longtemps la faisabilité politique de l’inévitable mouvement en sens inverse courageusement entamé en 2011 (la Loi Fornero). Comme le gouvernement démantèle en même temps la loi Travail italienne (communément appelée Jobs Act) de 2015, la coalition au pouvoir promet des jours sombres pour l’économie italienne.
Le déficit sera sans doute plus important en 2019 que ce qu’annonce le gouvernement italien. D’abord parce que ses hypothèses de croissance sont très optimistes, comme viennent de le confirmer les chiffres publiés aujourd’hui par l’Istituto nazionale di statistica. Ensuite parce que les taux d’intérêt ont d’ores et déjà beaucoup augmenté, reflétant les inquiétudes des marchés financiers, ce qui va alourdir le service de la dette. Enfin parce que ce gouvernement très instable sera sans doute amené à glisser d’autres dépenses en cours d’exécution du budget.
Cela dit, les traditionnels partis politiques italiens se sont effondrés. La coalition qui a pris le pouvoir, l’alliance de la carpe nationaliste et raciste et du lapin populiste teinté de marxisme, a remporté les élections haut la main. Ils l’ont fait sur des promesses électorales clairement énoncées. Toute la question, depuis lors, était de savoir ce qu’ils allaient vraiment faire, et le budget allait fournir un test important de leurs intentions. Allaient-ils creuser profondément le déficit et défier ainsi le Pacte de stabilité européen ou bien seraient-ils intimidés par les avertissements de la Commission, soutenue par les autres pays membres, et par la nervosité des marchés financiers, dont ils ont besoin pour financer le déficit ? Ils ont choisi une voie médiane. Ils sortent des clous européens, mais pas vraiment beaucoup. Si l’on réalise que les promesses électorales étaient catastrophiques, c’est une bonne nouvelle. Ils sont économiquement moins déraisonnables que l’on ne le craignait et plus subtils politiquement qu’ils en avaient l’air.
Ce budget promet une relance de l’activité économique, qui n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2007, avant la crise. Mais, contrairement aux États-Unis qui exécutent la même manœuvre alors que le pays est en plein boum économique, une relance budgétaire n’est pas nécessairement un non-sens. On peut discuter des multiples raisons qui pourraient bien atténuer l’effet de la relance – par exemple le renchérissement du crédit provoqué par la remontée du taux d’intérêt – le soulagement sera bien réel même si ce ne sera pas suffisant pour générer des rentrées fiscales qui feront que le déficit sera autofinancé, comme le prétend le gouvernement. On peut craindre que le taux de chômage ne baisse pas beaucoup, ne serait-ce que parce que la destruction du Jobs Act va modérer les embauches, mais les chômeurs qui trouveront un emploi apprécieront la manœuvre. Ces effets ne dureront qu’un temps, et leurs conséquences seront ensuite négatives. Mais le gouvernement aura montré sa préoccupation pour les victimes de la politique d’austérité en place depuis 2011, précisément celle qui a engendré une révolte contre les élites technocratiques. Avoir techniquement raison est une chose, obtenir l’assentiment des électeurs en est une autre. Les élections sont la conséquence directe de cet échec, qui n’est pas propre à l’Italie.
Que va-t-il se passer, maintenant. Le gouvernement italien a très ouvertement défié la Commission européenne, gardienne des traités et, en particulier, du Pacte de stabilité. Poussée par les pays vertueux du Nord, elle va déployer sa panoplie d’injonctions et de menaces. Mais le pacte est faible et les mesures de rétorsion sont lentes. De plus, dans quelques mois, les élections européennes arrivent. Tous les gouvernements sont tétanisés face la possibilité d’une montée en puissance des partis populistes. Si elle se produit, la prochaine Commission aura une allure bien différente de celle qui finit son existence. Non seulement cela relativise les moyens d’action de la Commission actuelle, mais ouvrir un conflit dur avec le gouvernement italien serait politiquement dangereux. Donner l’impression de le martyriser ne fera que renforcer l’euroscepticisme, le fonds de commerce des partis populistes. Quant au Pacte de stabilité, il est moribond. Il existe désormais un large accord pour considérer qu’il a est né mal-conçu et qu’il est devenu outrageusement complexe et donc opaque. La seule raison de sa survie est qu’il n’existe aucun accord sur la formule pour le remplacer. L’appliquer rigoureusement à l’Italie est évidemment très tentant, mais cela n’en fera pas un bon outil.
Comme souvent, les marchés financiers vont jouer un rôle important. Très vite après l’élection, de nombreux investisseurs ont pris peur. C’est ce qui a fait monter les taux d’intérêt sur la dette publique. La dégradation de la note par les agences de cotation fait partie de ce mouvement. Que des dégradations supplémentaires classent la dette dans la catégorie dangereuse est possible. À ce moment, de multiples fonds d’investissement institutionnels seront tenus par la réglementation de vendre tout ce qu’ils détiennent. Cela pourrait bien se terminer par l’impossibilité pour le gouvernement d’emprunter quoi que ce soit. Ce serait alors une crise. Les banques italiennes, dont certaines sont déjà réputées bien fragiles, ne pourraient pas non plus se procurer les liquidités dont elles ont besoin pour fonctionner normalement. Elles devraient alors demander une aide d’urgence à la BCE, qui se retrouvera alors au cœur du cyclone. De toute façon, le gouvernement italien devra alors demander aux Européens, et peut-être au FMI, une aide d’urgence. Une telle aide ne pourra être accordée que sous conditions, et ces conditions ne pourront qu’aller à l’encontre des promesses électorales de la coalition, ce qui déclenchera une crise politique.
C’est bien parce que ce scénario est parfaitement connu de tous qu’il a peu de chances de se réaliser. Les marchés devront en être convaincus. Bien sûr, ils resteront inquiets du niveau de la dette et, surtout, du rythme de son accroissement. Mais ils suivront de près les discussions entre le gouvernement italien et la Commission, qui pourraient être pimentées, de temps à autre, par des déclarations de la part des politiques dans les autres pays membres. C’est là que le signal envoyé par le budget peut nous guider. Si le gouvernement est attaché à ne pas faire monter la pression, et si la Commission fera preuve de prudence, un scénario qui ressemble au pugilat entre Varoufakis et Schäuble est exclu. Dans ce cas les taux d’intérêt se détendront un peu et l’on s’acheminera vers une situation relativement normalisée.
Elle sera instable, cependant, pouvant brutalement basculer vers une crise. Les risques sont nombreux. Les élections européennes pourraient être propices à des effets de manche, en Italie comme ailleurs. Arriveront ensuite des nominations aux postes importants, surtout la présidence de la Commission et celle de la BCE. Le cas de l’Italie fera partie des considérations qui interviendront dans ces choix. Des dissensions entre les membres de la coalition gouvernementale italienne sont plus que probables. Confirmeront-elles la modération dont elle vient de faire preuve ?
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