Les nouveaux enjeux de la démocratie américaine edit
Aux États-Unis, les mois d’été ont été marqués par d’importants événements politiques qui ont apporté des causes d’espoir et des motifs de préoccupation pour des citoyens en mal de repères et soucieux de l’avenir de la démocratie dans leur pays. Si les perspectives des midterm de novembre restent négatives pour les Démocrates, il n’en va pas de même pour de futures échéances qui pourraient faire apparaître des changements culturels profonds.
Un parti républicain dominé par Trump
Les primaires républicaines de juillet et août ont montré que l’influence de Trump restait dominante, au moins sur la fraction des électeurs qui prennent la peine d’aller voter dans ces scrutins et qui sont en général plus radicaux et plus acquis à l’ancien président. Dans la plupart des votes, le candidat soutenu par l’ancien président l’a emporté sur des adversaires plus modérés. C’est notamment le cas dans un État-clé, le Wisconsin, où Tim Michels a défait, pour la candidature au poste de gouverneur, Rebecca Kleefisch qui bénéficiait de l’appui de Mike Pence, l’ancien vice-président de Trump. Au surplus, la plus ferme adversaire républicaine de Trump, Liz Cheney, a perdu la primaire du Wyoming en recueillant que 30% des voix contre 67% pour son adversaire.
De même, les candidats qui ont été sélectionnés pour différents postes dans les États ou pour des sièges au Congrès ou au Sénat ont défendu au moins pour les deux tiers d’entre eux, selon une enquête du Washington Post, des positions outrancières sur le scrutin présidentiel de 2020, reprenant les allégations sans preuves de Trump selon lequel il y a eu des fraudes massives et son élection a été volée au profit de Biden.
Ces données concernant l’électorat républicain sont complétées par une vaste étude d’opinion sur l’ensemble de l’électorat, qui a été menée dans 14 États-clés et publiée par le Washington Post du 7 août dernier. Ce sondage fait apparaître, une fois de plus, la mauvaise image de Biden dont l’action est désapprouvée par 46% des sondés alors que seulement 19% l’approuvent. De même il confirme que l’état de l’économie reste la préoccupation majeure pour 46% des sondés qui se sentent menacés par la montée inexorable de l’inflation.
La Maison Blanche et la direction du parti démocrate espéraient que l’adoption par le Congrès et le Sénat d’un important dispositif législatif, destiné notamment à combattre le réchauffement climatique et à améliorer l’organisation du système de santé, aurait un impact positif sur l’image du président et du parti. Il n’en a rien été. La hausse des prix et les menaces de récession continuent de monopoliser l’attention de l’opinion, tandis que l’électorat républicain reste très majoritairement sous l’emprise de Trump.
Sur le court terme, il apparaît donc que rien ne peut arrêter une nette victoire des Républicains qui devraient reprendre la majorité au Congrès. En ce qui concerne le Sénat, le succès n’est pas garanti car certains candidats de ce parti risquent l’échec en raison de leurs positions extrémistes sur l’interdiction de l’avortement et le contrôle des armes à feu.
La crise culturelle du parti républicain
C’est précisément l’état de l’opinion sur ces sujets de société qui fait apparaitre une faille dans le positionnement du Parti républicain et peut menacer son influence électorale sur le long terme et sans doute dès l’échéance de 2024.
Le sondage déjà mentionné dans le Washington Post contient en effet des indications intéressantes sur ce point. Il indique que la question du droit à l’avortement vient en deuxième position dans l’ordre des priorités, après l’inflation, pour la majorité des électeurs démocrates et indépendants. Il montre aussi que la question du contrôle des armes à feu est aussi un sujet important de préoccupation pour ces deux catégories. Or il convient de rappeler que si les électeurs classés républicain ou démocrate représentent chacun environ un tiers du corps électoral, le troisième tiers est composé d’indépendants dont les votes oscillent entre les deux partis, en fonction de la nature des sujets. Globalement, les indépendants font plus confiance aux Républicains pour la gestion de l’économie mais ils soutiennent plutôt les Démocrates sur les sujets de société.
Certains observateurs américains en tirent la conclusion que la guerre culturelle que se livrent les deux partis depuis un quart de siècle pourrait changer de nature à la suite de l’arrêt Dobbs de la Cour suprême qui met un terme au droit universel à l’avortement autorisé par l’arrêt Roe vs. Wade de 1973.
Pendant plusieurs décennies, le Parti républicain a utilisé avec succès l’arme de l’abolition du droit à l’avortement pour motiver ses troupes et obtenir l’appui inconditionnel des puissantes congrégations baptistes du Sud et, dans une moindre mesure, de l’Église catholique. Depuis que cette victoire a été acquise, le parti a perdu une arme culturelle essentielle et ne dispose pas de solution de remplacement aussi mobilisatrice.
Ce qui est encore plus préoccupant pour les Républicains, c’est la nécessité de gérer de manière responsable, au niveau des Etats, la réglementation du droit à l’avortement, le cadeau empoisonné que leur a adressé la Cour Suprême. Alors que 65% de l’opinion est hostile à une interdiction totale, les gouverneurs et les assemblées d’État doivent freiner l’action des zélotes de l’interdiction qui sont bruyants mais ultra minoritaires et proposer des solutions de compromis qui leur permettent de conserver le soutien d’au moins une partie des indépendants et notamment l’électorat jeune et féminin. De ce point de vue, l’exemple du Kansas, un État profondément républicain qui a pourtant rejeté à une large majorité un projet d’interdiction totale, est analysé avec attention par les stratèges des deux partis, de même qu’une élection partielle dans une circonscription plutôt conservatrice de l’État de New York qui a été largement remportée par un Démocrate.
Ainsi, et pour la première fois depuis la fin du XXe siècle, le parti républicain va affronter ses adversaires sur des thèmes culturels qui ne mobilisent qu’une minorité de l’opinion et suscitent le rejet de la majorité : le fait que le scrutin de 2020 aurait été truqué et l’image très négative de Trump chez les électeurs indépendants, la restriction drastique du droit à l’avortement, le refus de la réglementation de l’usage des armes à feu.
Majorité culturelle et majorité politique
Cette évolution est évidemment accueillie avec soulagement par les Démocrates. Ceux-ci affrontaient les midterm et les futures présidentielles avec le double handicap d’un bilan économique médiocre et de batailles perdues sur la réforme des polices municipales et les droits des parents sur l’éducation de leurs enfants. Or dans les primaires démocrates les électeurs ont tranché en faveur de positions plus centristes. Il apparaît donc désormais que les affrontements des prochaines années porteront moins sur les prises de position des démocrates que sur des options républicaines qui semblent de plus en plus difficiles à défendre face à une opinion hostile ou sceptique.
Cette situation nouvelle ne signifie pourtant pas que tous les maux de la démocratie américaine soient résorbés. Dans un article retentissant du New Yorker du 20 août dernier, l’essayiste Louis Menand montre que si les Démocrates sont largement majoritaires sur le plan national et le seront peut-être encore plus dans l’avenir, compte tenu du décalage croissant de l’idéologie républicaine avec l’opinion publique, le fonctionnement inégalitaire et discriminatoire du système électoral confère des avantages importants aux Républicains. C’est ainsi que les élections locales et la composition du collège électoral présidentiel leur apportent des succès récurrents et injustifiés qui leur permettent notamment de contrôler des assemblées locales alors qu’ils sont très minoritaires en voix.
La question qui se pose désormais est de savoir si ce système bancal où une minorité impose ses critères socioculturels à un pays en pleine mutation peut subsister longtemps. La crainte de Louis Menand et de beaucoup d’autres observateurs est que cette situation dangereuse soit durable et vide de sens les institutions politiques.
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