États-Unis: le parti républicain pris à son propre piège edit
Les élections de mi-mandat constituent toujours une étape importante aux États-Unis. C’est en fonction de leur résultat qu’on peut mesurer la capacité d’agir du président. À mi-mandat, le président Clinton perdit cinquante-deux sièges au Congrès. Dans les mêmes circonstances Obama en perdit soixante-trois. Dans les deux cas, l’hôte de la Maison-Blanche fut paralysé jusqu’à sa réélection car aux États-Unis, contrairement à la France, les deux Assemblées, Chambre et Sénat disposent de pouvoirs considérables, notamment en matière budgétaire.
Cette année, le parti démocrate aura moins souffert que sous Clinton et Obama. Même s’il a très certainement perdu la majorité à la Chambre, il a conserve le Sénat. Ce résultat ambigu est sans doute la conséquence d’une guerre culturelle qui, pour la première fois depuis longtemps, se déroule au détriment du parti républicain, et laisse ouvertes les options pour les présidentielles de 2024 – présidentielles dont Trump, c’est l’une des leçons de ce scrutin, sera probablement absent.
Le reflux du trumpisme
Avant le scrutin du 8 novembre, tous les sondages montraient que l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat constituaient la préoccupation majeure des électeurs et surtout des Républicains et des Indépendants. Par ailleurs, 54% avaient une mauvaise opinion de Biden. La combinaison de ces données laissait croire que les Républicains allaient bénéficier d’une puissante « vague rouge » (puisque le rouge est la couleur de ce parti contre le bleu pour les Démocrates).
Or cette vague n’a été en fait qu’un modeste sursaut permettant aux Démocrates de conserver, contre toute attente, de nombreuses positions de gouverneur ou de sénateur dans les États. Ce résultat surprenant s’explique avant tout par l’importance de facteurs culturels qui ont pesé sur les votes, et qui ont paru plus déterminants à beaucoup d’électeurs que les seules préoccupations économiques.
Cette situation a desservi les Républicains, piégés par le rôle excessif joué par Donald Trump. Alors que les stratèges du Grand Old Party voulaient mettre l’accent sur le mécontentement de la population face à des hausses vertigineuses des prix et à la progression de la délinquance dans les métropoles, l’ancien président est resté sur la rhétorique des deux dernières années, qui tourne autour de sa propre personne. Il n’a cessé d’insister, dans de multiples meetings, sur le fait que l’élection de 2020 avait été « volée » et que Biden n’avait pas été vraiment élu. Il a soutenu avec véhémence les candidats au Congrès et au Sénat qui reprenaient sa thèse, les « deniers », donnant ainsi l’impression aux électeurs indépendants, qui représentent 40% du corps électoral, que seul comptait le destin de l’ancien président et qu’on ne se souciait pas de leur sort.
Il est significatif à cet égard que les candidats soutenus par l’ancien président ont rencontré beaucoup d’échecs. Certes, C. J. Vance a été élu sénateur de l’Ohio grâce à Trump, mais en Pennsylvanie, un État-clé, les candidats pro-Trump aux postes de gouverneur et de sénateur ont été sèchement battus.
Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les sondages d’après scrutin montrent une nouvelle chute de popularité de l’ancien président qui n’a recueilli que 37% d’opinions favorables contre 43% pour Biden. Au surplus, comme l’a souligné le New York Times dans son édition du 10 novembre, un certain nombre de candidats rejetant le scrutin de 2020 ont été battus au profit de Démocrates modérés ou mis en difficulté : c’est le cas notamment de la très médiatique Kari Lake, ancienne journaliste de Fox News et candidate trumpiste au poste de gouverneur de l’Arizona.
La guerre culturelle se retourne contre les Républicains
Les Républicains, depuis plusieurs décennies déjà, ont cherché à déplacer le débat politique vers des enjeux sociétaux ou culturels dont le plus emblématique était le droit à l’avortement. Pendant longtemps ce calcul a joué à leur avantage. Pendant trente ans, leurs attaques contre le droit à l’avortement leur a permis de conforter leur alliance avec la puissante communauté évangélique qui représente un quart du corps électoral et domine les Etats du Sud, ainsi qu’avec la frange la plus catholique des hispaniques, très représentée également dans les États du Sud. Mais pour avoir poussé cet avantage trop loin, avec des nominations controversées de juges très conservateurs à la Cour Suprême, ils se retrouvent aujourd’hui pris en porte-à-faux.
L’arrêt Dobbs de la Cour Suprême, qui renvoie aux États la responsabilité de réglementer le droit à l’avortement, a eu des conséquences inattendues. Paradoxalement, la victoire que leur a accordé une Cour ultra conservatrice les a privés d’un argument qui s’était révélé très mobilisateur au cours des dernières décennies dans le cadre de la guerre culturelle menée contre les Démocrates. En revanche, l’arrêt Dobbs a mobilisé l’électorat démocrate et beaucoup d’indépendants car les deux tiers des Américains sont hostiles à l’interdiction de l’avortement et souhaitent le maintien d’une législation favorable aux droits des femmes. Les sondages de sortie des urnes ont d’ailleurs montré que le droit à l’avortement était prioritaire pour les électeurs démocrates, loin devant la lutte contre l’inflation. Il faut noter ici que deux États très conservateurs, le Kentucky et le Montana, ont refusé par référendum l’interdiction de l’avortement.
L’analyse du scrutin montre donc une fois de plus l’importance dans les votes des critères autres qu’économiques et souligne l’ampleur des défis que doit relever le parti républicain, confronté aux limites de sa stratégie ultraconservatrice, d’une part, et du populisme trumpiste, d’autre part.
Il est clair que le culte de la personnalité dont a bénéficié Trump depuis six ans et qui a servi de doctrine au parti est de moins en moins accepté par une grande majorité de la population, même si l’électorat républicain de base reste fidèle à l’ancien président. Toutefois, cet électorat, dominant dans les primaires, est de plus en plus minoritaire au sein d’une opinion lassée des rodomontades d’un personnage qui ne propose rien d’autre que l’admiration de sa propre personne.
Cette évolution peut être facilitée par la montée en puissance de Ron De Santis. Ce dirigeant républicain de 44 ans a été réélu triomphalement gouverneur de la Floride avec 20% de plus que son adversaire démocrate. Même s’il se situe très à droite, il a su tenir compte habilement de l’évolution culturelle de ses électeurs. Il ne s’est pas prononcé sur le scrutin volé de 2020 et il est resté cette fois très discret sur la question de l’avortement, alors qu’il en avait fait une des clés de son positionnement lors des élections précédentes.
En revanche, il a mis l’accent sur la nécessité de mieux contrôler le contenu des manuels scolaires et des livres mis à la disposition des élèves, répondant en cela à une revendication d’une partie de la droite qui craint l’endoctrinement des enfants par un « progressisme » considéré avec suspiscion. Ainsi, il a su exploiter un des rares arguments dont dispose encore le parti républicain dans son affrontement sur les valeurs contre les Démocrates et il prend clairement position pour la prochaine présidentielle.
Un parti sur la défensive
Néanmoins, cela risque de ne pas être suffisant pour les présidentielles de 2024 qui vont maintenant dominer l’attention des politiques. Pour la première fois depuis Reagan, le parti républicain est sur la défensive et va devoir énoncer des réponses crédibles aux attaques du parti démocrate sur des sujets de société qui intéressent une majorité de la population et qui seront encore d’actualité dans deux ans. C’est le cas du droit à l’avortement mais cela concerne aussi le contrôle des armes à feu et les droits des minorités sexuelles. Par ailleurs le soutien des communautés évangéliques et d’une fraction des catholiques devrait s’avérer de moins en moins déterminant, dans la mesure où l’affiliation religieuse ne cesse de baisser. Aujourd’hui, plus d’un quart de la population déclare n’avoir aucune attache religieuse, une situation totalement inédite aux États-Unis et le signe d’une évolution qui devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies.
Le parti démocrate dispose donc d’atouts sérieux pour l’emporter dans deux ans. Il lui reste à trouver la personnalité qui saura mobiliser son électorat et incarner les valeurs qui sont désormais celles de la majorité de la société. C’est là un autre défi pour lequel on ne dispose encore d’aucune réponse.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)