Contenir la Chine : le mauvais calcul d’Obama edit
Depuis novembre dernier, le TPP (Partenariat Trans-Pacifique) fait parler de lui. Cet accord, promu par les États-Unis pour réorienter le commerce en Asie-Pacifique, est vu par certains comme un ferment porteur de grandes innovations dans la gestion du commerce mondial. D’autres, plus inquiets, y voient l’instrument d’une confrontation géopolitique inquiétante entre Chine et États-Unis en pleine campagne électorale américaine, avec comme risque un émiettement accru du système commercial mondial. Qui a raison ?
L’argumentation en faveur du TPP se fonde sur trois arguments principaux. Le premier repose sur l’avantage à créer un groupe avancé de pays qui servirait de laboratoire pour faire avancer les règles du commerce mondial au-delà des points forts traditionnels de l’OMC (à savoir le commerce des biens et notamment des produits manufacturés). Il s’agirait de développer de nouvelles règles pour faciliter le commerce des services, pour encourager les investissements et la protection de la propriété intellectuelle, ou encore pour harmoniser les standards techniques qui seront les obstacles commerciaux de demain.
Ensuite, le TPP est censé symboliser l'engagement économique des Etats-Unis en Asie, zone qui générera plus de 60% de la croissance mondiale dans la décennie à venir et pôle de plus en plus central pour le commerce mondial. Depuis le milieu des années 2000, les États-Unis ont perdu leur position de partenaire dominant pour la plupart des pays d’Asie de l’Est, y compris le Japon, au profit de la Chine. Les modèles d’économistes comme Peter Petri montrent que les échanges commerciaux trans-régionaux entre Asie et continent américain ont plus de potentiel pour générer des gains de richesse que les échanges au sein de la seule région asiatique. Si le TPP peut encourager les flux entre les deux rives du Pacifique, il devrait participer à une augmentation de la richesse globale.
Enfin, le troisième argument en faveur du TPP est qu’il permet d’insuffler un nouveau dynamisme compétitif en Asie, puisqu’il met en concurrence le processus d’intégration régionale en Asie observé depuis presque une décennie – un processus centré sur l'ASEAN et la Chine avec un processus d’intégration commerciale trans-Pacifique.
Mais ces arguments stratégiques se heurtent en réalité à plusieurs écueils.
En premier lieu, l’accélération du TPP orchestrée au sommet de l’APEC à Hawaii en novembre dernier a été insérée dans une plus large offensive géopolitique des États-Unis en Asie. Cette offensive consiste pour les Etats-Unis à replacer la zone Asie en tête de leurs priorités géostratégiques pour y concurrencer systématiquement la Chine (« China containment »). Ainsi, les Etats-Unis ont-ils décidé depuis deux ans d’être bien plus actifs dans les conflits territoriaux de la mer de Chine méridionale et de développer une nouvelle relation avec le Vietnam et les Philippines ; ou encore de déployer des marines sur une base au nord de l’Australie. Cette coordination entre stratégie militaire et stratégie commerciale paraît cohérente et payante sur le plan de la politique intérieure américaine ; mais elle va à l’encontre des principes de base du commerce international, à savoir la recherche des gains réciproques entre pays différents. Au lieu de voir le TPP comme une source d’innovation commerciale, la Chine et nombre de pays d’Asie y ont vite vu une instrumentalisation du commerce au service de la politique étrangère américaine. Cette instrumentalisation fragilise le TPP. L’Indonésie ou la Corée par exemple ont fait savoir aux Etats-Unis qu’elles considéraient le TPP comme trop provocateur envers la Chine.
En second lieu, du fait de l’intention des Etats-Unis d’utiliser le TPP pour essayer de recentrer les flux commerciaux d’Asie vers les Etats-Unis et de regagner une part de terrain perdu face à la Chine, il devient essentiel d’y intégrer la deuxième puissance commerciale d’Asie après la Chine, le Japon. D’où les énormes pressions placées sur le Japon en novembre 2011 pour obtenir que le Japon rejoigne le TPP lors de la réunion d’Hawaii. Noda, le Premier ministre, a accepté cette démarche du bout des lèvres, soulevant immédiatement de fortes réactions au sein même de son parti, le parti démocrate du Japon (PDJ). A l’heure actuelle, les choses ont empiré à Tokyo. Le gouvernement Noda est empêtré dans sa bataille pour l’augmentation de la TVA et la consolidation fiscale (le taux d’endettement du pays ayant atteint 240% du PIB), alors même que son taux de soutien dans l’opinion a chuté sous la barre des 30%, que la crise énergétique est grave, et que le gouvernement ne contrôle pas la chambre haute du Parlement. Il n’y a pratiquement aucune chance que le gouvernement actuel puisse faire sauter le verrou agricole et d’autres verrous dans sa poursuite du TPP. Même les négociations commerciales avec l’Australie, plus simples que celles du TPP, commencées en 2007 en sont arrivées au 16e round et semblent très loin d’aboutir. Le 6 juin, Michael Froman, le conseiller adjoint pour la sécurité nationale américaine, semblait signaler que les Etats-Unis ne tenteraient plus de faire entrer le Japon immédiatement dans les négociations du TPP. On verra plus tard. Même traitement pour le Canada et le Mexique, ce qui confirme l'hypothèse d'une stratégie antichinoise.
De plus le TPP ne répond pas aux priorités des pays d’Asie de l’Est (ou de l’Inde). La réalité en Asie de l’Est est l’intégration graduelle des flux commerciaux avec la Chine, le Japon passant par exemple de 10% de ses exportations totales allant en Chine en 2000 (contre 30% vers les États-Unis), à 20-22% aujourd’hui (contre 15% vers les États-Unis) et sans doute 30% en 2020 (contre 10% vers les États-Unis). Malgré les efforts des pays de l'ASEAN, cette explosion des flux commerciaux de la zone Asie vers la Chine se fait dans un vide relatif d’institutions, par exemple en terme de traité de protection des investissements ou d’accord de libre-échange plus avancé que les règles de l’OMC (dans le cas Chine-Japon). Les pays limitrophes de la Chine ont donc un besoin urgent d’institutionnaliser leur relation avec la Chine, plutôt que de se lancer dans une politique de confrontation avec ce qui est la principale locomotive économique de la région.
Reste enfin la question de savoir ce que les Américains sont prêts à payer pour ce nouveau partenariat. Davantage d'ouverture de leurs marchés industriels ou agricoles ? Des concessions sur les normes américaines ? Aucune précision à ce stade des négociations, sans doute pour ne pas effaroucher le Congrès.
Le TPP semble donc bien avoir du plomb dans l’aile. C’est sans doute une bonne chose, car la logique du TPP, si elle devait aboutir, porte en elle deux implications négatives pour la gouvernance économique mondiale.
Il pourrait accélérer la fragmentation et la fragilisation du système commercial mondial centré sur l’OMC, du fait de son caractère exclusif, accentuant ainsi le processus de délaissement du Doha Round. La Chine vient d'ailleurs de réagir en annonçant un schéma d'accord Chine-Corée-Japon manifestement destiné à faire pièce au TPP. Il pourrait marginaliser l'Europe qui n'aurait plus d'autres choix que d'accepter sans discuter la proposition américaine d'un clone du TPP, le TAA (Trans-Atlantic Agreement).
Enfin, le TPP est de nature à accroître la méfiance entre États-Unis et Chine. Or, cette relation trans-Pacifique est la véritable clef de voûte du système économique et commercial mondial. Il serait sans doute plus important d’explorer toutes les pistes pour stabiliser et institutionnaliser cette relation, plutôt que de poursuivre une stratégie de confrontation. À moins que la Chine ne soit, pour les États-Unis, qu'une menace qui combine la hantise russe des années 60 et le cauchemar japonais des années 80 dont on sait ce qu'il est advenu.
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