Tibet: que dire? edit
L’opinion publique est une nouvelle fois confrontée au risque d’impuissance face à la répression chinoise au Tibet. Le débat a vite tourné sur l’opportunité de boycotter les jeux olympiques de Pékin et une fois de plus on s’interroge sur ce que l’on peut faire pour les droits de l’homme. A ceux qui n’ont pas de responsabilités politiques, revient la tâche de se demander que dire.
Face à cette nouvelle violation des droits de l’homme, la première objection que la souveraineté est encore le pilier du système international, quoi qu’en disent les militants des droits de l’homme ou les intellectuels, et que le droit international n’est pas capable d’imposer le respect des droits de l’homme. On entend aussi que les droits de l’homme ne seraient qu’un instrument politique pour permettre aux pays occidentaux de perpétuer leur hégémonie. Et leur prudence face à ce qui se passe au Tibet relèverait de la realpolitik. Ces critiques, bien que partiellement fondées, n’expliquent pas tout. Qui plus est, elles risquent de s’avérer stériles et de ne pas indiquer la solution au problème.
Tout d’abord, aucun État ne se cache plus derrière l’écran de la souveraineté. Dire que la violation des droits de l’homme relève de la souveraineté étatique n’est plus ni à la mode ni juridiquement convaincant. L’idée que le traitement des individus soumis à la juridiction d’un Etat puisse se soustraire au contrôle international est un argument que même les Chinois ont du mal à invoquer. Ce que l’on met en avant c’est la lutte contre le terrorisme. Cela permet d’avoir un peu plus de marge de manœuvre pour pouvoir déroger aux droits de l’homme – après tout lutter contre le terrorisme est une bonne cause, qui peut bien justifier quelques restrictions aux libertés fondamentales ! Peu importe que le terroriste tibétain de M. Hu Jin tao ne soit pas le terroriste de M. Bush ou de M. Poutine. Ce qui compte c’est d’avoir un ennemi à stigmatiser et d’autres considérations sécuritaires à avancer auprès du public pour justifier la répression.
Lorsqu’il est question de violations des droits de l’homme commis par un Etat qui n’appartient pas à la tradition juridique et politique occidentale, il faut toujours se prémunir contre l’objection du relativisme culturel. Certes, ce qui est un droit de l’homme pour les pays occidentaux ne l’est pas nécessairement pour un autre pays qui ne partage pas leur histoire, leur culture et leurs priorités politiques. Il y a néanmoins deux arguments qu’on peut utiliser pour contrer cet argument très à la mode et pourtant limité. D’abord, il faut remarquer que la plupart de ces pays « différents » ont accepté de bon gré et en toute liberté des obligations internationales dans ce domaine. Deuxièmement, comme Rosalyn Higgins, la présidente de la Cour internationale de justice l’a dit une fois, les gouvernements autoritaires et leurs citoyens opprimés n’ont souvent pas la même conception des droits de l’homme.
Les droits de l’homme, il ne suffit pas d’en avoir conscience, il faut les protéger. À qui revient la responsabilité de le faire et par quels moyens est une question moins simple qu’elle n’y paraît. Il est beaucoup trop facile de dire que si les États ne respectent pas leurs engagements internationaux, la faute en revient à un système qui est incapable d’en assurer le respect. Le droit n’est pas meilleur que la société qui l’exprime et si le droit s’avère inefficace c’est parce que les États ne souhaitent pas qu’il le soit. En témoigne la déception qui entoure le nouveau Conseil des droits de l’homme, qui avait suscité tant d’attentes dans l’opinion publique mondiale au moment de sa création. Le Conseil, organe composé d’États, aurait dû s’occuper de toute situation urgente concernant la protection des droits de l’homme et pourtant il n’a pas abordé la question du Tibet par manque de volonté politique. On ne peut pas non plus s’attendre à ce que le Conseil de Sécurité intervienne lorsqu’il s’agit des intérêts de l’un de ses membres permanents comme la Chine. La cible favorite devient alors le droit international qui serait incapable d’assurer le respect des droits de l’homme.
En disant cela, on finit par oublier qu’il ne revient pas au droit de redresser toute situation d’injustice et d’inégalité, en l’absence d’un projet politique précis et d’une volonté commune à l’appui. Penser que le droit peut résoudre les problèmes du monde, comme le terrorisme, le manque de respect des droits de l’homme et ainsi de suite, c’est de lui confier une tâche qui ne lui appartient pas. C’est avant tout à la politique de tracer les grandes lignes et les objectifs que le système social veut atteindre. Seulement à ce moment-là le droit peut intervenir pour mettre en œuvre le projet envisagé. La société civile peut faire beaucoup pour mobiliser l’opinion publique et par conséquent induire les gouvernants à l’action. Après tout, les interventions en Bosnie et au Rwanda, bien que tardives, ont été déterminées par la mobilisation des segments importants de l’opinion publique mondiale qui a exercé sur les gouvernements la pression nécessaire pour qu’ils prennent leur responsabilités. Se cacher derrière la realpolitik des Etats c’est s’exempter de nos responsabilités de contrôle sur leurs agissements. Le cynisme n’est pas le seul moyen de comprendre la réalité et il n’est sûrement pas non plus le meilleur outil pour la changer.
À l’heure actuelle, avec la crise des marchés financier et la perte de foi dans les vertus thaumaturgiques des marchés, on ressent de plus en plus le besoin de refonder la politique et les relations internationales sur une nouvelle base éthique. Pour donner suite à cette exigence, la doctrine des droits de l’homme est l’outil le plus adapté dont nous disposons. Mais il faut que le monde occidental puisse se réapproprier le discours des droits de l’homme de façon crédible et légitime, avant de pouvoir continuer à prêcher son prétendu universalisme. Il faut avant tout donner l’exemple et prouver à l’autre qu’on croit bien à ce qu’on prêche et que l’on pratique de façon cohérente. Sinon il sera difficile d’éviter la critique que les droits de l’homme ne sont que l’un des outils rhétoriques qu’on utilise pour avancer des intérêts purement politiques. La politique menée par certaines démocraties occidentales après le 11-Septembre a gravement compromis leur crédibilité en la matière. La violation grave et systématique des droits civils des individus au nom de la prévention et de la répression du terrorisme rend l’indignation manifestée lors de la violation des droits de l’homme commis par d’autres pays peu convaincante.
Une fois de plus dans l’histoire récente le leadership de la politique internationale vient frapper à la porte de l’Union européenne. Il ne suffit pas que quelques pays boycottent les jeux olympiques de Pékin. Il faut se rallier autour d’un idéal réellement partagé, récupérer sa dimension identitaire et sa valeur symbolique : les conséquences politiques en découleront.
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