Brésil : les crises ordinaires de la démocratie edit
Durant ces dernières semaines, le Parlement brésilien a été le lieu de deux crises : le remplacement de son président et le rejet de l’amendement constitutionnel prolongeant jusqu’à 2011 la Contribution provisoire sur les mouvements financiers (CPMF, plus couramment appelée impôt sur les chèques). Ces deux événements, davantage liés entre eux qu’il ne peut paraître à première vue, sont d’excellents révélateurs des blocages du système politique brésilien et de l’incapacité du président Lula à les surmonter. Ils constituent pour lui un sérieux revers.
Le président démissionnaire du Sénat, Renan Calheiros, était un des leaders du PMDB, le parti politique comptant le plus grand nombre de sénateurs. Le principal effort de Lula pour se constituer une majorité au Congrès après les élections d’octobre 2006 a été de faire entrer ce parti dans la majorité gouvernementale. Tâche d’autant plus compliquée que le PMDB, d’essence électoraliste, est le plus souvent divisé et que seule une partie de ses dirigeants avait soutenu la campagne de Lula. Parmi eux figuraient les hommes politiques les plus traditionnels du Nordeste, prêts à se rallier au pouvoir en place quel qu’il soit, dont Renan Calheiros est un des meilleurs exemples. C’est en prenant appui sur cette partie du PMDB qu’au terme de très longues négociations, Lula avait réussi à se rallier l’ensemble du parti, non sans payer le prix fort en termes de ministères, présidences de sociétés nationales et autres postes de direction. L’élection de Renan Calheiros à la présidence du Sénat, avec l’appui de Lula, s’inscrivait dans ce contexte.
Mais dès le mois de mai les medias ont commencé à dévoiler une série de scandales dans lequel Calheiros était impliqué, le premier ayant été de faire payer par un lobbyiste d’une entreprise privée les avantages financiers substantiels consentis à son ancienne maîtresse et à l’enfant né de cette liaison. Un autre était d’avoir acheté en sous-main des medias locaux, ce qui est théoriquement interdit aux parlementaires (même si beaucoup le font). Prenant ces accusations de très haut et se conciliant dans un premier temps la quasi-totalité de ses collègues, Renan Calheiros s’est emmêlé les pieds dans sa défense et le Conseil d’éthique du Sénat a, par deux fois, proposé la destitution de son mandat pour rupture de l’honorabilité (decoro) parlementaire. Par deux fois, le Sénat en séance plénière (et à bulletin secret) a refusé de le suivre, au prix néanmoins d’une démission de la présidence, annoncée peu avant le second vote, par laquelle Renan Calheiros sauvait son mandat de sénateur. Pour l’élection de son successeur, quelques jours plus tard le 12 décembre, un consensus s’est réalisé sur le nom d’un sénateur PMDB de peu d’envergure.
Lula, tout en soutenant discrètement son allié, était resté très soucieux de ne pas être partie prenante dans ces scandales à répétition, d’autant qu’il était engagé dans une partie difficile : l’approbation d’un amendement constitutionnel prolongeant jusqu’à 2011 « l’impôt sur les chèques ». Rappelons au passage qu’une bonne partie de la législation fiscale, comme du reste en beaucoup d’autres domaines, est constitutionnalisée, ce qui oblige, pour toute modification, de réunir une majorité des trois cinquièmes des membres de chacune des deux assemblées (soit, au Sénat, 49 sénateurs sur 81).
Cette contribution « provisoire » sur les mouvements financiers (CPMF) avait été instaurée sous la présidence Cardoso, initialement pour financer le système public de santé, chroniquement en état calamiteux. C’est un impôt qui, au plan économique, est totalement condamnable, mais très avantageux quant à sa facilité et sa régularité de recouvrement (le prélèvement est fait directement par les banques sur les comptes de leurs clients à l’occasion de chaque paiement ou retrait, pour être ensuite reversé au fisc) : d’où sa reconduction chaque année à la demande du gouvernement, avec un taux qui est allé en augmentant (0,38% actuellement).
En 2007, l’intention du gouvernement était de présenter une réforme fiscale d’envergure afin de remédier à la complexité, à l’injustice et à la faible performance économique du système fiscal actuel. La progressive disparition de la CPMF aurait été incluse dans ce projet. Le fait que le gouvernement ne soit devenu opérationnel que tardivement, les difficultés à monter des accords non seulement au Congrès mais aussi avec les gouverneurs des États et même les maires, l’ont amené à ne proposer, dans un premier temps, que le maintien à l’identique des mesures qui lui étaient directement utiles. Et parmi celles-ci la prorogation de la CPMF, qui représente 7% de la recette fiscale, somme principalement destinée aux dépenses publiques de santé et autres dépenses sociales.
Arithmétiquement, les partis de la coalition gouvernementale assuraient la majorité requise, mais le gouvernement pouvait se méfier du vote de certains sénateurs de la majorité hostiles à un impôt unanimement décrié. Aussi le gouvernement, et le président Lula personnellement, ont-ils utilisé tous les artifices habituels pour obtenir le vote individuel de sénateurs de la majorité ou de l’opposition. La négociation s’est faite également avec les partis de l’opposition. Il est intéressant de noter, à ce sujet, les ouvertures faites du côté des gouverneurs des deux grands États de São Paulo et Minas Gerais, respectivement José Serra et Aécio Neves. Tous deux appartiennent au PSDB (le parti de l’ancien président Fernando Cardoso) et sont les candidats potentiels à l’élection présidentielle de 2010. En tant que gouverneurs ils avaient intérêt à la prorogation de la CPMF qui leur garantissait le reversement de crédits fédéraux pour leurs propres programmes sociaux. Toutefois, leur rivalité latente fait que le PSDB est sans tête véritable, et, contrairement à ce qu’espérait Lula, ils n’ont pas réussi à convaincre les sénateurs de leur parti qui ont voté en bloc contre la prorogation. De sorte que finalement, le 13 décembre, le vote n’a donné que 45 voix à celle-ci, mettant fin à la CPMF à compter de la fin de l’année.
Les leçons que l’on peut tirer de ces deux événements ne sont pas très encourageantes pour l’avenir. C’est tout d’abord l’échec d’une méthode de gouvernement qui accorde la primauté à la politique politicienne. Dans un système de partis éclaté et dans lequel les changements de parti sont monnaie courante, Lula a recherché une majorité sur la base d’octroi des avantages individuels que peut procurer la proximité du pouvoir et il s’est compromis avec des politiciens clientélistes et corrompus qu’une partie de la société brésilienne tolère de moins en moins. D’autre part, faute de pouvoir faire avancer des réformes de fond (réforme politique, réforme fiscale, réforme de la Sécurité sociale, etc.), dont certaines heurtent de front les intérêts corporatistes de la classe politique, il a davantage misé sur la possibilité de maintenir des politiques sociales qui lui ont valu sa popularité dans les classes populaires et dont la continuation lui permettrait de choisir son successeur.
L’année 2008, dominée par les élections municipales en octobre, ne sera guère propice à un changement de cap, d’autant qu’elle devra commencer par le vote d’un budget qui doit être remanié par rapport à celui actuellement en discussion. A tout le moins, la perte de recettes que représente la suppression de la CPMF mettra un frein à l’augmentation régulière et excessive de la dépense publique et obligera le gouvernement à des choix financiers drastiques qu’il a refusé de faire jusqu’à présent.
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