Tensions et ambiguïtés en mer de Chine méridionale edit
Face à l’expansionnisme de Pékin dans la mer de Chine méridionale, les pays de la région hésitent à se placer sous le parapluie américain : d’une part, ils doutent de son efficacité ; d’autre part, ils craignent de provoquer des représailles de leur puissant voisin. La tension est montée au cours des dernières semaines à l’approche d’une décision de la Cour permanente de justice internationale de La Haye qui devrait être rendue à la fin du mois de juin. La Cour a été saisie par les Philippines de leur différend avec la Chine sur la possession d’îlots dans l’archipel des Spratleys, revendiqués par cinq pays de la région : outre la Chine – plus Taïwan – et les Philippines, Bruneï, la Malaisie et le Vietnam. Dans le nord de la mer de Chine méridionale, les Paracels font aussi l’objet de revendications contradictoires entre Pékin et Hanoï.
Réunis à l’occasion de la conférence de Shangri-La, à Singapour, les ministres de la Défense des principaux pays de la région, ainsi que d’Europe et des États-Unis, ont évoqué la situation. La secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a mis en garde les Chinois contre toute velléité expansionniste. « Des constructions chinoises sur le récif de Scarborough [dans les Spratleys], dans les eaux territoriales philippines, entraîneraient des « actions » des États-Unis et d’autre pays », a-t-il dit. Ce qui lui a valu une réponse cinglante de l’amiral Sun Jianguo : « Nous ne créons pas de problèmes, mais nous n’avons pas non plus peur des problèmes », ajoutant que « les pays extérieurs devraient jouer un rôle constructif, et pas l’inverse ».
Cette dernière phrase est une allusion à la présence des États-Unis que la Chine considère comme une puissance extérieure qui ne devrait pas avoir son mot à dire dans les problèmes qui divisent les pays riverains de la mer de Chine méridionale. À Washington au contraire, on estime que la libre circulation maritime est menacée par les agissements de Pékin et que les accords de défense conclus avec plusieurs États, dont les Philippines, engagent les États-Unis.
Après la défaite japonaise à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, puis dans les années 1970-1980, les États riverains de la mer de Chine méridionale se sont distribué les îlots habités. Mises à part quelques actions militaires sporadiques, comme en 1974 contre une garnison vietnamienne dans les Paracels, la Chine était plus ou moins restée en dehors, occupée par ses problèmes intérieurs. La donne a changé au début des années 2000. Les dirigeants communistes chinois ont mené une politique étrangère, notamment régionale, plus active et ils ont commencé à revendiquer leur part dans la mer de Chine. Celle-ci est devenue une « question nationale » au même titre que le Tibet ou Taïwan.
Pour la Chine, l’enjeu est triple. Elle veut d’une part regagner les territoires qu’elle considère lui avoir été enlevés à des époques où elle était faible. Elle veut ensuite profiter des richesses de la mer et de son sous-sol, ressources halieutiques et gisements d’hydrocarbures (une réserve de pétrole estimée à 11 milliards de barils et plus encore de gaz naturel). Elle cherche enfin à contrôler le débouché vers le Pacifique de ses sous-marins nucléaires basés à Sanya, sur l’île de Hainan.
En 2009, Pékin a publié une carte dite « des neuf traits » (en anglais « nine-dish line ») qui met noir sur blanc les revendications chinoises sur 90% de la mer de Chine méridionale. Un dixième trait a été ajouté en 2013. Les gestes concrets ont suivi. La Chine a commencé à développer plus d’une demi-douzaine d’îlots inhabités ou de récifs qu’elle entend transformer en bases civiles ou militaires. Cette « poldérisation » vise à lui assurer des points d’appui et à lui permettre de revendiquer une extension de ses eaux territoriales. C’est pourquoi les Américains, quand ils dénoncent la transformation de ces îlots rocheux, parlent « d’éléments » (features) et non d’îles.
Pour les États-Unis et les pays de la région, il est clair que la Chine dont on disait qu’elle n’était pas traditionnellement une puissance maritime, est passée de la défense de ses côtes à une politique de protection de ses intérêts en haute mer. Même si la marine n’est pas l’arme la plus développée de ses forces et si elle ne possède jusqu’à maintenant qu’un seul porte-avions, acheté à l’Ukraine.
Ce changement dans la stratégie chinoise amorcé avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 et accentué depuis coïncide avec le « pivotement » vers l’Asie de la stratégie américaine. Ce n’est pas un hasard. Si la Chine, deuxième puissance économique mondiale, ne peut prétendre encore être un rival global des États-Unis – son budget militaire, en constance augmentation, ne représente que le tiers des dépenses militaires américaines – elle peut être une redoutable concurrente régionale.
Avec le « pivotement » vers l’Asie, 60% des forces armées américaines devraient se trouver dans la région Asie-Pacifique, au détriment de l’Europe et du Moyen-Orient. C’était, il est vrai, l’objectif fixé avant les guerres en Ukraine et en Syrie. La priorité demeure. Washington resserre ses liens avec ses alliés traditionnels dans la région et en développe de nouveaux avec des Etats qui furent d’anciens ennemis. Les États-Unis ont décidé l’envoi de marines à Darwin en Australie, et en 2016, ils ont rouvert cinq bases militaires aux Philippines, avec lesquelles ils ont renouvelé les accords de défense.
Lors de sa visite à Hanoï, en mai, Barack Obama a annoncé la levée de l’embargo sur les vents d’armes au Vietnam, qui s’approvisionne aussi en Russie. Des navires américains mouillent maintenant dans la base de Cam Ran. C’est d’ailleurs depuis cette capitale d’un pays avec lequel les Américains ont été en guerre pendant près d’une décennie que Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, avait exalté, en 2010, au 17e Forum régional de l’ASEAN (Association des États d’Asie du sud-est), le rôle de médiateur des États-Unis pour le respect de la loi internationale et la résolution pacifique des conflits. L’année suivante, dans un article de Foreign Affairs intitulé « America’s Pacific Century », elle assignait pour mission aux Etats-Unis de « maintenir la paix et la sécurité dans toute la région Asie-Pacifique ».
C’est peu dire que cette mission est peu goûtée par les Chinois qui considèrent la politique américaine comme une ingérence dans les affaires intérieures des États asiatiques. Pékin rejette toute discussion internationale sur les différends territoriaux entre pays de la région et propose au contraire des négociations bilatérales. Ses voisins les refusent car ils se trouvent en position de faiblesse sans l’appui des États-Unis.
Cette attitude n’en est pas moins ambivalente. Elle a été bien exprimée par le nouveau président philippin, Rodrigo Duterte : il veut rester l’allié des Occidentaux mais il ne s’interdit pas un dialogue avec Pékin. Ce que Bruno Philip, à propos du Vietnam, appelle dans Le Monde une « diplomatie mesurée ». Les menaces chinoises ont un double effet contradictoire. Elles poussent les pays de la région Asie-Pacifique à se placer sous le parapluie américain mais elles les retiennent en même temps d’aller trop loin dans leur alliance avec les États-Unis par peur des représailles.
D’autre part, même les meilleurs alliés des Américains entretiennent quelques doutes sur la crédibilité de leur engagement. Sans le reconnaître ouvertement, les États-Unis veulent « contenir » la Chine mais jusqu’où sont-ils prêts à assumer des risques pour leurs alliés s’ils considèrent que leurs propres intérêts vitaux ne sont pas menacés ?
La campagne électorale américaine n’est pas faite pour les rassurer. Donald Trump propose une politique étrangère, si tant est qu’il en ait une, marquée par l’isolationnisme. Il est prêt à retirer les forces américaines du Japon et à laisser Tokyo se doter de l’arme nucléaire pour ne pas avoir à se soucier de la sécurité de l’archipel (qui, par ailleurs, a aussi un différend territorial avec la Chine à propos des îles Senkaku-Diaoyu).
Mais du côté démocrate, Hillary Clinton paraît avoir tempéré son enthousiasme en faveur d’un engagement en Asie. Après l’avoir soutenu, elle met maintenant en doute le TransPacific Partnership (TPP) qui devrait créer une vaste zone de libre-échange économique entre les États-Unis et onze pays d’Asie, sans la Chine. Il s’agit certes de rassurer, le temps d’une campagne, les électeurs inquiets des transferts d’emplois que le TPP pourrait entraîner. Une fois élue, Hillary Clinton serait plus interventionniste et plus internationaliste que son concurrent républicain. Mais les États asiatiques pensent à propos de la Chine comme les Mexicains à propos des États-Unis : si loin de Dieu, si près des États-Unis.
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