Le Partenariat Trans-Pacifique, avec les Etats-Unis et sans la Chine edit
Un accord de principe sur le Partenariat Trans-Pacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP) a été signé le lundi 5 octobre 2015 par les représentants des douze pays concernés (Etats-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande). C’était l’aboutissement de discussions entamées en 2008, qui ouvrait ainsi la porte à l’un des plus importants traités de libre-échange jamais signé. Au premier abord, c’est un traité de commerce comme beaucoup d’autres accords du même type. Mais l’ampleur de cet accord est immense, non seulement en raison du poids économique de ses signataires, avec 40 % du produit intérieur brut (PIB) mondial et un tiers du commerce, mais aussi parce qu’il recouvre un nombre sans précédent de domaines, des droits de douane à la propriété intellectuelle, en passant par les investissements, les services, les droits de l’homme et l’environnement. L’accent a été mis par beaucoup de commentateurs sur les avantages et les inconvénients, ainsi que sur les difficultés de ratification, notamment par le Congrès américain ou la Diète japonaise. Mais le problème essentiel est que ce traité risque de modifier l’équilibre du pouvoir dans la zone Asie-Pacifique.
Les conséquences du traité ne sont pas seulement économiques, mais elles sont aussi très stratégiques. Il est un pilier de la politique américaine envers l’Asie, comme « pivot » de la politique étrangère des Etats-Unis dans les années qui viennent. Il est important, car la Chine est absente et elle a commencé à développer une série d’alternatives pour contrecarrer la politique américaine en Asie.
L’objectif des Américains est de contenir la Chine, qui n’a pas été invitée à se joindre au TPP. Le président Obama a mis l’accent sur la nécessité pour les Etats-Unis d’écrire les règles du commerce dans la région Asie-Pacifique, sans quoi c’est la Chine qui le ferait. En effet, l’influence économique grandissante de la Chine est en train de lui donner une influence plus grande en Asie. Certains commentateurs ont considéré l’accord comme un contrepoids aux efforts de la Chine d’augmenter son influence, non seulement dans le domaine commercial, mais aussi dans d’autres secteurs, y compris la construction d’îles dans la mer de Chine méridionale et l’établissement d’une nouvelle banque régionale de développement susceptible de rivaliser avec les institutions financières dirigées par l’Occident.
Les Américains sont inquiets, car des pays comme le Japon, la Corée du Sud, l’Australie ou Taiwan, tous liés aux Etats-Unis, non seulement s’appuient sur eux pour les protéger de la Chine, mais surtout développent des relations commerciales avec la Chine qui dépassent celles avec les Etats-Unis. Les liens économiques de la Chine avec les alliés des Etats-Unis augmentent fortement. De nombreux pays asiatiques ont des accords de commerce avec la Chine, qui ont été signés depuis l’annonce de la politique du « pivot ». De plus, la Chine est devenue le principal investisseur dans la région avec la China Development Bank et l’Export-Import Bank of China qui procurent plus de prêts à la région que la Banque Mondiale et l’Asia Development Bank. Bien que la conclusion des négociations ait été considérée comme bienvenue par les pays asiatiques liés aux Etats-Unis, ces derniers ne peuvent pas demander à leurs alliés de choisir entre Washington et Pékin.
Ceux-ci, au demeurant, ne considèrent pas le TPP comme une alternative à la Chine. Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, a ainsi suggéré que Pékin pourrait devenir un membre du partenariat. Il affirmait que la décision de la Chine pourrait contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région Asie-Pacifique et qu’elle aurait une signification stratégique fondamentale. Les particularités de cette situation expliquent que les États-Unis ne peuvent pas mener une politique d’endiguement (« containment ») à l’égard de la Chine. En outre, les Etats-Unis commercent eux aussi abondamment avec la Chine. Ils sont encore le marché d’exportation le plus important pour les marchandises chinoises. Le gouvernement chinois est encore le plus grand détenteur étranger de bons du Trésor américains.
La politique d’endiguement menée contre l’Union Soviétique pendant la Guerre froide était menée de façon différente. Il était inimaginable que des pays appartenant à un bloc puissent avoir des liens économiques étroits avec des pays appartenant à l’autre bloc, car ils dépendaient de ce bloc pour leur sécurité. Le commerce entre pays capitalistes et pays socialistes était limité. Dans la logique de la guerre froide, il n’y avait pas de sens pour les pays d’un bloc de renforcer l’ennemi en commerçant avec les alliés de cet ennemi (Noah Feldman).
Le TPP offre ainsi une option aux Washington qui lui permet de maintenir un équilibre du pouvoir dans la région Asie-Pacifique en adoptant des politiques qui accroissent les gains économiques pour les Etats-Unis. Un autre signe de l’impossibilité américaine de mettre en œuvre une vraie politique d’endiguement et donc d’une certaine ambiguïté des Etats-Unis avec la Chine est que les dirigeants américains soulignent de façon répétée qu’ils sont ouverts à une éventuelle adhésion de la Chine à l’accord. Le président Obama lui-même a insisté sur ce point en décembre 2014.
Et les Chinois, qu’en pensent-ils ? Tôt dans les négociations, Pékin a critiqué l’accord comme un effort américain pour contenir la Chine. C’est un argument qui est souvent utilisé par les analystes chinois. Certes, l’opposition initiale de la Chine au pacte s’est adoucie récemment. En effet, la Chine risque de perdre économiquement du fait de son exclusion de l’accord. Mais il était difficile pour la Chine de signer l’accord tel qu’il se présente. Elle préfère adopter certaines règles comme étant les siennes, et non pas le résultat de pressions étrangères. Des spéculations existent sur le fait que les dirigeants chinois pourraient utiliser l’adhésion au TPP comme un moyen de pression externe pour faciliter des réformes économiques, auxquelles certains groupes dirigeants sont hostiles. Le Premier ministre chinois, Zhu Rhongi, avait procédé de cette manière lors de l’accession de la Chine à l’OMC à la fin des années 1990.
La Chine ne reste pas inactive. Elle a commencé à développer une série de substituts pour contrecarrer le refus américain. Il existe toute une série de programmes économiques soutenus par Pékin : la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, AAIB), la banque de développement des BRICS (New Development Bank BRICS, NDB BRICS), la zone de libre-échange de l’Asia-Pacifique (Free Trade Area of the Asia-Pacific, FTAAP), la Nouvelle Route de la Soie (New Silk Road). Pris ensemble, ces programmes signalent un large projet d’établir des institutions internationales destinées à concurrencer l’ordre libéral international soutenu par les Etats-Unis.
L’initiative la plus forte est la proposition de création de l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), destinée à financer de grands projets d’infrastructure en Asie. Les Etats-Unis ont marqué leur hostilité à une telle initiative et ont fait pression sur les pays amis pour qu’ils refusent d’adhérer, mais sans beaucoup de succès (même le Royaume-Uni et la France ont adhéré). L’AIIB représente un point essentiel de contestation entre la Chine et les États-Unis pour le contrôle de l’ordre institutionnel qui prévaut dans la région Asie-Pacifique. Les Etats-Unis favorisent les règles et les institutions (Banque Mondial, FMI et Asian Development Bank) qui existent depuis de nombreuses décennies. Pékin cherche à mettre en place un ordre qui reconnaît et amplifie son influence régionale grandissante. Il a avancé l’idée de la création de cette banque pour des raisons politiques, car il est mécontent de la faiblesse de ses droits de vote dans les institutions financières internationales dirigées par des Occidentaux.
La seconde initiative importante de la Chine concerne la Route de la soie. Après deux décennies de croissance rapide, la Chine regarde à nouveau au-delà de ses frontières pour trouver des opportunités d’investissement. Elle est en train de retourner à son ancienne grandeur impériale en utilisant la métaphore de la route de la soie. La création de cette version moderne de la vieille route du commerce est apparue comme le signe d’une nouvelle initiative de politique étrangère de la Chine sous le président Xi Jinping. Si le programme se réalise, la nouvelle route de la soie devrait devenir le plus grand programme de politique économique internationale depuis le plan Marshall. Économiquement, diplomatiquement et militairement, la Chine utilise ce projet pour affirmer son leadership régional en Asie. Ce plan est devenu une politique significative de la Chine et a acquis un nom : « One Belt, One Road ». Il se réfère donc à la route terrestre du commerce liant la Chine à l’Asie Centrale, à la Russie et à l’Europe et à la route maritime via l’Océan Pacifique et l’Océan Indien.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)