Mexique: vers une victoire par défaut pour Peña Nieto? edit
Les élections législatives de mi-mandat, qui auront lieu dimanche prochain, semblent vouloir conforter, en apparence, l’action gouvernementale du président Enrique Peña Nieto, élu en 2012. Selon les derniers sondages d’opinion, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI, centre) serait en tête des intentions de vote, avec 35% des voix (en moyenne). Si son principal allié, le Parti Vert, obtient un bon score, la majorité simple à la Chambre des Députés paraît être à la portée de l’ancien parti hégémonique du pays, qui gouverna le Mexique sans discontinuité de 1929 à l’an 2000. Pourtant, ces mêmes sondages traduisent un désenchantement des Mexicains vis-à-vis du gouvernement ainsi que de ses actions : plus de la moitié des Mexicains disent que le Mexique va dans la mauvaise direction. La gestion gouvernementale est désapprouvée par 57% des Mexicains. Enfin, 67% des sondés s’estiment insatisfaits du fonctionnement de la démocratie dans le pays. Comment expliquer qu’un gouvernement impopulaire puisse vraisemblablement remporter une élection intermédiaire, qui plus est dans un cadre de faible croissance économique pour un pays émergent (1% en 2013, et 2,1% en 2014) ?
L’élection d’Enrique Peña Nieto, ainsi que ses premières annonces suite à son investiture pouvaient laisser présager que le Mexique était en mesure de s’extraire d’une spirale négative alliant une croissance atone à une explosion de la violence, le tout dans le cadre de la paralysie politique qui caractérisa les gouvernements du Parti d’Action Nationale (PAN, droite). Sur le fond, l’adoption d’une série de réformes (fiscale et énergétique notamment) avec le soutien des principales forces d’opposition (de droite comme de gauche), semblait donner du crédit à cette « rupture » politique. Sur la forme, le récit mis en avant par les communicants du gouvernement, insistant sur le triptyque changement-action-réformes, mit délibérément de côté l’agenda de la violence (la principale image du pays ces dix dernières années) afin de faire l’impasse sur l’agenda (négatif) de la (l’in)sécurité dans le but de se positionner sur l’agenda (positif) des réformes. L’hebdomadaire anglais The Economist s’en faisait le relai, en évoquant, de manière quelque peu hâtive, un « moment mexicain ». De son côté, le quotidien espagnol El País estimait, à la fin de l’année 2013, que le Mexique était en train d’être « transformé sur le papier ».
Or, contrairement aux prévisions – optimistes – du gouvernement, l’adoption de ces réformes ne s´est pas traduite, pour la majorité des Mexicains, en un changement concret dans leur vie quotidienne. En ce qui concerne l’économie, le pays a continué à enregistrer des taux de croissance médiocres, à l’image de ces trente dernières années. Pour ce qui est de la (l’in)sécurité, la situation de violence endémique, qui explosa durant les gouvernements du PAN, s´est poursuivie sans que les médias, autrefois prompts à répercuter les violences liés au crime organisé, en rendent compte. Ce hiatus, que ce soit sur l’économie ou la sécurité, a provoqué une colère sourde qui a éclaté au grand jour à l’occasion du drame d’Iguala, lorsque 43 apprentis-professeurs ont disparu, après avoir été (apparemment) torturés et tués par la police municipale et des membres du cartel des « Guerreros Unidos ».
Cet assassinat, tristement banal dans un océan de crimes impunis au Mexique (selon les statistiques gouvernementales, plus de 20 000 personnes sont considérées comme étant « disparues » à la mi-2015), a été très mal géré médiatiquement par l’équipe du président, qui a considéré dans un premier temps que cette affaire était du ressort des autorités locales, dirigées par l’opposition de gauche du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), ce qui pouvait convenir au gouvernement, ceci sans se soucier du sort des étudiants.
La disparition des étudiants, qui plus est dans un Etat à l’histoire sociale fortement tourmentée, a renvoyé le Mexique au souvenir sombre de la domination du PRI dans les années 1960 et 1970. En filigrane, un parallèle fut établi avec la violente répression des mouvements étudiants de 1968 et de 1971. Par ailleurs, la collusion avérée entre le maire, la police municipale et les membres d’un cartel de drogue ont confirmé dans la pratique l’existence de liens directs de subordination du pouvoir politique et le crime organisé. Finalement, le manque de réponses du pouvoir judiciaire aux familles des victimes, qui espèrent toujours avoir des nouvelles de leurs enfants, ont illustré la faillite du système judiciaire mexicain. C’est donc la cristallisation dans ce crime de ces trois éléments (ces mêmes éléments que voulaient bannir les communicants du gouvernement) qui ont suscité une telle mobilisation citoyenne dans la rue et dans les réseaux sociaux dans les jours qui ont suivi l’événement. Fait aggravant, la presse nationale s’est fait l’écho au même moment de conflits d’intérêts présumés entre le Président et un entrepreneur du BTP, renforçant ainsi l’image d’un exécutif corrompu, sourd aux demandes des Mexicains, et ancré dans des pratiques gouvernementales d’un autre âge. En résumé, le gouvernement est devenu, en quelques semaines, incapable de dicter l’agenda politique du pays, avec un discours public totalement en décalage par rapport au vécu des citoyens, qui doutent désormais de tout et de tous, notamment de leur classe politique.
Alors que l’alternance politique à la tête du pays (en 2000) avait soulevé l’espoir d’un changement porté par le PAN, rapidement déçu, le retour du PRI aux affaires avait auguré d’un retour au calme. Il n’en fut rien. Le PRD, de son côté, n´est pas sorti grandi de divers scandales de corruption. Par conséquent, les Mexicains semblent las de la politique et des politiques. L’abstention, traditionnellement élevée lors des scrutins législatifs de mi-mandat, semble une fois encore faire les affaires du gouvernement, car elle se traduit par une augmentation du poids des structures clientélistes dans le résultat final, un domaine où le PRI, fort du contrôle de l’appareil de l’Etat ainsi que de la majorité des gouvernorats, dispose d’importants leviers. La société mexicaine, si elle peut exercer un sens critique et une liberté de parole à l’occasion de drames tels que celui d’Iguala (ou bien dans l’évaluation du gouvernement dans les sondages d’opinion), semble parfois avoir été mithridatisée à l’occasion des élections.
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