Milosevic : fin de parcours edit
Le procès de Slobodan Milosevic, le premier chef d’Etat à être jugé par un tribunal pénal international pour crimes de guerre et génocide, n’ira donc pas à son terme. Tandis qu’à Belgrade certains lancent l’accusation absurde d’assassinat, l’autopsie devra déterminer s’il s’agit d’une mort naturelle ou d’un suicide. Cette dernière hypothèse n’est pas à écarter quand on connaît les précédents familiaux : son père, prêtre orthodoxe défroqué, s’est suicidé en public d’une balle dans la tête et sa mère, institutrice, s'est donné la mort quelques années plus tard. Il y a une semaine, l’ancien leader des nationalistes serbes de Croatie, Milan Babic, condamné par le TPIY mais disposé à témoigner contre Milosevic, s’était déjà suicidé dans sa cellule à La Haye…
Milosevic restera dans l’histoire à un double titre : comme principal, mais certainement pas le seul responsable, du déclenchement de la guerre de dissolution de l’ancienne Yougoslavie et comme le prototype le plus achevé du nationalisme comme « stade suprême du communisme » (Adam Michnik). En effet, après une carrière d’apparatchik ordinaire du parti communiste de Serbie, c’est en 1987, lors d’une visite au Kosovo, qu’il découvrit le potentiel que pouvait offrir à sa carrière la manipulation de la question nationale. Il s’en est d’abord servi pour renverser Ivan Stambolic à la tête du parti (qu’il fit assassiner en 2000 lorsque ce dernier envisagea de prendre sa revanche et de faire un retour en politique en rejoignant une opposition en quête de leader). Il comprit qu’au moment où le communisme s’effondrait dans toute l’Europe de l’Est la seule façon de se maintenir au pouvoir était de puiser dans une idéologie de rechange : le nationalisme. Son discours en juin 1989 sur le champ des Merles (Kosovo Polje), le lieu de la bataille du Kosovo de 1389 et de la conquête ottomane du berceau du royaume médiéval serbe, restera comme un grand classique du genre. S’érigeant en grand défenseur des Serbes menacés par les réactions en chaîne des sécessions, il n’hésita pas à employer l’armée yougoslave pour tenter d’abord d’imposer une Yougoslavie à son idée, puis, dans un second temps, une Grande Serbie regroupant les populations serbes de l’ancienne Yougoslavie (Croatie, Bosnie, Kosovo). Le résultat fut un échec complet puisque ces guerres se terminèrent par deux interventions internationales (en 1995 en Bosnie et en 1999 au Kosovo) et une défaite complète pour la Serbie. « Tous les Serbes dans le même Etat » scandaient autrefois les partisans de Milosevic. Ce sera sans doute réalisé un jour, mais dans une « petite Serbie » qui est sur le point de perdre les deux derniers vestiges de la Yougoslavie : le Monténégro qui votera sur son indépendance en mai et le Kosovo dont le statut final sera tranché d’ici la fin de l’année. L’historiographie serbe ne sera pas indulgente pour celui qui représenta, un moment, un « grand dessein national » qui se solde par une tragédie personnelle et collective.
La disparition de Milosevic peut avoir des conséquences néfastes et laisse plusieurs questions en suspens.
1. En Serbie, à en juger par les premières réactions elle va renforcer le discours de victimisation déjà fort répandu. Même si la majorité de la population a d’autres soucis plus prosaïques et souhaite tourner la page, les nationalistes du Parti socialiste de Milosevic et surtout du Parti radial (les ultras de V. Seselj, autre inculpé de La Haye) vont pouvoir relancer leur campagne de dénigrement contre le TPIY et plus généralement contre un Occident jugé hostile aux Serbes et indulgent envers les Croates et les musulmans bosniaques ou kosovars.
2. C’est dans ce contexte défavorable que s’ouvrent à Vienne les négociations serbo-albanaises sur le statut final du Kosovo. Aucun leader serbe ne semble prêt dans les conditions actuelles à confronter ses compatriotes avec la réalité (le Kosovo ne reviendra plus dans un Etat commun avec la Serbie) et entrer dans l’histoire comme « l’homme qui a perdu le Kosovo pour la Serbie ». A moins de revenir aux origines de l’ascension de Slobodan Milosevic et de rappeler que le vrai fossoyeur de la Yougoslavie (et donc de la perte du Kosovo), c’est précisément l’ancien homme fort de Belgrade.
3. Le décès de Milosevic dans sa cellule de La Haye est aussi un mauvais coup pour le procès qui devait aboutir prochainement et plus généralement pour le TPIY. Les victimes des « purifications ethniques » en Bosnie ou au Kosovo ne verront pas la condamnation du principal accusé. Le procès était sans doute trop ambitieux et certainement trop long. Dans un premier temps Milosevic avait habilement utilisé les retransmissions télévisées pour s’adresser à l’opinion serbe et dénoncer « l’illégitimité » d’une justice imposée par ceux qui avaient déclenché sans mandat international les bombardements de l’OTAN contre son pays. On interdit les retransmissions et le procès s’enlisa dans l’audition de milliers de témoins. Première leçon retenue : le procès de Saddam ne cherche pas à le juger « pour l’ensemble de son œuvre », mais sur deux ou trois crimes précis que l’on peut juger dans un laps de temps court. Deuxième leçon : la Bosnie vient de déposer une plainte contre la Serbie devant la Cour de justice internationale, pour génocide : faute de juger la responsabilité individuelle de ceux qui détenaient le pouvoir, on revient à la logique de la culpabilité collective.
4. Les relations de la Serbie avec l’UE pourraient souffrir des conséquences d’un chef d’Etat extradé sous pression internationale et dont le procès inachevé laisse Belgrade face à d’autres demandes pressantes d’extradition. Milosevic s’était rendu indispensable aux Occidentaux en 1995 à Dayton et Richard Hallbrook lui-même avait admis que sans Milosevic il n’y aurait pas eu d’accord mettant fin à la guerre en Bosnie. Il s’est cru tellement indispensable qu’il pensait avoir les coudées franches au Kosovo où le conflit restait en 1998 de faible intensité par rapport à ce qu’avait été celui de Bosnie. Erreur de calcul majeure puisque, dans la perception occidentale, c’est l’effet cumulatif des conflits en Croatie, Bosnie puis au Kosovo qui précipita l’intervention du printemps 1999.
L’Union Européenne vient de donner à la Serbie un ultimatum demandant la livraison d’ici la fin du mois de Karadzic et Mladic, les deux responsables directs des massacres de Bosnie, pour poursuivre les négociations sur un accord de stabilisation et d’association. Karadzic se cache en Bosnie, mais le général Mladic est en Serbie, protégé par certains éléments de l’armée serbe. C’est Kostunica qui avait signé ses papiers de départ à la retraite et on le voit mal maintenant engager un bras de fer avec l’armée pour répondre à la demande d’un tribunal international que la majorité des Serbes jugent discrédité. Le discrédit du tribunal pourrait rejaillir sur les efforts de l’UE à faire comprendre aux Serbes que confronter leur passé récent est une condition d’entrée dans la famille européenne.
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