Pouvoir d’achat: l’addition sera étalée dans le temps, mais elle sera payée edit
L’inflation sur un an est actuellement en France plus basse d’environ 2,5 points de pourcentage à l’inflation moyenne dans la Zone Euro : en août, sur les douze dernier mois, l’indice des prix harmonisé au niveau européen a ainsi augmenté de 6,5 % en France contre 9,1 % dans l’ensemble de la Zone Euro. Mieux encore, la France est le pays de la Zone dans lequel l’inflation est la plus faible : parmi nos plus grands voisins, l’Allemagne est à 8,8%, l’Italie à 9,0%, l’Espagne à 10,3% et les Pays-Bas à 13,6%. Comme l’INSEE l’a montré, cette performance doit beaucoup à différents dispositifs mis en place par l’État et amortissant la hausse des prix de l’énergie, comme le bouclier tarifaire et la ristourne à la pompe. À eux seuls, ces deux dispositifs abaissent actuellement l’inflation d’environ deux point de pourcentage. Une interrogation est de savoir si cette performance française peut durer et quelles peuvent être au premier ordre les conséquences économiques de la réponse à cette question.
Un gain transitoire sur l’inflation pour un coût définitif pour les finances publiques
Les deux dispositifs mentionnés (bouclier et ristourne) abaissent le niveau des prix de l’énergie aussi longtemps qu’ils sont maintenus mais, à condition que leur calibrage sur les prix de marché ne change pas, ils n’abaissent l’inflation mesurée sur 12 mois que… durant 12 mois. Ce qui signifie que la performance inflationniste qu’ils induisent disparaît mécaniquement 12 mois après leur mise en œuvre. Par ailleurs, leur disparition ou leur éventuel ciblage fait remonter le niveau des prix de l’énergie payée par les ménages, ce qui se traduit tout aussi mécaniquement par une augmentation de l’inflation durant 12 mois après cette disparition ou ce ciblage. Le mécanisme qui vient d’être décrit correspond pleinement à celui de la ristourne à la pompe. Il se complexifie un peu concernant le bouclier tarifaire qui garantit un prix pour le consommateur. Ce dispositif réduit l’inflation quand le prix de l’énergie augmente sur les marchés, le bouclier s’amplifiant alors mécaniquement, et augmente au contraire l’inflation quand le prix de marché de l’énergie diminue. Et comme pour la ristourne, la disparition ou le ciblage du bouclier amplifient l’inflation. Autrement dit, et toutes choses égales par ailleurs, l’inflation en France finira par rattraper celle de la Zone Euro et la dépassera ensuite, transitoirement mais inéluctablement. Surtout si d’autres grands pays partenaires mettent en place ou développent des dispositifs comparables aux nôtres.
Il parait donc prudent de ne pas trop se vanter d’une performance qui va inéluctablement se retourner. Les dispositifs auront étalé dans le temps le choc inflationniste lié à la hausse du prix de l’énergie, mais ce choc finira par apparaître dans sa totalité dans l’inflation des prix énergétiques. Une question qui devra alors être posée avec un certain recul est de savoir si les gains liés à la moindre brutalité du choc et associés à son étalement dans le temps valent l’impact de ces dispositifs sur les finances publiques et donc sur la dette, impact qui se chiffrera en plusieurs dizaines de milliards d’euros.
L’inflation en France finira donc par totalement intégrer la hausse des prix de l’énergie, sur une période cependant plus longue que si les dispositifs évoqués n’avaient pas été déployés. Quelles sont, outre l’impact sur les finances publiques, les conséquences de ce choc inflationniste sur la trajectoire de l’économie française dans les prochaines années ? On se limitera ici à en évoquer certaines, parmi les plus importantes.
Une baisse inéluctable du pouvoir d’achat moyen
Sauf à considérer que les entreprises ne reporteront pas pleinement dans leurs prix de production les hausses des coûts de leurs matières premières dont l’énergie, ce qui plomberait leur situation financière et donc les perspectives d’investissement, d’emploi et de croissance, le choc inflationniste importé sera logiquement amplifié par ce report, avec plus ou moins de délais. La question qui se pose ensuite est celle de la transmission aux salaires. La ponction opérée sur l’économie française par le renchérissement du prix des importations, dont celles des énergies fossiles, peut être compensée par des dispositifs publics, ce qui est fait en partie comme rappelé ci-dessus. Mais cela alourdit une dette déjà élevée et renchérie par la hausse des taux d’intérêt. Un tel choix briderait les autres politiques publiques de croissance et constituerait un bien triste cadeau aux futures générations à qui la dette sera transmise. Cette voie doit désormais être écartée. Les gains de productivité actuellement très faibles, sinon nuls, ne peuvent amortir ce choc. Ce dernier se traduira donc inévitablement par une baisse du pouvoir d’achat moyen, qui doit être rendue équitable entre ménages aisés et ménages pauvres compte tenu du fait que la ponction sur le revenu liée à l’augmentation des prix de l’énergie est plus lourde pour les seconds que pour les premiers.
L’effort à consentir sur le pouvoir d’achat moyen peut cependant être atténué par une augmentation du PIB par habitant induite par une augmentation de la quantité de travail, obtenue par différentes voies comme la réforme des retraites, l’activation de la recherche d’emploi des chômeurs, le prolongement de la réforme de l’apprentissage, le rachat des jours de RTT. Ces politiques doivent donc être engagées avec détermination. Mais l’atténuation ne pourra être que partielle et une baisse du pouvoir d’achat moyen est inéluctable.
Les prestations, y compris les retraites, sont en France totalement indexées sur les prix. Avec un délai plus ou moins élevé, chaque point d’inflation supplémentaire entraîne donc une augmentation des dépenses publiques annuelles, de plus de 5 milliards d’euros. Sauf à revenir sur cette indexation, ce qui serait politiquement courageux sinon téméraire, la baisse du pouvoir d’achat moyen concernera donc essentiellement les travailleurs et parmi eux les salariés. Et en ce domaine, les choses se compliquent un peu.
Deux scénarios extrêmes concernant les salaires
Le salaire minimum (le SMIC) est indexé sur l’inflation mesurée sur le premier quintile de revenu, plus dynamique que l’inflation moyenne puisque l’énergie, dont le prix a fortement augmenté, y représente une part de la consommation plus importante que pour le ménage moyen. En conséquence, après les revalorisations successives d’octobre 2021 puis de janvier, mai et août 2022, le SMIC a augmenté de 8 % sur les 12 derniers mois. Contrairement à ce qui est répété par une partie de la gauche, dont son líder maximo, c’est l’une des plus fortes augmentations de salaire minimum observées parmi les pays de l’OCDE. Le pouvoir d’achat des salariés au SMIC est donc totalement protégé, voire pour certains surprotégé si l’on prend aussi en compte d’autres dispositifs comme le chèque énergie. Ces hausses du salaire minimum poussent les minimas salariaux de branche, et les pouvoirs publics ont inscrit dans l’article 4 de la récente loi pouvoir d’achat des dispositions renforçant la pression pour que ces minimas ne demeurent pas dépassés par le SMIC quand ce dernier est revalorisé. Dans une telle situation, deux risques extrêmes sont à évoquer.
Le premier est que les hausses des minimas salariaux de branches, poussées par celles du SMIC, se reportent pleinement sur l’ensemble des salaires. Dans ce cas, une boucle prix-salaires s’amorcerait avec des conséquences préjudiciables en termes d’inflation, de compétitivité, de croissance et d’emploi. Seule l’augmentation du chômage qui en résulterait modèrerait progressivement les pressions salariales. C’est pour casser une telle spirale que le gouvernement de Pierre Mauroy, comptant Jacques Delors comme ministre de l’Économie, avait décidé en 1983, durant le premier quinquennat de François Mitterrand, d’interdire l’indexation des salaires sur les prix. Les gains de productivité à l’époque encore dynamiques avaient alors progressivement absorbé l’impact des deux précédents chocs pétroliers sur le pouvoir d’achat. Mais ce dernier avait cependant fléchi, par unité de consommation, de 0,9 % en 1983 et 1,8 % en 1984.
L’autre risque extrême est que les hausses des minimas de branche ne se reportent pas ou très peu sur l’ensemble des salaires. On observerait alors une accumulation croissante de salariés au voisinage du SMIC, avec deux conséquences difficiles. Tout d’abord, une frustration pour de nombreux salariés qui perdraient ainsi toute perspective de mobilité salariale. Ensuite, une dégradation des finances publiques puisque la masse salariale éligible aux allègements de contributions sociales employeurs ciblées au voisinage du SMIC augmenterait.
La dynamique qui sera effective se situera entre ces deux extrêmes, que l’on peut qualifier pour simplifier de scenario du chômage pour le premier et de la frustration pour l’autre. La part de chacun résultera de nombreux facteurs parmi lesquels l’engagement des partenaires sociaux, l’action des pouvoirs publics qui dépendra en partie des risques sociaux, et le degré d’acceptation par les ménages et les travailleurs d’un effort à consentir, comme prix de la défense de nos valeurs menacées par la guerre en Ukraine.
Un coup d’œil dans le rétroviseur
L’observation des évolutions du pouvoir d’achat moyen des ménages sur les dernières décennies montre que des sacrifices ont été possibles dans le passé. En ce domaine, les données publiées par l’INSEE permettent un retour jusqu’en 1960 (voir graphique ci-dessous). Sur cette longue période, SIX épisodes de baisse du pouvoir d’achat par unité de consommation ont été observés :
- -0,6 % en 1979-1980, à la fin du quinquennat de Giscard d’Estaing, dans le feux des deux premiers chocs pétroliers, cette baisse (succédant à une époque de forte croissance) ayant pu aider l’alternance politique et l’élection de Mitterrand en 1981 ;
- - 2,7 % en 1983-1984, après la mise en œuvre de la politique de désinflation compétitive par le Gouvernement Mauroy ;
- -0,5 % en 1993-1994, au moment de la crise financière de ces années qui a entraÎné une contraction du PIB de 0,6 % en 1993 ;
- -0,3 % en 2008, au moment de la crise financière, le PIB se contractant de 2,9 % en 2009 ;
- -3,5 % en 2011-2013, à l’intersection entre les quinquennats de Sarkozy et de Hollande ;
- -0,3 % en 2020, au moment de la crise de la COVID associée à une contraction du PIB de 7,8 %, dont les effets sur le revenu des ménages ont été presque totalement amortis par le déploiement de dispositifs de très grande ampleur. Et cette faible baisse a été suivie d’un fort rebond (+1,9 %) en 2021.
Les expériences de baisse du pouvoir d’achat moyen sur cette longue période sont donc assez nombreuses, celles de 1983-1984 et 2011-2013, engagée par un gouvernement de gauche pour la première et partagée par des gouvernements de droite puis de gauche pour la seconde, étant de grande ampleur. La baisse de pouvoir d’achat moyen qui se profile sur un proche avenir pourrait être d’une ampleur comparable sinon supérieure. Le gouvernement a signalé à maintes reprises qu’elle ne s’accompagnera pas d’une hausse des impôts et taxes. Ce choix paraît raisonnable, la France étant déjà, parmi les 39 pays de l’OCDE, celui où le taux d’imposition est le plus élevé, ce qui est préjudiciable à l’initiative économique et à la croissance. La maitrise des finances publiques et l’indispensable baisse de l’endettement public devront donc privilégier la baisse des dépenses. Cette baisse des dépenses devra passer par celle du nombre des fonctionnaires et contractuels de la fonction publique, la modération salariale les concernant ayant été poussée par tous les gouvernements sur les dernières décennies au point de créer une crise des vocations et de mettre en péril la qualité du service public.
Les choix à faire pour le gouvernement sont donc complexes : sortir de dispositifs onéreux, éviter un emballement des salaires et répartir équitablement l’inévitable baisse du pouvoir d’achat moyen qui se profile, réformer la fonction publique et l’Etat pour y associer une amélioration du service public à une baisse du nombre d’agents. Il faudra développer beaucoup de pédagogie pour y arriver. Un seul conseil nous parait utile à ce stade : expliquer, parler vrai et afficher les efforts à faire, sans en atténuer l’importance, toute édulcoration en ce domaine aboutissant à des frustrations et pouvant être ensuite durement sanctionnée, dans les urnes ou dans la rue.
Graphique. Evolutions du pouvoir d’achat du RD des ménages, par UC, en France
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