SMIC: quelles pistes de réforme? edit

21 décembre 2023

Chaque année, le Groupe d’experts sur le SMIC remet au gouvernement et à la Commission nationale de la négociation collective un rapport analysant l’impact du salaire minimum interprofessionnel de croissance sur l’économie française. Le rapport 2023 vient d’être publié[1].

Le contexte économique des trois années 2021 à 2023 s’est caractérisé par une inflation historiquement forte. Indexé sur l’inflation du premier quintile de revenu des ménages, le SMIC a été revalorisé à sept reprises, pour une hausse globale de 13,5% sur ces trois années. Si le pouvoir d’achat des salariés au SMIC a ainsi été protégé, il n’en va pas de même pour les salaires plus élevés, et la dispersion des salaires s’est réduite. La proportion de salariés directement impactés par la hausse du SMIC du premier janvier a ainsi augmenté pour connaître un maximum historique de 17,3% en 2023, après 14,5% en 2022 et 12% en 2021.

Pour différentes raisons expliquées dans le rapport, la hausse du SMIC est un levier fort peu efficace pour lutter contre la pauvreté laborieuse, qui s’explique principalement par de faibles quotités de travail (temps partiels et contrats courts) et par des charges familiales lourdes, surtout dans le cas des familles monoparentales. C’est sur ces facteurs qu’il faut intervenir en priorité pour réduire la pauvreté laborieuse. Le Groupe d’experts recommande donc de s’abstenir de tout coup de pouce qui s’ajouterait aux mécanismes actuels de revalorisation automatique.

Il recommande également de réformer ce mode de revalorisation automatique afin de laisser plus de place à la négociation collective et de responsabiliser davantage les partenaires sociaux. L’option de réforme privilégiée s’inspire des pratiques observées en Allemagne et aux Pays-Bas. Elle consisterait à indexer automatiquement le SMIC sur la moyenne des évolutions des minima salariaux d’un panel de branches ne souffrant pas d’insuffisance de la négociation collective. Un tel changement aboutirait à ce que les évolutions du SMIC seraient tirées par les résultats de la négociation collective au lieu de se substituer en partie à elle comme c’est actuellement le cas.

Pour les mêmes raisons, le retour aux échelles mobiles des salaires et, par exemple, à l’indexation automatique des minima de branche sur l’inflation apparaît à exclure car il se traduirait par un affaiblissement de la négociation collective dans un domaine qui est au cœur de son rôle.

Pour encourager l’augmentation des revenus des travailleurs à bas salaires, le Groupe d’experts privilégie la mobilité salariale et professionnelle. Mais cette mobilité est à ce jour contrariée par l’écart important au niveau des bas salaires entre, d’une part, les évolutions du coût du travail et, d’autre part, celles du revenu disponible. Ces écarts affaiblissent les gains de la mobilité salariale et donc de la formation professionnelle des personnes les moins qualifiées et les plus fragiles. Des réformes sont ici également indispensables afin de réduire les désincitations financières actuelles à la mobilité salariale et sociale au bas de l’échelle des salaires.

Synthèse du rapport

L’année 2023 a connu, comme la précédente, une inflation élevée. Celle-ci a atteint un pic au début de l’année, avec +6,3% en glissement annuel en février pour refluer depuis (+4,0% en octobre). Cette forte inflation s’explique essentiellement par un choc d’offre, lié aux contraintes sur les chaînes de production mondiales en sortie de crise du Covid-19 et surtout aux effets économiques de l’invasion russe en Ukraine avec notamment une hausse des prix des matières premières.

La détérioration des termes de l’échange qui résulte de l’augmentation du prix des importations représente un prélèvement brut de 3 points de PIB environ sur les richesses produites en France. Les gains de productivité nuls, voire légèrement négatifs depuis 2020 et la crise du Covid-19, n’ont pas amorti ce choc qui s’est donc traduit par une baisse du revenu réel distribuable. Les dispositifs déployés pour atténuer ce choc (bouclier tarifaire et remise à la pompe, en particulier) ont accru la dette publique pesant sur les générations à venir. La part résiduelle de ce choc se reporte mécaniquement sur le revenu réel des agents.

La croissance du PIB, dynamique en 2021 (+6,8% en moyenne annuelle) a permis de retrouver, en fin d’année 2022, le niveau d’activité d’avant la crise sanitaire qui avait induit une forte contraction de l’activité (-7,8% en 2020). En revanche, bien qu’encore soutenue sur l’année 2022 (+2,5%), la croissance marque un ralentissement depuis la fin de 2022 (+0,0% au 4e trimestre 2022), sans que le PIB ne rebondisse en 2023 (+0,1% au 1er trimestre, +0,6% au 2e trimestre, puis +0,1% au 3e trimestre).

Si le marché du travail a conservé au 1er trimestre 2023 son dynamisme enregistré en 2022, un léger ralentissement peut être observé au 2e trimestre 2023 qui semble se poursuivre au 3e trimestre selon les derniers indicateurs disponibles. L’emploi salarié a continué à croître début 2023, tiré par le secteur tertiaire marchand. Le taux de chômage (en hausse à 7,4% au 3e trimestre 2023) demeure proche du plus bas niveau observé depuis quarante ans et le taux d’emploi (68,3% au 3e trimestre 2023) est proche de son plus haut niveau depuis que l’Insee le mesure (1975). Cette bonne santé du marché du travail trouve aussi sa traduction dans la poursuite de l’augmentation observée depuis 2015 de la part de l’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) dans l’emploi total : le taux d’emploi en CDI des 15-64 ans s’établit à 50,4% au 3e trimestre 2023, soit +0,6 point par rapport à fin 2019.

Autre signe d’un marché du travail dynamique : les tensions de recrutement restent élevées dans tous les secteurs, bien qu’elles aient amorcé une baisse dans l’industrie et les services. Toutefois, les perspectives demeurent très incertaines sur l’année 2023. Ces tensions s’expliquent en partie par les fortes créations d’emplois, mais aussi par des facteurs structurels. Les pénuries de main-d’œuvre sont notamment dues à l’inadéquation des compétences dans certaines activités, à une attractivité insuffisante de nombreux postes de travail, ainsi qu’à une faible mobilité de l’offre de travail.

Ce qui se joue au niveau du SMIC

Le niveau du salaire minimum horaire en France (le SMIC) reste l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE. Parallèlement, la France se situe dans la moyenne de l’OCDE lorsqu’on compare le coût du travail au niveau du salaire minimum à celui au niveau du salaire médian, tout en étant l’un des pays de l’OCDE où le revenu net au niveau du salaire minimum est le plus proche du revenu net au niveau du salaire médian. Cette combinaison s’explique à la fois par les réductions de cotisations sociales employeurs ciblées sur les bas salaires et par les dispositifs de soutien aux bas revenus. Les cotisations sociales patronales au niveau du SMIC se limitent désormais à la cotisation accidents du travail et maladies professionnelles. Les politiques de soutien à l’emploi non qualifié devront donc dans le futur trouver d’autres voies. Les politiques de soutien aux bas revenus, de grande ampleur, en particulier avec la prime d’activité, semblent aussi avoir atteint leurs limites.

Le SMIC a été revalorisé sept fois du 1er janvier 2021 au 1er mai 2023 avec une hausse cumulée de +13,5% (dont +6,6% en glissement annuel au 1er janvier 2023, la plus forte hausse annuelle depuis 1991). Sur ces sept revalorisations, trois correspondent aux ajustements usuels du 1er janvier et quatre, infra annuelles, à la mise en œuvre automatique de la règle selon laquelle le SMIC est directement indexé sur « l’indice des prix des ménages du premier quintile dès lors que celui-ci progresse de plus de 2% par rapport à la dernière revalorisation ». La revalorisation infra-annuelle automatique antérieure remonte à l’année 2008. Le pourcentage de salariés directement concernés par la revalorisation du SMIC au 1er janvier continue d’augmenter en 2023 pour atteindre un niveau historique de 17,3% (après 12,0% en 2021 et 14,5% en 2022). Les hausses de salaire négociées dans les branches et les entreprises sont décroissantes avec les niveaux de salaire. Il en résulte une compression de la distribution des salaires sur les années 2021 et 2022 (les données ne sont pas encore disponibles pour l’entièreté de l’année 2023). Ce resserrement intervient après une longue période où le SMIC et les bas salaires augmentaient plus modérément que les salaires plus élevés.

Recommandations

Le Groupe d’experts recommande de s’abstenir de tout coup de pouce sur le SMIC au 1er janvier 2024. Les seuls mécanismes de revalorisation automatique préservent le pouvoir d’achat du Smic au regard de la hausse de l’indice des prix à la consommation.

Au-delà des éléments économiques rappelés plus haut, une hausse du SMIC au-delà de celle résultant des mécanismes de revalorisation automatique risquerait d’être préjudiciable à l’emploi des personnes les plus vulnérables, d’autant plus qu’elle ne pourrait plus être compensée par une baisse des cotisations sociales employeur. Par ailleurs, les hausses de salaire minimum légal en France sont peu efficaces pour réduire la pauvreté laborieuse dont les principaux facteurs sont un faible nombre d’heures travaillées et la configuration familiale.

Les mécanismes de revalorisation du SMIC sont très spécifiques à la France. En cas d’alternance de surprises inflationnistes et désinflationnistes,  ils peuvent susciter « mécaniquement » une dynamique de hausse du Smic supérieure à celle des indices salariaux de référence.

Les précédents rapports du Groupe d’experts privilégiaient, pour encourager l’augmentation des revenus des travailleurs à bas salaires, la mobilité salariale et professionnelle. Mais cette mobilité est à ce jour contrariée par l’écart important au niveau des bas salaires entre, d’une part, les évolutions du coût du travail et, d’autre part, celles du revenu disponible. Ces écarts affaiblissent les gains de la mobilité salariale et donc de la formation professionnelle des personnes les moins qualifiées et les plus fragiles.

Les précédents rapports du Groupe d’experts appelaient à l’instauration de dispositions adaptées visant à contrebalancer l’incitation financière actuelle, de fait, à la non-conformité des branches (minima salariaux inférieurs au SMIC) et à l’affaiblissement du rôle de la négociation collective. Il est ainsi suggéré de renforcer la responsabilité de la négociation collective dans le domaine salarial. Le Haut Conseil des rémunérations qui sera prochainement créé pourrait ainsi envisager de nouvelles dispositions.

Pour autant, le Groupe d’experts souligne que la négociation salariale au niveau des branches et des entreprises peut être fortement perturbée par le faible délai de prévenance entre la décision d’une hausse du SMIC et la mise en œuvre de cette hausse. Une hausse du Smic mise en œuvre le premier jour d’un mois donné n’est annoncée qu’au milieu du mois précédent.

Dans ses précédents rapports, le Groupe d’experts avait aussi souligné que les modalités d’indexation du SMIC mériteraient d’être amendées en vue d’une meilleure efficacité du marché du travail, notamment pour les salariés les moins qualifiés. Les mécanismes de revalorisation automatique brident la marge d’appréciation et de décision du gouvernement. De plus, elles se substituent au rôle de la négociation collective. Ainsi, le Groupe d’experts réitère sa recommandation d’une réforme des règles de revalorisation automatique du SMIC, dans le respect de la Directive européenne sur des salaires minimums adéquats.

Dans le contexte d’une réforme des modalités d’indexation du SMIC, le rôle du Groupe d’experts pourrait être élargi et faire l’objet d’une refonte, comme évoqué par plusieurs partenaires sociaux.

Propositions de réformes

Plusieurs types de réformes des règles de revalorisation automatique du SMIC pourraient être considérées, sans prohiber la pratique des « coups de pouce ».

Trois types de réformes, déjà présents dans le rapport 2022, sont proposés par le Groupe d’experts.

Une première option consisterait à repréciser les modalités de revalorisation automatique du SMIC afin d’éviter une dynamique de ce dernier spontanément plus forte que celle du SHBOE en cas d’une succession de surprises inflationnistes et désinflationnistes.

Une deuxième option viserait à supprimer tout ou partie des termes de revalorisation automatique (inflation et moitié du pouvoir d’achat du SHBOE). Cet abandon, qui ne fait pas consensus au sein du Groupe d’experts, conférerait une responsabilité accrue aux pouvoirs publics qui pourraient ainsi mieux articuler les évolutions du SMIC avec celles du marché du travail et des dispositifs de lutte contre la pauvreté laborieuse. Mais il lierait la fréquence et les revalorisations aux fluctuations politiques. Dans le contexte actuel de forte inflation, les revalorisations automatiques ont permis de protéger le pouvoir d’achat des travailleurs à bas salaires sur la période, même si les effets à moyen terme de cette protection sur la pauvreté sont incertains.

Une troisième option, enfin, qui s’inspire des pratiques observées en Allemagne et aux Pays-Bas, consisterait à indexer automatiquement le SMIC sur la moyenne des évolutions des minima salariaux d’un panel de branches ne souffrant pas d’insuffisance de la négociation collective. Un tel changement, dont l’opportunité est consensuelle au sein du Groupe d’experts, aboutirait à ce que les évolutions du SMIC seraient tirées par les résultats de la négociation collective au lieu de se substituer en partie à elle comme c’est actuellement le cas.

Ces diverses options de réforme n’interdiraient pas la possible pratique de « coups de pouce » dont elles renforceraient plutôt l’opportunité. Elles consolideraient surtout le rôle de la négociation collective et responsabiliseraient ainsi davantage les partenaires sociaux dans la définition des normes salariales et des minima de branche. À cet égard, le retour aux échelles mobiles des salaires et, par exemple, à l’indexation automatique des minima de branche sur l’inflation apparaît à exclure car il se traduirait par un affaiblissement de la négociation collective dans un domaine qui est au cœur de son rôle.

[1] Il est le troisième rapport effectué par le Groupe d’experts nommé en août 2021, pour un mandat de quatre ans. Ce groupe, présidé par Gilbert Cette (professeur à NEOMA Business School), est également composé de Sandrine Cazes (économiste principale à l’OCDE), Julien Damon (conseiller scientifique de l’En3s), Eva Moreno Galbis (professeure à Aix-Marseille Université) et Marie-Claire Villeval (directrice de recherche au CNRS, membre du Groupe d’analyse et de théorie économique). L’Insee, le ministère du Travail (DARES) et la Direction générale du Trésor contribuent à l’élaboration de ce rapport en y apportant chacun un rapporteur.