Investissements dans les start-up françaises: du succès à la bulle? edit
L’afflux monétaire consécutif à la politique accommodante des banques centrales a sans doute nourri une bulle dans le « venture », cette catégorie d’investissements qui concerne les start-up. Les nouvelles générations de fonds levées par ces boutiques de capital investissement (private equity) ces trois dernières années sont jusqu’à trois fois plus importantes que leurs aînées[1]. Signe d’un engouement ou d’un excès de liquidités ? Encore faut-il placer tout cet argent. Certes la tech est porteuse et promise à un bel avenir, mais les investisseurs manifestent une certaine fébrilité. Les valorisations atteignent des sommets, les tickets d’entrée sont de plus en plus élevés, les fonds se tournent vers des jeunes pousses de plus en plus jeunes. Les incertitudes politiques et la remontée des taux sonneront-elles le glas d’une décennie de croissance numérique ininterrompue ?
Les start-up de la finance, stars incontestées des levées de fonds
Si l’on prend l’ensemble des 456 levées de fonds en capital risque, les catégories les plus porteuses en 2017 furent le couple finance et assurance, le commerce et un ensemble regroupant le marketing, la publicité et l’édition. Soit un tiers des investissements en valeur[2]. Sur trois ans, l’analyse de l’ensemble des levées de fonds européennes pour des start-up « early stage » confirme le poids écrasant des Fintechs (les start-up spécialisées dans les métiers de la banque et de la finance) dans la valeur des investissements[3].
Ces statistiques sont à prendre avec des pincettes car les catégories avancées dans les études mélangent toujours secteurs d’activité (par exemple les Medtech) et technologies (par exemple l'Internet des objets). Or il en va des technologies comme des modes, les concepts en vogue s’y succèdent et recoupent parfois des mêmes réalités. Ainsi les défenseurs des services web à la demande (SaaS) dans les années 2000 pratiquaient-ils déjà sans le savoir l’informatique dans le nuage (« cloud computing ») des années 2010. Aujourd’hui l’intelligence artificielle a progressivement remplacé le fameux « big data » au rayon des concepts fourre-tout. Séparer le bon grain de l’ivraie et dégager de vraies tendances de long terme implique de revenir aux usages plus qu’aux technologies qui les portent.
Le succès international des start-up françaises
Les investissements étrangers dans les start-up françaises ont plus que triplé en cinq ans, passés de 15 en 2012 à 52 en 2017. Un tiers est britannique, un autre tiers américain. Ces boutiques de capital risque s’appellent Accel Partners, Index Venture ou encore Apiton Capital[4]. Leur connaissance de l’écosystème français des start-up s’affinant, elles réalisent de plus en plus d’investissements en direct, sans le soutien d’homologues français. Les valorisations des start-up françaises resteraient deux fois moins importantes que leurs homologues outre-manche, d’où l’attrait de nos voisins pour l’Hexagone.
Si la Grande-Bretagne domine encore la France en valeur investie dans ses pépites, il est intéressant de noter que le nombre de levées de fonds des start-up « early stage » françaises ces trois dernières années est supérieur à celui de leurs homologues britanniques. Ce succès français pour la création d’entreprises consacrerait-il la politique de « start-up nation » chère au gouvernement ? L’analyse des activités françaises des investisseurs étrangers révèle autre chose.
Des indices de surchauffe?
Les levées de fonds de plus de 10 millions d’euros ont représenté 20% de leurs interventions en 2017 contre 40% en 20134. Cela ne signifie pas qu’ils investissent moins mais que les petites prises de participation dans les start-up se multiplient. En effet les valorisations étant de plus en plus élevées et la compétition de plus en plus rude, la tentation est grande pour les fonds d’investir de plus en plus tôt dans la vie de la start-up, quitte à aller les chercher au berceau. Une démarche synonyme de davantage de risque que les fonds tentent de diluer en faisant du volume : beaucoup de petites prises de participations. Les investisseurs parient sur le fait qu’un faible nombre d’entre elles représenteront le jackpot qui rattrapera l’échec des autres. Ainsi les investissements semestriels dans les start-up européennes dites « early stage » ont été multipliés par quatre en trois ans, passant de 875 millions d’euros à plus de 3,6 milliards, soit 630 opérations au lieu de 375. Et la France dans tout cela ? Elle a attiré quasiment le quart de ces sommes, comme la Grande-Bretagne, consacrant une domination franco-britannique des start-up les plus jeunes3.
Le corporate venture renforce les valorisations élevées
42% des entreprises du CAC 40 sont désormais dotées d’un fonds de « corporate venture »[5]. Ce type de véhicule vise un retour sur investissement industriel. L’objectif, stratégique, est de suivre les nouveaux produits ou services qui pourraient affecter l’avantage compétitif de l’entreprise. La start-up y trouve son compte, le grand groupe lui ouvrant les portes de ses réseaux et de ses canaux de distribution ; on parle d’ailleurs de « smart money ». A contrario le venture classique, lui, vise un retour sur investissement purement financier, généralement à cinq ans, dans une logique de volume.
Malheureusement les grands groupes ont tendance à vouloir singer les banquiers et leur logique financière. Aux États-Unis, pourtant beaucoup plus avancés que nous avec des fonds comme Intel Capital ou Google Ventures, le MIT révélait en 2016 que la moitié des fonds corporate utilisait des instruments de mesure financiers pour juger du succès ou de l’échec de leurs investissements, négligeant ainsi totalement la dimension stratégique. Un constat renforcé par le fait que le quart des fonds ne venaient pas aux conseils d’administration des start-up en portefeuille et que, cerise sur le gâteau, 70% déclaraient n’avoir aucun intérêt à acquérir les start-up financées[6].
On peut dès lors s’inquiéter de la multiplication de fonds de corporate venture français qui entretiennent à leur tour des valorisations élevées tout en manquant parfois de discernement. Les malheurs de la MAIF avec la fintech Morning en 2016, suspendue par le régulateur pour avoir utilisé le compte en banque de ses clients comme garantie, n’en sont que l’un des exemples. L’assureur y avait mis quatre millions, prenant ainsi le relai de fonds traditionnels qui n’y avait pas investi. Qui plus est, les meilleures start-up ont tendance à se méfier de grandes entreprises qui tentent parfois de s’octroyer des conditions préférentielles d'accès à une nouvelle technologie par rapport à un prix de marché, quand elles ne cherchent pas à sanctuariser à leur profit la capacité d'acquisition de clientèle de la start-up.
Les solutions à ces problèmes existent : faire davantage de « deals » croisés avec des investisseurs traditionnels afin de monter en compétence, adhérer systématiquement à un pacte d'actionnaires sans droit de préemption ni d'accès privilégié aux produits de la start-up. Cela permettra d’assainir la relation start-up – grandes entreprises, à défaut d’empêcher une bulle de continuer à enfler ?
[1] Quelques exemples issus de la Crunchbase.
Partech Entrepreneur 1 créé en 2013 gère 30 millions d’euros, son successeur créé en 2016 100 millions.
Partech International VI créé en 2012 gère 250 millions, son successeur créé en 2017 450 millions.
Alven Capital IV créé en 2013 gère 120 millions d’euros, son successeur créé en 2016 250 millions.
Newfund1 créé en 2008 gère 72 millions d’euros, son successeur créé en 2016 130 millions.
Isai Venture 1 créé en 2010 gère 35 millions d’euros, son successeur créé en 2015 65 millions.
[2] Jamal El Hassani, « Les start-up françaises ont levé deux milliards d'euros en 2017 », Journal du Net, 9 février 2018.
[3] Etude Seed the Future: A Deep Dive into European Early-Stage Tech Startup Activity, tech.eu, Stripe, Techstars, novembre 2018.
[4] Guillaume Bregeras, « Les investisseurs étrangers se ruent sur les start-up françaises », Les Echos, baromètre Chausson Finance et CF News, février 2018.
[5] Etude David avec Goliath, Bain & Company, Raise, 2018.
[6] “Corporate VCs Are Moving the Goalposts”, Harvard Business Review, novembre 2016 ; Michael Rolfes et Alex Pentland, “Organizational Dynamics Within Corporate Venture Capital Firms”, (document de travail), 2016 ; Michael Rolfes, “Latent system dynamics within corporate venture capital firms”, Massachusetts Institute of Technology, 2016.
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