Victoires des outsiders, défaites de l’establishment, et puis… ? edit

12 février 2016

La victoire à la primaire au New Hampshire de Bernie Sanders sur Hillary Clinton comme celle de Donald Trump sur ses cinq rivaux n’aurait pas pu être prévue il y a un an. Tous les deux ont distancé leur plus proche rival de 20 points. Mais Sanders a bénéficié de 59,7% des suffrages démocrates alors que Trump ne récoltait que 35,2% des voix républicaines. Quoi qu’il en soit, l’establishment et plus largement la classe politique ont pris une claque qui continuera à résonner.

Du côté républicain, la primaire n’a pas joué son rôle de triage car les cinq candidats qui restent dans la course (Kasich, Cruz, Bush, Rubio et Christie) ont reçu, dans l’ordre, 16, 12, 11, 11 et 9% des suffrages, ce qui laisse prévoir une longue course à parcourir. Rubio, brièvement le favori de l’establishment après son succès relatif dans les caucus de l’Iowa, a fait une gaffe monumentale lors d’un débat deux jours avant le vote en New Hampshire. À voir si le poids de celle-ci se fait sentir dans d’autres primaires à venir.

Chez les démocrates, les primaires avaient pour enjeu le couronnement d’une candidate inévitable dont on critiquait les amitiés avec Wall Street, la tendance belliqueuse en politique étrangère et un pragmatisme sans vrai compas moral. Les premiers à soutenir Bernie Sanders – sénateur du Vermont qui se dit « démocrate socialiste » – espéraient surtout que son entrée dans la course contraindrait Hillary Clinton à « se gauchiser ». Pensent-ils maintenant, après cette belle victoire dans le New Hampshire que le challenger est maintenant non seulement candidat viable mais un vrai présidentiable en novembre? Dans ce cas de figure, le milliardaire Michael Bloomberg, 74 ans, ancien maire de la ville de New York, se dit prêt à entrer dans la course comme candidat indépendant et parle d’y investir un milliard de dollars de sa propre fortune. Quoi qu’il en soit, après sa victoire Sanders ne parlait plus de la « révolution » portée par sa candidature tandis que Hillary Clinton, pour sa part, affirmait avoir bien reçu « le message » des électeurs et promettait de se battre pour proposer « des solutions ».

Si l’on peut imaginer alors que le parti démocrate finira par se réunir autour d’un(e) candidat(e) et un programme, le discours prononcé par Donald Trump dans la foulée de sa victoire dans le New Hampshire était plus inquiétant. S’adressant à une foule admirative qui criait « Trump ! Trump ! », il répondait « USA ! USA ! », avant de réciter ses promesses nationalistes qu’il n’est pas nécessaire de répéter ici. Pas plus qu’à d’autres occasions, il n’a pas expliqué comment réaliser celles-ci ; par exemple, « Obamacare ? Ça disparaît [« it’s gone »]. Ce qui me frappait hier soir, c’est qu’à ce moment de triomphe il y avait comme une incitation mutuelle entre l’orateur et son public ; il ne se flattait pas de ce qu’il a fait ou ferait ; il ne parlait pas de lui mais de son public qui avait eu le bon sens – ou la foi – de croire en ces promesses ; et ce bon sens du public n’était que le reflet de la grandeur de celui qu’on appelle « le Donald ». Plus il promettait monts et merveilles, plus ils applaudissaient, et plus ils applaudissaient, plus il promettait. Il manifestait un populisme qui, dans sa personne, ne connaît pas de bornes (J’étais d’autant plus frappé par ce discours que j’étais en train de lire le livre de Zeev Sternhell, La Naissance de l’idéologie fasciste!). C’est un populisme vulgaire, qui ne respecte rien ni personne ; c’est la force pure qui s’admire dans sa personne.

Le populisme militant et agressif de Donald Trump est d’autant plus inquiétant que les autres candidats républicains sont incapables de lui répondre. Son discours anti-establishment n’est que la reprise rhétorique amplifiée de la politique suivie par les radicaux du Tea Party qui dominent de plus en plus les instances du parti (au point où les leaders républicains au Congrès ont refusé de discuter le budget pour 2016-17 que le président vient de leur soumettre, ce qui est un geste historique !). Le fait qu’aucun des cinq challengers n’ait été capable (ou n’ait pas eu le courage) de dégonfler ce bouffon populiste est étonnant, décourageant et potentiellement catastrophique.

La saison des primaires sera longue. Il y aura certainement des surprises qui nous attendent. Mais celle qui me fera le plus grand plaisir, ce sera le dégonflement de Donald Trump. Si ses opposants ne le font pas, il se l’infligera lui-même comme le résultat de l’hybris qui affecte fatalement celui dont le pouvoir ne connaît pas de limites. Attendons donc, avec confiance, la divine surprise.