Réformer la loi électorale - 3 - Les solutions à écarter edit

6 novembre 2015

Sur la base des considérations contenues dans nos deux articles précédents, la réforme du mode de scrutin devrait viser simultanément trois objectifs distincts :

1 - Assurer une représentation significative des grandes forces politiques du pays, en particulier du Front National et de la gauche anticapitaliste, qui sont aujourd’hui pénalisées moins par le nombre de suffrages recueillis que par leur incapacité à nouer des alliances majoritaires. Proportionnaliser le scrutin vise abord à assurer la représentation de partis dont l’audience électorale est non négligeable (voire significative) mais qui sont privés de sièges du fait de leur isolement stratégique.

2 - Renforcer l’autonomie idéologique et stratégique des partis appartenant à une même coalition. La prime majoritaire est justifiée quand elle permet à la coalition arrivée en tête de disposer d’une majorité de gouvernement. Elle ne l’est pas quand elle aboutit à faire taire, à minoriser et à asservir certains des partis membres d’une même coalition. Le « malheur aux vaincus » caractéristique du système majoritaire n’a pas lieu de s’appliquer au sein du camp des vainqueurs, ni d’ailleurs de déformer les rapports de force entre les partis de la coalition vaincue. La répartition proportionnelle des sièges à l’intérieur de chaque camp devrait être la règle.

3 - Il faut veiller à conserver un important avantage en sièges à la coalition arrivée en tête afin qu’elle dispose d’une majorité certes limitée mais claire de gouvernement. On voit bien que ces objectifs sont potentiellement contradictoires et supposent donc un réglage délicat en vue d’assurer un équilibre satisfaisant entre la reconnaissance de la fragmentation partisane et l’exigence de la stabilité majoritaire.

Avant d’avancer nos propres propositions, que nous développerons dans un dernier article, nous voulons d’abord évoquer ici les solutions qu’il nous semble judicieux d’écarter.

On évoque le plus souvent les pistes suivantes : « l’instillation » d’une dose de proportionnelle dans le système majoritaire, naguère annoncée mais jamais mise en œuvre par le Président Mitterrand, la mise en place comme en 1985 d’une représentation proportionnelle faussement intégrale, ou encore la transposition à la France d’un scrutin à l’allemande inscrivant des compétitions uninominales dans le cadre d’un scrutin à caractère proportionnel. Aucune de ces solutions ne nous paraît satisfaisante.

L’instillation d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin actuel
On prête régulièrement au Président Hollande la tentation de mettre en œuvre ce concept lancé dans le débat par François Mitterrand. Il s’agirait de maintenir dans son ensemble le scrutin uninominal à deux tours tout en permettant l’élection à la proportionnelle de quelques dizaine de parlementaires, le nombre en étant choisi pour assurer une représentation minimale de toutes les forces aujourd’hui sacrifiées réellement ou potentiellement par l’étroitesse de leur base ou par leur isolement - FN, Modem, Verts ou Front de Gauche – sans pour autant risquer de priver l’Assemblée nationale d’une majorité claire. La mise en œuvre d’une telle réforme se heurterait d’emblée à une difficulté majeure : à moins d’augmenter, horresco referens, le nombre global de députés, la création de nouveaux sièges attribués à la proportionnelle obligerait à réduire le nombre des élus au scrutin uninominal et exigerait donc un redécoupage général des circonscriptions. Impensable avant 2017 ! Ce travail herculéen ne permettrait pas en revanche de remettre en cause les déséquilibres massifs de représentation affectant certains partis dans le cadre du système actuel. Le seul « avantage » de cette instillation serait d’intéresser personnellement, et de façon parfaitement immorale, à l’infortune persistante des partis sacrifiés par l’actuel mode de scrutin les dirigeants des dits partis, verts, centristes, frontistes, révolutionnaires, qui se retrouveraient rémunérés de quelques sièges personnalisés en échange de la sous-représentation maintenue de leurs maisons respectives. Les chefs recevraient ainsi une sorte de pourboire pour l’iniquité faite à leurs électeurs.

Le rétablissement de la loi de 1985
On pourrait imaginer à l’inverse d’instituer une véritable représentation proportionnelle tout en garantissant un effet majoritaire non négligeable par l’adjonction à la loi de certaines modalités restrictives. C’est ainsi que la loi du 10 avril 1985, qui a présidé aux élections législatives de l’année suivante, comportait en réalité trois leviers majoritaires : le seuil de 5% des suffrages exprimés en vue d’exclure les petits partis de la distributions des sièges, l’étroitesse des circonscriptions, départementales ou infra-départementales, produisant un effet analogue à celui du seuil par l’élévation du quotient nécessaire à l’obtention d’un siège, et enfin l’application du principe d’attribution des sièges à la plus forte moyenne plus favorable aux grandes formations qu’aux petites. L’effet majoritaire produit par la combinaison de ces trois dispositions est loin d’être négligeable : en 1986, la coalition RPR - UDF a obtenu avec l’appui des divers droites 44,84 % des voix et 50,60% des sièges et a donc bénéficié d’une prime majoritaire de près de 13%.

Suffirait-il alors dans la France d’aujourd’hui de rétablir la loi de 1985 ? Non. Et pour deux raisons. D’une part, l’effet majoritaire, qui était à deux doigts d’être insuffisant en 1986, le serait presque à coup sûr aujourd’hui. L’éclatement du système en trois, voire quatre avec l’extrême gauche, blocs incompatibles ne devrait permettre à aucun d’entre eux de franchir le seuil nécessaire à la constitution d’une majorité en sièges à l’Assemblée Nationale. De plus, l’effet majoritaire produit par ce système ne serait pas exempt d’une redoutable perversité : le dispositif prendrait certes en compte le taux d’adhésion à un parti en conférant un avantage en sièges au(x) parti(s) arrivé(s) en tête, mais il ne prendrait pas en compte le différentiel de taux de rejet dont ce ou ces partis font l’objet. Or, comme on l’a vu, il s’agit là d’un paramètre essentiel : il serait extrêmement dommageable de donner une majorité en sièges à un parti qui serait certes arrivé en tête avec, par hypothèse, un score compris entre 25 et 35 % des suffrages exprimés mais qui n’en serait pas moins largement en tête également des partis réprouvés par l’opinion.

Un système à l’allemande
En Allemagne, les élections au Bundestag reposent sur l’émission simultanée par l’électeur de deux votes distincts : un vote destiné à élire un député dans un cadre uninominal et un vote destiné à exprimer une préférence partisane. Le second vote détermine la répartition finale - strictement proportionnelle - des sièges entre les partis et assure donc à due proportion l’élection complémentaire de parlementaires additionnels. Bien que ce mode de scrutin soit parfaitement proportionnel - ce qui ne saurait nous convenir mais n’est pas inhérent au dispositif - il symbolise en France les vertus du scrutin mixte. On peut toutefois douter de l’adaptabilité de ce système au cas français. Il est peu probable en effet qu’un mécanisme aussi compliqué que celui du double vote soit accueilli favorablement par nos concitoyens. Il n’est pas acquis par ailleurs que l’institution de deux types de parlementaires soumis à des charges et à des contraintes très différentes ne soit pas censurée par le Conseil constitutionnel pour rupture du principe d’égalité. Enfin, argument d’opportunité décisif, la mise en œuvre d’une telle réforme obligerait à un redécoupage électoral total, ce qui est hors de portée dans la perspective des échéances de 2017.

À suivre…