Le PS souhaite-il vraiment revenir au pouvoir ? edit

3 décembre 2008

Cette question alimente depuis quelque temps les débats et réflexions sur l’avenir de ce parti. L’un des arguments les plus intéressants fournis par ceux qui répondent à cette question par la négative concerne la nature actuelle du parti socialiste. Détenant un nombre très important de positions électives à tous les niveaux, le PS n’aurait plus « assez faim » pour vouloir de surcroît occuper la plus prestigieuse, la présidence de la République. En outre, ses positions locales seraient plus facilement conservées dans l’opposition que dans une situation où le parti serait au pouvoir. Se serait ainsi instaurée une sorte de cohabitation, non pas entre gouvernement et présidence de la République mais entre le national (à droite) et le local (à gauche). Une telle analyse a sa part de vérité. Mais si le Parti socialiste a bien un problème avec le pouvoir national, les raisons principales en sont ailleurs. Et elles sont plus anciennes et plus profondes. Elles renvoient à la difficulté des socialistes d’assumer aussi bien les réalités du capitalisme que celles du système présidentiel.

La première, la plus ancienne, est ce qui reste de ce qu’Alain Bergounioux et moi-même avions jadis appelé « le long remords du pouvoir. » du Parti socialiste. Aussi curieux que cela puisse paraître, malgré l’alternance de 1981, les deux septennats de François Mitterrand et trois législatures au pouvoir, le « parti d’Epinay » ne s’est pas totalement dépris de ce remords de gouverner en régime capitaliste.

N’en déplaise aux tenants du Bad-Godesberg « pratique » qu’aurait accompli le parti français dans les années quatre-vingt, le Parti socialiste, jusqu’à il y a quelques mois, ne s’est jamais clairement affirmé comme réformiste et partisan de l’économie de marché. Paradoxalement, le poids politique de François Mitterrand d’une part, et son caractère présidentialiste, ont permis au parti de se sentir plus souvent « aux côtés » du pouvoir qu’au pouvoir, créant ainsi une distance entre lui et ce pouvoir qu’il lui aurait été difficile de tenir dans un régime pleinement parlementaire. Comme sous les républiques précédentes, le pouvoir a apporté beaucoup de désillusions aux socialistes – sauf la première année du gouvernement Mauroy, comme jadis les premiers mois du Front populaire, c’est-à-dire précisément les périodes qui ne peuvent pas durer très longtemps. Lionel Jospin lui-même avouait n’avoir pas aimé le second septennat de François Mitterrand, et sa propre tentative réformiste comme chef de gouvernement, entre 1997 et 2002, n’a pas transformé le Parti socialiste en un parti réformiste.

Contre l’idée commune, qui est que ce parti a beaucoup aimé le pouvoir et en a beaucoup profité, il me semble que son vieux fond révolutionnaire, marxiste et anti-capitaliste constitue toujours son surmoi et que ce surmoi l’empêche de souhaiter à tout prix l’exercice du pouvoir, d’être tout entier tendu vers lui, même si ses candidats à l’élection présidentielle peuvent l’être. Certes, François Mitterrand l’y a amené et il s’en est d’abord réjoui. Certes, la victoire inattendue de 1997, après l’affreuse période électorale 1992-1994, lui a redonné confiance comme parti de gouvernement. Mais ce n’est pas un hasard s’il n’a jamais tiré collectivement le bilan de ses quinze années de gouvernement, n’en a jamais fourni l’intelligibilité, retenant positivement quelques « grandes conquêtes sociales » et adjurant périodiquement les trop importants compromis réalisés avec le capitalisme et le libéralisme, estimant toujours, enfin, comme Léon Blum avant 1936, que l’exercice du pouvoir par les socialistes n’est légitime que s’il apporte des « modifications substantielles » et qu’il laisse « une trace éblouissante ».

Ce rejet du réformisme pèse encore plus lourd dans certaines périodes, comme celle d’aujourd’hui, où le rétrécissement des marges de manœuvre empêche une politique généreuse de dépenses et un accroissement sensible de la redistribution. À quoi bon gouverner dans ce cas ? Conscient ou inconscient chez beaucoup de socialistes, ce sentiment constitue un frein psychologique à l’envie du pouvoir. Le pouvoir, pour quoi faire ou plutôt pour faire quoi ?

La seconde raison accroît encore les effets de la première. Les socialistes avaient fini par se convaincre, au moins partiellement, de la légitimité de gouverner, en se faisant, à la Libération, les grands défenseurs du régime parlementaire. La légitimité du régime institutionnel permettait d’oublier un peu l’illégitimité du pouvoir en régime capitaliste. La défense des institutions « républicaines » donnait au Parti socialiste un rôle, une mission même, contribuant à redéfinir son identité dans le cadre de la démocratie représentative. En deux moments, 1958 puis 1962, le général de Gaulle a détruit ce lien de légitimité entre les socialistes et les institutions. Les socialistes n’ont jamais aimé les institutions de la Ve République et en particulier l’élection présidentielle. Mais la dynamique des choses et l’action de ses dirigeants,ont d’une certaine manière imposé la logique de la Ve République au PS sans que celui-ci l'assume réellement. Du coup, gouverner à la fois en régime capitaliste et en régime présidentialisé, cela fait beaucoup pour lui !

Si le Parti socialiste a perdu trois élections présidentielles de suite, c’est probablement parce que ses candidats n’étaient pas assez bons, mais c’est certainement parce que ce parti n’a pas voulu s’assumer clairement comme parti présidentiel. On l’a encore vu lors du récent congrès de Reims. À aucun moment, les adversaires de Ségolène Royal ne se sont vraiment posé la question de savoir comment leur parti pourrait gagner la prochaine élection présidentielle, faisant comme si les affaires du parti pouvaient être aussi nettement distinctes de cette question cruciale. Il y avait entre François Mitterrand et le « parti d’Epinay » une répartition des tâches non écrite : le premier tentait de ramener la gauche au pouvoir en utilisant les institutions de la Vè République, les seconds préparaient la rupture avec le capitalisme… et donc, indirectement, avec les institutions.

Ce type de répartition des tâches n’est plus possible aujourd’hui. Le Parti socialiste est-il conscient qu’il lui faudra choisir clairement entre l’une et l’autre ? Entre l’utopie et le pouvoir ! Ce qui, convenons-en, n’est pas pour lui un choix facile à effectuer !