La véritable feuille de route de Harlem Désir edit

14 septembre 2012

Au-delà des péripéties de la désignation du futur Premier secrétaire, il faut analyser les vrais enjeux de la passation de pouvoir au Parti socialiste. La principale tâche d’un premier secrétaire, lorsque ce parti est au pouvoir, est non seulement de soutenir la politique du gouvernement mais surtout d’en expliquer et défendre les principales inflexions. Lionel Jospin dut expliquer le tournant de la rigueur en 1983, François Hollande dut soutenir en 2000 l’inversion du calendrier électoral, décidée par Lionel Jospin, qui officialisait la reconnaissance par le Parti socialiste de la primauté de l’élection présidentielle dans la Ve République. Harlem désir va devoir, lui, défendre le tournant européen qui est au fondement des déclarations récentes du président de la République. L’accord de François Hollande avec les dispositions du pacte budgétaire, qui représentent un pas supplémentaire vers un fédéralisme européen, fixe la véritable feuille de route du futur premier secrétaire.

Cette option fondamentale du nouveau président français aura des conséquences importantes sur  la gauche française comme le cours de la social-démocratie européenne en aura sur l’ensemble des gauches européennes. La question européenne, qui constituait déjà un facteur de clivage important au sein des gauches, va devenir le clivage essentiel avec l’accélération du processus de fédéralisation de l’Union européenne et ses conséquences sur les politiques nationales en terme de rigueur budgétaire et de compromis avec les patronats pour améliorer la compétitivité de l’économie européenne. Dans ces conditions, en France, comme ailleurs en Europe, les gauches pro-européennes et anti-européennes vont diverger de manière croissante au point que la question européenne ira jusqu’à mettre en question la notion même de gauche du point de vue idéologique.

Les élections aux Pays-Bas viennent de confirmer ce point. Le gouvernement libéral sortant s’était appuyé sur l’extrême-droite pour gouverner alors que les sociaux-démocrates flottaient autour d’une position qui sans être eurosceptique, était néanmoins floue sur l’avenir de la construction européenne. Or à la veille de ces élections, le clivage sur l’Europe s’est révélé plus structurant que le clivage gauche/droite. Les sociaux-démocrates et les libéraux, qui en sortent largement vainqueurs, vont gouverner ensemble sur la ligne fixée par le pacte de stabilité. En Allemagne, Die Linke, l’extrême-gauche allemande, a tenté, en vain avec quelques membres de la droite allemande, de faire annuler par la Cour constitutionnelle ce même pacte défendu par les sociaux-démocrates, et il est possible que l’année prochaine, ces derniers participent à une grande coalition avec le parti d’Angela Merkel. La victoire des pro-européens aux Pays-Bas ne peut qu’encourager les sociaux-démocrates européens à donner, quand ils sont au pouvoir, la préférence au clivage sur l’Europe et assumer des politiques  gouvernementales axées sur une accélération de la construction européenne.

Si l’on se retourne vers le cas français, le difficile défi auquel sera confronté Harlem Désir apparaît alors clairement. Il lui faudra faire prendre au Parti socialiste le tournant du fédéralisme budgétaire, de l’Union bancaire et peut-être du fédéralisme fiscal, bref, le tournant européen. Cet enjeu est majeur dans la mesure où d’une part, il lui faudra mener le débat interne contre les opposants à cette politique et d’autre part gérer l’affrontement inévitable entre la gauche pro-européenne et celle qui va manifester bientôt contre l’austérité induite par le pacte budgétaire et le mécanisme européen de stabilisation (MES). Tandis qu’en France, le gouvernement encourage un accord entre les syndicats réformistes et le Medef, Jean-Luc Mélenchon voit dans celui-ci le chef d’Etat major de la réaction. Au-delà du conflit sur l’Europe, c’est la vision même de l’économie, du capitalisme et de la mondialisation qui est posée. Et, compte tenu de la trajectoire de la social-démocratie européenne, les visions des deux gauches sont devenues totalement inconciliables.

Il a été reproché à Harlem Désir sa transparence politique et sa prédilection pour la langue de bois. Ce reproche n’est pas totalement injustifié. Mais le futur premier secrétaire est aussi un européen convaincu comme l’atteste son parcours politique, notamment au sein du Parlement européen. Sa nouvelle fonction peut donc le révéler. Défendre un positionnement clairement pro-européen du Parti socialiste français, après l’immobilisation qui a suivi la désastreuse division du parti provoquée par la ratification du Traité constitutionnel européen en 2005, n’est pas un enjeu secondaire. Certes, Harlem Désir n’occupera pas le devant de la scène ; ni Jospin sous Mitterrand, ni Hollande sous Jospin ne l’occupèrent. Mais contribuer au premier chef à l’aggiornamento européen du parti socialiste  n’en est pas moins une grande affaire. Il n’y a pas de raison de parier à l’avance qu’il n’en sera pas capable. Attendons de le juger sur pièce.