La fortune contrastée des partis pirates edit

2 juillet 2012

Le Parti pirate français a raté son décollage lors des dernières élections. La presse locale et les journaux d’information se sont emballés pour ses candidats, adeptes de la campagne à zéro euro. Mais leur aventure a tourné court : n’obtenant pas au moins 1 % des voix dans au moins 50 circonscriptions pour accéder au financement public des partis, ils sortent du jeu. Pourquoi une percée aussi timide, alors que leurs homologues allemands ont le vent en poupe ?

Les candidats français montrent leur attachement aux deux piliers de la Net Ethique : d’abord, la défense d’une démocratie pure et dure, celle que stimule la Toile par la conversation généralisée et les échanges de pair à pair d’informations et de contenus culturels ; ensuite, une vigilance absolue sur la protection de la vie privée et donc un refus de tout filtrage des navigations ou de tout fichage des individus. La communauté internaute combat les lois comme DADVSI, LOPPSI 1 et 2, Hadopi, ACTA, et se mobilise pour une révision de fond en comble du droit d’auteur – beaucoup d’entre eux ont signé le pacte du Logiciel libre.

Fort de ces principes, le parti pirate a étendu sa réflexion en s’attaquant à la transparence de la vie publique : ses membres exigent la levée du voile sur les comportements des hommes politiques dans l’exercice de leurs fonctions, et sur les secrets d’Etat, relayant par là l’action de Wikileaks. La plupart d’entre eux ont signé la Charte ANTICOR (www.anticor.org), charte éthique des collectivités territoriales, de même tous se déclarent favorables à l’ouverture des données publiques. Par ailleurs, ils préconisent, pour leur propre action, la mise en place de processus démocratiques, qu’ils nomment la démocratie liquide, une démocratie approfondie et issue de la base grâce à la machine du Net : circulation de propositions émanant des militants (Liquid Feedback) et soumises à un vote lors d’assemblées. Enfin, ils ont engagé une lutte contre toutes les formes de surveillance installées dans la Cité, en particulier les caméras.

Pour le reste, chaque candidat est convié à développer ses propres propositions. On relève dans les professions de foi des références à « l’allocation universelle » ou à la mise en place de sources d’énergie alternatives, ce qui rapproche cette mouvance des écologistes. Le mot d’ordre des candidats, pourtant, concerne surtout la Net philosophie et peu un mode de vie alternatif (décroissance, légalisation du cannabis ou mariage gay, par exemple).Sérieux, impliqués, campant sur des positions morales concernant la vie publique, a priori nullement des adeptes d’une démocratie hédoniste débridée. S’ils ont organisé parfois des apéros-pirates pour pimenter leur campagne, ceux-ci ressemblent plutôt à des soirées entre copains qu’à des « teuf » délirantes. En France, la mythologie techniciste prime sur le rêve californien des années 70. De fait, les candidats, très jeunes pour la plupart (70 % de moins de 35 ans), de sexe masculin pour l’essentiel (90 %), sont issus soit du milieu des étudiants (16 % d’entre eux) souvent en informatique, soit des professions ingénieurs/informaticiens (55 %) et presque jamais des professions artistiques. Au total, ils tissent le portrait de la République des Informaticiens, des militants qui voient dans l’internet, et non dans la lutte des classes, la matrice de la révolution sociale.

Qu’en est-il au-delà du Rhin ? Né le 10 septembre 2006, quelques mois seulement après la fondation officielle du Parti pirate à Stockholm, le Piratenpartei (PP) a connu au cours des derniers mois une évolution que les premières années de son existence ne laissaient aucunement présager. Ses premiers pas électoraux en 2009 ont été modestes : seulement 0,9% des suffrages exprimés lors des élections européennes, 1,9% aux élections régionales dans la Saxe ; les 2% obtenus lors des élections législatives ne lui ont pas permis de participer aux travaux parlementaires de l’actuelle législature. Pour autant, le parti dirigé jusqu’au 29 avril dernier par l’informaticien de 28 ans Sebastian Nerz a aujourd’hui de bonnes raisons de croire à un avenir meilleur. Depuis son entrée au Parlement du Land de Berlin (8, 9 % des voix qui correspondent à 15 sièges) à l’automne dernier, le PP a engrangé trois succès remarqués, dans la Sarre (7,4%), dans le Schleswig-Holstein (8,2%) et surtout en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne, où il a obtenu 20 sièges (7,8%). Fort de cette ascension, le parti dirigé depuis peu par le criminologue et formateur au ministère de la Défense Bernd Schlömer, 41 ans, pourrait bien faire en 2013 son entrée Bundestag ; la condition pour cela étant de totaliser plus de 5% des voix, en vertu de la Loi fondamentale allemande.

Comme en France, le PP allemand revendique depuis sa création un positionnement en dehors du paysage politique établi : initialement, celui-ci s’est d’ailleurs vu coller l’étiquette de « parti des geeks », en raison d’un programme axé autour de la défense des libertés numériques. Sans occulter l’esprit de départ, les Pirates ont ensuite complété, au gré des congrès nationaux, la palette de leurs revendications afin d’englober toutes les libertés individuelles d’une part et de prôner un système de gouvernance plus transparent d’autre part. De surcroit, ils s’associent, semble-t-il, davantage à un projet contre-culturel que le parti français (références aux modes de vie alternatifs, et à la dépénalisation des drogues), en harmonie avec l’identité de Berlin, capitale des geeks et de la culture alternative. Le phénomène étant très récent, il est encore difficile d’expliquer leur succès soudain. Les difficultés de la coalition gouvernementale actuelle dirigée par Angela Merkel – composée des chrétiens-démocrates, des chrétiens-sociaux et des libéraux – depuis sa naissance à l’automne 2009 ne sont sans doute pas étrangères à leur montée en flèche. Les pirates suscitent aujourd’hui la sympathie d’électeurs qui, lors des élections fédérales législatives de 2009, avaient porté leur choix sur les autres partis actuellement représentés au Bundestag, ce qui laisse sous-entendre une vraie défiance envers le système politique traditionnel.

Aujourd’hui, les pirates allemands sont crédités de 11% d’intentions de vote pour les élections législatives qui auront lieu en septembre 2013 – selon le mode proportionnel. Depuis le début de l’année, ils ont enregistré une augmentation considérable de leurs effectifs. On constate en particulier l’afflux de nombreux anciens sympathisants du Parti libéral, mais aussi de citoyens qui étaient totalement désintéressés de la vie politique, ce qui prouve bien qu’au-delà des revendications dans le domaine numérique – qui étaient à l’origine du mouvement –, cette nouvelle formation politique suscite un certain espoir de renouveau démocratique. Par exemple, ils envisagent la possibilité de retirer le mandat d’un élu à tout moment, en dehors des dates imposées par le calendrier électoral.

Quoiqu’il en soit, les succès remportés par les pirates ne risquent-ils pas de représenter paradoxalement un handicap ? En effet, plus qu’un parti « antisystème », le parti pirate se positionne avant tout comme « hors système », refusant les logiques partisanes et l’appartenance à l’un ou l’autre camp de l’opposition traditionnelle droite-gauche ; devenu un acteur de la vie législative, il ne pourra longtemps revendiquer l’originalité qui a fait son succès. S’ils sont appréciés pour leur côté sympathique, les élus du Piratenpartei se trouvent à la croisée des chemins puisqu’ils doivent dorénavant donner du crédit à leur action. Comment préserver la cohérence de leur projet avec la réalité du travail parlementaire régional ? Ne seront-ils pas contraints de réviser leurs revendications parfois utopiques ?

Une entrée conséquente du Piratenpartei au Bundestag en 2013 aurait une résonnance, car ce parti bouscule les cadres de la pensée politique en Europe. Certes, il ne se présentera probablement pas dans une coalition avec les partis existants, mais il peut constituer une force de proposition et d’appoint pour certains votes. Le système électoral des législatives rend très difficile une telle évolution en France. Ici, le principal obstacle réside de fait dans la saturation de l’espace politique par la polarité droite/gauche.