Du bon et du mauvais usage de la primaire ouverte edit

7 janvier 2017

La procédure de la primaire ouverte est aujourd’hui l’un des principaux éléments qui différencient les deux grands partis de gouvernement des autres formations politiques françaises. Seuls ces deux partis ont en effet les moyens d’organiser une telle procédure pour désigner leur candidat à l’élection présidentielle et ils l’ont seuls inscrite dans leurs statuts. Comme l’a montré la première primaire de ce type organisée par les socialistes en 2011, la capacité à organiser une telle consultation peut représenter un avantage potentiel important dans la compétition présidentielle. Encore faut-il que le parti qui l’organise rassemble les conditions nécessaires à sa réussite.

Il est possible de distinguer quatre conditions nécessaires à remplir pour réussir ce type de consultation : le ou les partis qui organisent ensemble la primaire doivent occuper une part suffisante de l’espace politique et électoral ; ces partis doivent présenter des offres politiques qui malgré leurs différences présentent une homogénéité idéologique et politique suffisante pour apparaître comme constituant une force politique ayant une crédibilité gouvernementale ; ils doivent accepter le cadre institutionnel et l’esprit de la Ve République d’où est issue la procédure de la primaire et en particulier la forte personnalisation de l’élection présidentielle ; enfin il faut que les chances de victoire à cette élection apparaissent suffisantes pour que l’enjeu principal de cette primaire soit bien l’élection présidentielle elle-même, aussi bien aux yeux de ses organisateurs que des électeurs appelés à y participer. De ce quadruple point de vue, la comparaison entre la primaire de la droite et du centre organisée en novembre dernier et celle de la « Belle Alliance populaire » qui aura lieu ce mois-ci fait apparaître des différences importantes. La première peut être considérée comme un succès tandis que la seconde est loin de réunir a priori les conditions de la réussite.

L’espace politique et électoral

La première différence concerne l’espace politique et électoral occupé par le ou les partis organisant une primaire. A droite, le parti dominant, les Républicains (LR), a réussi à obtenir des formations centristes qui lui sont traditionnellement alliées l’organisation d’une primaire unique alors que ce parti est clairement dominant dans la coalition. L’espace politique occupé par cette coalition de partis, qui s’engagent à gouverner ensemble en cas de victoire, couvre l’essentiel de la droite et du centre droit et représente électoralement approximativement un quart de l’électorat. Selon les sondages, la probabilité que le candidat désigné, François Fillon, figure au second tour de scrutin de l’élection présidentielle est importante. A gauche, le PS, principal parti organisateur de la primaire, est très isolé. Malgré la présence parmi les sept candidats de trois candidats n’appartenant pas au Parti socialiste, aucune autre force politique notable ne participe à cette primaire, ni la formation nouvelle de centre-gauche créée par Emmanuel Macron, ni les Verts, l’une et l’autre présentant leur propre candidat. Par ailleurs, l’extrême-gauche sera présente, notamment avec un candidat ayant un véritable potentiel électoral, Jean-Luc Mélenchon. Surtout, pour la première fois depuis 1978, le PS n’est plus la principale force électorale à gauche. Son potentiel électoral ne paraît guère supérieur à 10%. Concurrencé dangereusement sur sa droite et sur sa gauche, le candidat socialiste, quel qu’il soit, a donc peu de chances de se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle.

L’homogénéité politique de la primaire

La seconde différence concerne l’état des deux grands partis de gouvernement. Les Républicains présentent une relative cohérence du point de vue de la politique économique. Les principaux candidats qui se sont affrontés à la primaire partageaient une vision libérale de l’économie ; malgré leurs différences et la situation de concurrence dans laquelle les plaçait la primaire, ils ont pu se rassembler assez facilement derrière le vainqueur, François Fillon, et affirmer leur volonté de gouverner ensemble en cas de victoire. LR possède donc à l’issue de cette primaire une réelle crédibilité comme parti de gouvernement. La primaire a joué son rôle qui consiste à la fois à sélectionner un candidat mais aussi à le faire dans des conditions telles qu’elle apporte une plus-value au parti et au candidat dans la perspective de l’élection présidentielle.

Il en va tout autrement de la primaire du PS. Le seul fait que la gauche du parti ait voulu imposer une primaire au président sortant exprimait la profonde et irrémédiable division de ce parti sur la définition de la politique gouvernementale. Face à cette exigence, François Hollande était acculé à un choix impossible : soit affronter au sein de son propre parti de véritables adversaires décidés à lui faire un procès public soit renoncer à se représenter au risque de reconnaître ainsi son propre échec. Une fois Hollande hors course, le front anti-Valls qui s’est organisé a confirmé que le Parti socialiste était aujourd’hui incapable de s’unir sur un projet d’action gouvernementale. Dans ces conditions, qui peut imaginer, à l’issue de la primaire, le ralliement de la gauche du parti à Valls ou l’inverse ? Qui peut espérer que les débats de la primaire ne soient pas d’abord consacrés à l’attaque ou à la défense du bilan du quinquennat ? Dans ces conditions, comment donner quelque crédit à l’appel lancé par le Premier secrétaire du PS à Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron à participer à une grande primaire de gauche quand s’étale publiquement l’impossibilité d’une gauche de gouvernement au sein du seul Parti socialiste ? Cet appel ne contribue-t-il pas, par son absence de crédibilité, à souligner que la notion de gauche n’a plus aujourd’hui aucune réalité du point de vue de l’exercice du pouvoir ? Quant au Parti socialiste, il ne constitue plus une force politique assez homogène pour gouverner ni même un outil utile aux yeux de nombreux socialistes ou sociaux-libéraux. Les uns guignent vers un Jean-Luc Mélenchon dont l’objectif est la destruction du Parti socialiste, caressant le vieux rêve de la reconstitution d’une véritable force radicale, les autres se tournent vers un Emmanuel Macron qui ne croit plus à l’utilité du PS pour faire triompher ses idées. Ainsi le parti qui organise cette primaire a déjà cessé en réalité de fournir un toit acceptable pour ceux qui l’habitent. Comment pourrait-il dans ces conditions apparaître à l’opinion comme un grand parti de gouvernement ?

La primaire et l’esprit des institutions

L’institutionnalisation de la primaire ouverte, en laissant les électeurs choisir eux-mêmes leur candidat à l’élection présidentielle, est conforme à l’esprit des institutions qui privilégie la personnalisation du pouvoir. Le parti qui organise une primaire ouverte doit attirer des candidats à la fois très motivés par cette élection et capables de mobiliser l’électorat. Il faut donc que ce parti définisse largement son « domaine » électoral et idéologique pour attirer des candidats crédibles et connus et suffisamment différents les uns des autres pour qu’un véritable débat soit possible afin de permettre de trancher entre plusieurs projets et surtout entre plusieurs candidats. La primaire de droite a été organisée dans cette logique : parmi les sept candidats, trois d’entre eux étaient particulièrement connus et expérimentés, ayant occupé les plus hautes responsabilités dans l’Etat. Il ne faisait aucun doute que ces trois candidats, au moins, se destinaient à être président dans l’esprit de la Ve République. Leurs désaccords sur certains points importants et les différences de leurs personnalités étaient suffisants pour que les électeurs puissent les identifier facilement et choisir l’un d’entre eux. A gauche, les deux principaux candidats de la gauche du parti, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, mais aussi Vincent Peillon, sont de vieux partisans de l’instauration d’une VIe République et, donc, de l’abaissement de la fonction présidentielle. Manuel Valls lui-même a proposé la quasi-suppression de l’article 49 alinéa 3 qui fonde le parlementarisme rationnalisé en donnant au gouvernement la possibilité d’engager sa responsabilité sur un texte de loi, celui-ci étant adopté si aucune motion de censure n’est votée. Alors que la question du leadership est décisive on ne sait donc pas quelle serait l’attitude à cet égard du candidat socialiste, quel qu’il soit, s’il était élu. Par ailleurs, les dirigeants socialistes, en considérant que le social-libéralisme était étranger à la gauche et au socialisme, ont contribué à l’éloignement d’Emmanuel Macron, convaincu qu’il n’obtiendrait jamais la confiance de ce parti. Or, il est aujourd’hui le plus populaire des hommes politiques français ; sa détermination est entière et il se positionne en réalité au centre-gauche, espace que le PS ne peut délaisser sans dépérir. Tout est fait ainsi pour que les électeurs peinent à trouver parmi les candidats à la primaire de la « Belle Alliance populaire » des candidats qui puissent incarner la fonction présidentielle.

L’enjeu

Tous ces éléments produisent une dernière différence, celle de l’enjeu même de la primaire. A droite, elle a permis de désigner un candidat qui, selon les sondages, a des chances raisonnables d’être élu président de la République. Les électeurs qui sont allé voter avaient le sentiment de choisir en même temps le prochain président. A gauche, personne ne pense que le candidat socialiste sera seulement qualifié pour le second tour de scrutin ; du coup, l’enjeu n’est le même ni pour les acteurs au sein du parti ni pour les électeurs potentiels de cette primaire. Dans le parti, il ne s’agit plus de gagner l’élection présidentielle mais de préparer la suite c’est à dire la dévolution du pouvoir dans l’organisation après l’échec présidentiel. Ainsi, les candidats se sont plutôt engagés devant les militants dans une pré-bataille de congrès que dans une pré-élection présidentielle. Le cas de Vincent Peillon est particulièrement illustratif de cette situation. Poussée, entre autres, par la maire de Paris, hostile à Manuel Valls, sa candidature, déposée à la dernière minute et comme improvisée, est apparue d’emblée comme une candidature destinée à empêcher la désignation de l’ancien Premier ministre. Par ailleurs, la proposition de Benoît Hamon d’instaurer un revenu universel chiffré par lui-même à 300 milliards d’euros montre qu’on est ici dans les postures de congrès plutôt que dans les projets sérieux. Il s’agit d’abord d’être plus à gauche que son voisin selon la vieille tradition des congrès socialistes qui se gagnent à gauche. Pour les électeurs, du coup, l’enjeu risque d’apparaître le même que pour les acteurs, c’est-à-dire un enjeu interne au Parti socialiste. Dans ces conditions, iront-ils voter aussi nombreux qu’en 2011, soit près de trois millions ? Or la crédibilité de la primaire dépend pour une large part du nombre de votants. Plus ce nombre est grand plus la légitimité du candidat désigné est grande et, donc, plus l’effet d’entraînement est important. Si une primaire ouverte réussie peut constituer un avantage très appréciable pour le parti qui l’organise, en revanche, une primaire ratée peut opérer un déclassement de ce parti aux lourdes conséquences. On le voit, le PS joue gros les 22 et 29 janvier prochain.