Ce parti qui n’avait que des ailes gauches edit

15 avril 2015

Au terme d’une de ces manœuvres enveloppantes dont il a le secret, Jean-Christophe Cambadélis est parvenu à ses fins : livrer un parti en ordre de marche au futur candidat à l’élection présidentielle de 2017, François Hollande, au prix certes de quelques concessions programmatiques… Mais qui lit les motions des congrès ? On ne saurait trop conseiller pourtant cette lecture car on y trouvera une critique en règle de l’action du gouvernement, un ralliement du parti aux thèses des frondeurs et une injonction à l’inaction pour les deux prochaines années.

La motion Cambadélis-Aubry est d’abord fondée sur un diagnostic exact : notre monde est dangereux. Les tensions géopolitiques s’exacerbent, le défi climatique reste sans réponse, l’Europe sait parer aux crises mais elle ne sait pas se reconstruire. La France, plus que d’autres, souffre dans ce contexte : chômage persistant, finances publiques en déséquilibre permanent, décrochage industriel. La gauche au pouvoir a pris la mesure de ces défis et a commencé à inverser le cours des choses par sa maîtrise des finances publiques, par son renouveau productif et par ses mesures en faveur de l’entreprise.

Cette motion se propose ensuite de corriger quelques errements du gouvernement actuel. Le CICE-Pacte de responsabilité, quoique défendable dans son orientation, n’est en fait qu’un cadeau aux entreprises accordé sans contreparties. Il convient donc de le réorienter au profit de l’emploi et de l’investissement. Nulle mention, dans la motion, du fait que le total « des cadeaux » aux entreprises soit inférieur aux prélèvements de 2012/13, qu’à ce stade le dispositif ait essentiellement profité aux bas salaires, à l’emploi des moins qualifiés et donc au soutien de la demande qu’on entend par ailleurs favoriser, et qu’enfin le taux de marge des entreprises n’ait quasiment pas bougé ! Nulle mention, non plus, du fait que ce n’est qu’à compter de 2015 qu’on devrait commencer à voir les effets de la politique menée sur les marges, sur l’incitation à la montée en gamme et sur la distribution de salaires élevés. En remettant en cause ces mesures c’est tout le pari productif de François Hollande qu’on jette aux orties.

La motion Cambadélis-Aubry, enfin, s’engage sur une « vraie » politique de gauche fondée sur la lutte contre les inégalités et la multiplication des chantiers de l’égalité à l’école, dans les territoires, pour l’emploi, la santé, l’accès au logement. Bref, à ce pays qu’on décrit en crise profonde dans un monde volatile et périlleux, inscrit dans une Europe en risque d’éclatement, on prescrit une thérapie : l’accélération des politiques de redistribution. La réforme de la fiscalité avec la convergence IRPP-CSG est la mesure la plus emblématique proposée par la motion. Elle propose même que, dès le budget 2016, on module la CSG, on instaure le prélèvement à la source et on accélère la réalisation de l’impôt citoyen. Que ce sujet ait été étudié puis abandonné par le gouvernement à cause d’obstacles constitutionnels, financiers et techniques n’a aucune espèce d’importance pour cette gauche « hors sol » qui prétend travailler à la réussite du gouvernement.

Pour faire bonne mesure, la motion Cambadélis-Aubry tance même un gouvernement oublieux des valeurs de gauche en lui rappelant la sacralité du jour du Seigneur et du code du Travail. Nulle incursion dans la réforme du marché du travail n’est permise même si le chômage des jeunes persiste à un niveau insupportable, même si le chômage structurel est anormalement élevé. Nulle réforme des seuils sociaux n’est envisagée, pas plus que d’éventuelles tentatives de réforme du contrat de travail, de l’Unedic ou de la formation.

Dans une économie fermée gouvernée par un exécutif fort on pourrait imaginer qu’un parti au pouvoir vote des motions économiques « hors sol » sans que cela porte à conséquence. Le problème change de nature avec un pays ouvert, intégré à l’Europe et tenu par des engagements d’ordre constitutionnel comme la règle d’or budgétaire. Comment fait-on alors ? La réponse est simple : il suffit que l’Europe croie aux documents produits à jet continu par le gouvernement français qui vante les réformes du marché du travail, du marché des biens, de la maîtrise des finances publiques, des incitations à l’emploi et à l’investissement, des baisses programmées des prélèvements fiscaux-sociaux pesant sur les entreprises… bref la vivante antithèse à la motion Aubry- Cambadélis.

Tout se passe comme si un accord politique tacite avait été passé entre le président et le parti – entendons par là ceux qui comptent bien en conserver la direction après l’éventuelle défaite de 2017. Le président a besoin du soutien du parti pour se représenter en 2017. Il ne veut pas d’une primaire et il sait que, pour faire échec à Manuel Valls après cette date, ce parti est prêt à soutenir sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Notons d’ailleurs que la motion du Premier secrétaire évite le sujet tandis que les frondeurs semblent réclamer une primaire pour la forme. En échange, le président abandonne le parti à ceux qui ont bien l’intention de profiter de ce congrès pour rendre à terme presque impossible sa conquête par l’actuel Premier ministre. En effet, une lecture attentive des deux principales motions – motions jumelles même s’il s’agit d’une fausse gémellité – montre à l’évidence que leur objectif commun principal est de condamner ce que représente le vallsisme comme tentative de renouvellement du socialisme français.

A travers la condamnation réitérée de la troisième voie blairiste et du « social-libéralisme », c’est en réalité la volonté de renouer le lien avec les entreprises pour améliorer leur compétitivité qui est clairement remise en cause. Avec le « retour de l’État » c’est la tentation historique de l’économie dirigée qui refait surface. Tout véritable partenariat avec le monde de l’entreprise est refusé. L’État ne donnera de l’argent que s’il peut décider lui-même précisément ce que les patrons en feront, étant bien entendu qu’il représente seul l’intérêt général.

« Après moi, business as usual », semble penser le président : un président de gauche gouverne en essayant de déplacer les lignes quand les résistances ne sont pas trop fortes. « Après la défaite, à nous le contrôle du parti », pensent sans doute les auteurs des deux motions aubrystes, fidèles ainsi à la tradition sinistriste du parti. Quant à Manuel Valls, en signant la motion Cambadélis-Aubry, il n’a eu d’autre choix que de tenir compte d’un rapport des forces qui ne lui est pas favorable.

Mais alors, comment réformer un parti dont François Mitterrand se demandait, il y a bien longtemps déjà, comment cet étrange avion pouvait voler avec tant d’ailes gauches et pas une seule aile droite ? La question reste d’actualité et l’expérience Hollande n’aura servi à rien de ce point de vue.

Quant à la crise de la construction européenne, la solution préconisée est à peu près la même dans les deux motions : il faut affronter la droite allemande et l’obliger à réorienter le cours de la politique européenne. Heureusement, le gouvernement grec s’est déjà attelé à cette rude tâche ! Attendons le résultat. Attendons de voir, également, lequel des deux Moscovici triomphera dans cette affaire, celui qui vient de signer la motion qui prétend imposer cette réorientation par l’affrontement avec l’Allemagne ou le Moscovici qui est en charge de faire respecter par la France les engagements pris à l’égard de l’Europe.