Cambadélis: une nouvelle alliance, mais avec qui? edit

21 septembre 2015

Dans une lettre adressée à la gauche et aux écologistes, Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du Parti socialiste, dresse l’état actuel, fort sombre, de la gauche française et propose à ses anciens partenaires une stratégie pour la sortir de la crise dans laquelle elle s’enfonce chaque jour davantage.

Le constat de départ est juste : la dynamique d’éclatement de la gauche l’affaiblit dans toutes ses composantes. « Certains, écrit Cambadélis, semblent même préférer la défaite de la gauche de gouvernement pour mieux fonder une gauche protestataire. Ce qui conduit à un esprit de système dans la critique de la gauche au pouvoir, qui manque pour le moins de discernement. Et dont je ne suis pas sûr qu’il profite électoralement ou politiquement à ceux qui l’emploient ». Et il ajoute : « Ce n’est pas en installant partout la droite et l’extrême droite, que l’idéal à gauche sera mieux défendu. (…) Ces stratégies issues d’un autre temps affaibliront durablement la gauche et l’écologie en général, et marginaliseront la gauche de contestation en particulier. »

Cambadélis se montre très lucide sur le risque mortel qui pèse sur la gauche. « La gauche, écrit-il, a déjà perdu la bataille des cœurs et des esprits. Si elle venait aujourd’hui à manquer le tournant de l’unité et donc à perdre la bataille politique, elle perdrait la bataille de la République.» Il faut donc, selon lui, la reconstruire entièrement. « Il est temps, déclare-t-il, de dépasser la gauche telle qu’elle fut », mettant en cause aussi bien ses anciens partenaires que son parti lui-même. « Nous, nous voulons dépasser le Parti socialiste car nous estimons ses réponses et son organisation datées. Nous voulons participer à l’émergence d’une nouvelle gauche politique et citoyenne, affirme-t-il. »

Ce juste constat et cet appel à reconstruire une gauche en grand péril, quitte à engager de véritables transformations des appareils politiques eux-mêmes, traduisent une lucidité à laquelle il faut rendre hommage. C’est la stratégie qui sous-tend cet appel au dépassement qui pose problème. Cette stratégie, c’est la reconstruction de l’union de la gauche sous la forme d’une nouvelle alliance qui « doit se faire sans exclusive et dans le respect. Elle est ouverte à toutes les formes de collectif : partis, syndicats, associations, ONG… Elle est bien entendu ouverte à tou-te-s les citoyen-ne-s sensibles à la défense de nos valeurs républicaines, humanistes et européennes. » Il met chacun en garde contre le « narcissisme des petites différences ». « Cette grande alliance, conclut-il, est un grand dessein. Elle nous dépasse toutes et tous, elle a besoin de nous toutes et de nous tous. Cette belle alliance est un bel horizon pour la gauche et les écologistes, un horizon commun pour la France et le monde de demain ». La social-écologie, telle est la force nouvelle à construire et à opposer au « bloc réactionnaire ».

Malgré les obstacles qu’il perçoit pour l’accomplissement de ce grand dessein, Cambadélis puise son courage dans les exemples passés. La gauche, dit-il, « a toujours su trouver le chemin de l’union, le chemin de l’action ». « Je ne mésestime pas nos débats économiques, sociaux voire européens, ajoute-t-il. Il y a là des fractures qui, pour importantes qu’elles soient, ne sont pas insurmontables. Dans les années 1970 ou bien 1936, les désaccords au sein de la gauche étaient plus graves puisqu’ils portaient sur le modèle de société. Et pourtant, la gauche s’est unie ». Ce portrait idéalisé de  l’histoire de l’union de la gauche ne correspond malheureusement pas à la réalité.

En 1936, seul le péril nazi a distrait un court moment le communisme international de son combat principal, la liquidation de la social-démocratie ; encore refusa-t-il de participer au gouvernement de Léon Blum. Dès 1937, le désaccord était à nouveau profond et le point final de l’unité fut posé avec le pacte germano-soviétique signé en 1939.

Dans les années soixante-dix, dès l’automne de 1974, soit seulement deux ans après la signature du programme commun de gouvernement, le PCF déclarait que l’Union était un combat…contre le PS. Il contribua ainsi largement à la défaite de 1978, avant d’accepter, assommé par sa propre défaite en 1981, de participer au gouvernement de Pierre Mauroy. Mais il refusa, trois ans plus tard, de participer à celui de Laurent Fabius. Certes, la période de la gauche plurielle de Lionel Jospin constitua une nouvelle parenthèse de participation. Mais, en 2012, le PCF, au sein du Front de gauche, refusa à nouveau toute participation gouvernementale. Rien dans le comportement actuel de ce parti n’autorise à penser qu’il pourrait changer de position dans l’avenir. Tout laisse même penser le contraire. Quant à EELV, sa trajectoire politique est la même que celle du PCF. Si ce parti appelle à une réorganisation des forces de gauche, il s’agit d’abord de celles qui sont hostiles au Parti socialiste. L’attrait, peut-être provisoire, que ces gauches ont éprouvé pour les expériences du type Podemos ou Syriza n’augure en aucune façon qu’une recomposition de la gauche à partir de ces organisations et du PS ait la moindre chance d’être réalisée. Pour ne pas mentionner Mélenchon dont le but principal est la destruction du PS. Selon le dicton populaire, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif !

En réalité, Cambadélis sait tout cela mieux que personne. C’est la raison pour laquelle, il semble renoncer d’avance à reconstruire la gauche sous la seule forme d’une alliance partisane. Il écrit ainsi : « Il ne s’agit pas de nous unir entre nous, entre appareils, dans un cartel. Il s’agit de nous unir avec le peuple de gauche, d’aller repuiser notre légitimité et notre énergie, nos idées aussi, dans le peuple de gauche. Oui, cette alliance d’un nouveau type est une alliance populaire : la belle alliance, parce qu’elle dépasse nos propres formations. » Mais de quoi s’agit-il exactement ?  Cette formule d’alliance d’un nouveau type n’est pas si nouvelle que cela, c’est celle que le PCF, lorsqu’il voulait combattre le PS, espérait substituer à l’alliance partisane, sous l’appellation de   l’Union du peuple de France, version antisocialiste Avec les résultats que l’on sait. Rien, dans un régime parlementaire ne peut remplacer les alliances partisanes, et la préparation des prochaines élections régionales en donnent l’exemple le plus frappant et le plus cruel : que sera cette « belle alliance » en décembre prochain ? 

Cette stratégie conduit d’autant plus nécessairement à une impasse qu’elle se fonde non seulement sur une première idée fausse : la réalisation de la « belle alliance » mais aussi sur une seconde, la constitution actuelle d’un « bloc réactionnaire » : « droite en voie d’extrémisation et extrême droite en voie de banalisation sont en train de converger dans les têtes. Si elles sont concurrentes dans les urnes, c’est pour savoir qui des deux régnera sur ce bloc électoral. La droite française, la plus à droite du monde, fera bientôt sa jonction avec l’extrême droite, la plus banalisée d’Europe. Communiant dans le refus d’un prétendu grand remplacement par les musulmans, dans l’arabophobie, l’europhobie et il faut bien le dire, la haine du Parti socialiste depuis le mariage pour tous. La haine des idéaux de la gauche », écrit Cambadélis. Ces deux erreurs font d’ailleurs système : pour pouvoir rêver une gauche unie il faut cauchemarder une droite entièrement gagnée par les idées extrémistes. On disait jadis fascistes.

Certes, certains discours à droite, notamment sur la question de l’immigration, se rapprochent dangereusement de ceux du Front national. Mais affirmer que, dans leur ensemble, la droite et le centre sont gagnés par les idées d’extrême-droite est simplement faux. Il suffit d’observer par exemple les divergences entre Sarkozy et Juppé sur cette question et sur d’autres, pour s’en convaincre ; quant à l’europhobie de la droite, est-elle vraiment plus forte que celle des partis que Cambadélis veut inclure dans sa belle union ? À ma connaissance, c’est Mélenchon qui envisage désormais une sortie de l’euro, mais ni l’UDI ni les Républicains.

En réalité toutes ces analyses, plus idéologiques que politiques, ne servent qu’à tenter de conforter le clivage gauche/droite, pourtant bien bousculé par les évolutions actuelles. Le combat entre les Républicains et le Front national ne débouchera pas nécessairement sur leur fusion ou leur alliance, de même que la gauche ne retrouvera pas nécessairement le chemin de l’Union. En déclarant que la droite sera responsable de la victoire du Front national tout en répudiant tout front républicain, Cambadélis est en pleine contradiction.

Prenons l’exemple des futures élections régionales dans le Nord. La victoire du Front national y est probable sinon certaine. On peut comprendre que le PS, s’il arrive comme il est très possible en troisième position, ne veuille pas se retirer afin de ne pas perdre toute représentation au conseil régional. Mais si l’ennemi principal est le Front national, pourquoi ne pas envisager une alliance au second tour avec la droite ? Or, Le PS a déjà rejeté clairement cette possibilité. Il considère donc que la défaite du Front national est moins importante que l’intangibilité du clivage gauche/droite. Soit. Il est vrai que Xavier Bertrand est sur la même ligne : « j'aurai la même liste et le même projet au 1er et au 2e tours » vient-il de déclarer. Mais la logique même de ce clivage ne pousse-t-elle pas alors à terme, si le FN continue de progresser, à un rapprochement éventuel de la droite et de l’extrême-droite ? Or, comme Cambadélis l’écrit lui-même : « ce n’est pas en installant partout la droite et l’extrême droite que l’idéal à gauche sera mieux défendu ». Le tout est de savoir si c’est par la vaine tentative de reconstruire cette gauche « sans exclusive » que l’on pourra empêcher cette « installation ».