UE: six mois de présidence italienne edit

12 février 2015

Le 2 juillet, un chef de gouvernement auréolé de sa victoire aux élections européennes entre dans l’hémicycle du Parlement de Strasbourg pour y exposer le programme de la Présidence italienne. Le Parti Démocrate (PD) qu’il dirige a obtenu 40,8% des voix et s’affirme comme premier parti de gauche en Europe. Sur les 72 députés italiens, 31 viennent du PD dont Gianni Pitella élu à la tête du groupe socialiste (S&D) et Roberto Gualtieri porté à la tête de l’influente Commission aux Affaires économiques et monétaires (ECON). La « renzimania » qui s’est emparée de Rome est prête à régner sur Strasbourg et Bruxelles.

Le récent locataire du Palazzo Chigi ramène son pays au centre du jeu, faisant oublier le semestre antérieur inauguré en juillet 2003 par un Silvio Berlusconi invectivant le « figurant kapo » Martin Schulz. Un mois avant, à Ypres, avec les chefs d’État et de gouvernement, puis le 21 juin à Paris avec les dirigeants socio-démocrates, Matteo Renzi avait soutenu, avec François Hollande, la candidature de Jean-Claude Juncker, conformément au vote populaire.

Le discours du 2 juillet peut être perçu comme un acte de foi européenne mais non exempt d’euroscepticisme et d’un soupçon de germanophobie. Il présente une ambition couvrant tous les domaines d’action des institutions européennes, détaillée dans un document de 81 pages. Ce n’est pas un programme pour six mois mais pour six années.

«Si aujourd’hui l’Union faisait un selfie, quel visage verrait-on sur l’écran ? Celui de la fatigue, de la résignation, de l’ennui» […] Il faut retrouver l’âme de l’Europe, le savoir-vivre-ensemble et pas seulement unir nos bureaucraties. »

On observe cependant que le texte du programme est constellé de ces adjectifs à l’eau tiède, typiques du jargon diplomatique. Le traitement du problème budgétaire en fournit une illustration.

La distinction entre engagements et paiements imposée par le Conseil à la Commission et au Parlement a provoqué, fin 2013, 23 milliards de retards de paiements : fonds de cohésion suspendus, fournisseurs impayés, actions humanitaires morcelées, on a même entendu un (faux) bruit sur le versement des bourses Erasmus. Le document de la Présidence cite : budget « important instrument », « réalisation efficace » , « degré opportun d’attention ».  

À la fin du semestre, même si le dossier budget général a été bouclé, celui des paiements n’a pas avancé, les cinq milliards d’amendes diverses récupérés par la Commission ont été reversés aux Etats et non pas affectés aux paiements, malgré une intervention indignée de Jean Arthuis, président de la commission des Budgets au Parlement.

Dès le début, il y a eu mélange entre les problèmes nationaux et les problèmes européens. Une illustration en a été donnée avec la nomination à deux postes-clef : Présidence du Conseil européen et Haut Représentant de l'Union pour les Affaires Étrangères et la Politique de Sécurité. Certains en Italie et hors d’Italie, voyaient Enrico Letta prendre la suite de Hermann van Rompuy et le Polonais Radoslaw Sikorski celle de Lady Ashton. Mais Matteo Renzi ne voulait pas entendre parler d’Enrico Letta et a réussi à imposer, dans une décision du 30 août, la nomination de Federica Mogherini tandis que la présidence du Conseil était attribuée à Donald Tusk.

Un secteur prioritaire pour la Présidence tournante était celui de l’économie numérique visée au paragraphe H du programme. Il y était annoncé un événement “Digital Venice” en juillet, fixant les lignes directrices d’un Agenda Digital Européen (ADE). L’événement a bien eu lieu le 7 juillet à l’Arsenal de la République Sérénissime, six opérateurs européens étaient présents, cinq ateliers organisés autour de cinq priorités : éducation, connaissances digitales, économie digitale, emplois digitaux, démocratie digitale et les villes digitales avec des partenaires comme Microsoft. Le tout a débouché sur une déclaration tellement insipide que certains opérateurs ne la signent pas. Le président du groupe ADLE, Guy Verhofstadt, ne manquera pas le 13 janvier 2015 de faire observer que, pour l’essentiel, le dossier n’a pas bougé.

Il y a eu cependant quelques succès dans cette présidence. La fin du programme Mare Nostrum au profit du programme Triton géré par Frontex a allégé la charge politique et financière qui pesait sur l’Italie pour venir au secours des réfugiés de la Méditerranée. Sur le plan économique, les grandes ambitions concernant la flexibilité budgétaire n’ont pas été satisfaites. La Commission a cependant confirmé que les participations nationales au Plan Juncker ne seraient pas décomptées dans le déficit soumis à l’examen de ses services. La seule composante de flexibilité que peut invoquer Matteo Renzi correspond au délai de trois mois obtenu pour son pays et la France qui auraient pu être sanctionnés pour déficit excessif. On pourrait penser que l’opération lancée ultérieurement par la BCE risque d’adoucir l’examen de fin de trimestre 2015, rien n’est moins sûr et on peut même présager que l’examen sera plus rigoureux pour répondre aux craintes allemandes de voir le quantitative easing justifier un relâchement de l’effort. Sur ce dernier point, l’Italie, du fait de la structure de sa dette, devrait être le grand bénéficiaire du plan présenté par Mario Draghi.

Toujours dans le domaine économique, l’Italie n’a pas réussi à faire augmenter le budget en faveur de l’emploi des jeunes ni à faire avancer significativement la négociation transatlantique… mais le principal reproche qu’on pourrait lui faire est d’avoir cru que c’était possible.

Un succès incontestable réside dans l’accord sur le climat en octobre. Les Européens se sont engagés à réduire d'au moins 40% (par rapport à 1990) les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. L’accord donne à l'Europe un cadre décisionnel pour les négociations internationales sur le climat notamment la Conférence de Paris en décembre 2015, chère à la France.

La presse européenne et particulièrement la presse italienne ont été sévères avec cette présidence. Les observateurs ont critiqué à la fois l’excès des ambitions et la manière de faire. Matteo Renzi a pris plusieurs fois à partie les fonctionnaires voulant donner des leçons à l’Italie. Il a visé particulièrement les fonctionnaires italiens en poste à Bruxelles, osant dire du mal de leur pays. Tout ceci ne lui a pas valu l’estime de la Commission sortante ni de la nouvelle. Enfin les observateurs ont insisté sur le manque de rigueur dans l’organisation, les retards, les volte-face malgré les talents de Stefano Sannino, passé du poste de directeur général pour l’Élargissement à celui de représentant permanent de l’Italie auprès de l’Union.

Pour la défense de Matteo Renzi, ce semestre a été celui de la transition entre deux commissions, des débuts du nouveau Parlement, de la nomination de deux nouveaux responsables d’où le nom de « semestre blanc » utilisé traditionnellement par les observateurs. À cela s’ajoute un calendrier inouï sur le plan national avec la préparation du Jobs Act, la réforme constitutionnelle, la perspective d’une élection présidentielle complexe. Dans le même temps, le pays est à la traîne malgré les résultats du commerce extérieur, le chômage progresse, la paupérisation s’étend et l’impatience gronde.

Tous ces facteurs auraient dû inciter à la modestie mais ce n’est pas la nature du Président du Conseil. Par contraste Laimdota Straujuma, Première ministre lettone, a présenté un programme avec des objectifs limités et ciblés et s’affichant aux côtés de Jean-Claude Juncker.

Au-delà du cas italien, l’architecture institutionnelle issue du Traité de Lisbonne devient problématique avec une Commission plus volontariste, un Président du Conseil plus pugnace, un Parlement plus légitime et ceci dans un environnement économique, diplomatique et sécuritaire pesant. La présidence tournante, six mois tous les 14 ans, perd donc en partie sa justification. Quant aux citoyens européens, perdus devant tous ces présidents, ils ne peuvent qu’attribuer à « Bruxelles » le cumul de leurs incompréhensions.