Une astuce financière contre la pénurie de taxis edit

2 novembre 2007

Les chauffeurs de taxi ont su une nouvelle fois montrer leurs muscles et, foin des beaux projets, le gouvernement a reculé. On parlait cette fois d’introduire dans le projet de loi de finances 2008 une remise en cause de l’avantage fiscal des taxis en matière de TIPP. Quelques blocages de rue parisienne le 26 septembre ont suffi. Le mouvement a été d’autant plus suivi qu’il donnait l’occasion aux taxis d’envoyer un signal fort à tous ceux qui, de façon croissante, appellent à remettre en cause le système des licences (les « plaques » dans le jargon des taxis).

Les licences justement ! Conçues à l’origine pour s’assurer de la qualité professionnelle du chauffeur, on sait qu’elles sont devenues un efficace numerus clausus organisé par la profession pour garantir ses revenus. Comme la plaque est cessible et monnayable, selon d’ailleurs une curieuse entorse au droit public des concessions et licences, le seul moyen pour un postulant de devenir chauffeur de taxis est de racheter préalablement la plaque à un autre chauffeur. Et le prix de la plaque est l’indice de la rareté des taxis au regard des besoins croissants des grandes villes françaises. Il a doublé en 10 ans, dépassant désormais les 200 000 € pour une licence parisienne.

De fait, la pénurie n’a jamais été aussi grande. Allez trouver un taxi à 20h à Paris ! Il y a aujourd'hui 15 600 taxis dans Paris ; il y en avait 14 00 en 1992 et plus de 25 00 en 1925. Les comparaisons avec d’autres grandes villes au monde qui n’ont pas ce système de quotas indiquent qu’un nombre double de taxis serait aujourd'hui possible pour Paris. Sans d’ailleurs, c’est là l’énorme gâchis du système, que la recette quotidienne des taxis baisse de moitié : des taxis plus nombreux appellent une demande nouvelle, de gens qui abandonneraient volontiers l’usage de leur véhicule individuel en présence d’une offre nouvelle de transport public.

Faut-il abolir simplement le système des licences au nom de la concurrence et du bon sens ? En dehors d’être irréaliste dans le rapport de forces présent, une telle mesure serait très inique pour les chauffeurs de taxis. La plaque joue en effet un rôle patrimonial important. Les chauffeurs en place se sont endettés lourdement pour l’acquérir et la considèrent légitimement comme le moyen, par remboursement de la dette d’acquisition, de se constituer un patrimoine retraite. D’un point de vue financier, la plaque est ainsi un formidable outil d’épargne : peu de ménages peuvent s’endetter sur base de leurs revenus futurs.

Face à ce dilemme, les autorités procèdent de façon subreptice et inefficace, espérant qu’un goutte à goutte de nouvelles licences n’ira pas fâcher les taxis. La montée du prix de la plaque rend pourtant le problème plus insoluble de jour en jour.

Dans leur livre récent, Jacques Delpla et Charles Wyplosz (La fin des privilèges : payer pour réformer, Hachette, 2007) proposent une méthode originale : l’Etat dédommagerait les chauffeurs de taxis de l’abolition des licences. Il les rachèterait toutes, en contrepartie de l’instauration d’une libre entrée dans la profession. Les auteurs montrent astucieusement que le revenu net du dernier chauffeur entrant sur le marché ne serait pas modifié notablement avant et après ce rachat : il y aurait certes davantage de taxis et donc un revenu brut par taxi moindre, mais en revanche, les chauffeurs ne supporteraient plus les coûts de remboursement de leur dette.

Il y a une grosse objection à leur proposition, qui est son coût. Ils l’estiment à 4,5 Md€ pour le budget de l’Etat, ce qui la rend politiquement peu vendable.

La finance offre pourtant une solution élégante à ce problème. Voilà l’idée : on double d’un coup le nombre des plaques. Mais on le ferait en usant du mécanisme financier bien connu des marchés financiers quand une entreprise procède à l’émission de titres nouveaux de dette ou d’action. Les investisseurs déjà en place ne veulent évidemment pas que cette émission nouvelle vienne réduire (« diluer ») la valeur des titres qu’ils détiennent si jamais elle se fait à un prix différent de leur prix courant. Ce mécanisme anti-dilution s’appelle en droit français un droit prioritaire de souscription, qui est négociable et cessible sur le marché. Ainsi, tout titulaire d'une plaque se verrait accorder gratuitement une seconde plaque, à sa charge de la revendre sur le marché. C’est ce mécanisme qu'on trouve classiquement dans le droit des valeurs mobilières. A l'égal d'une émission d’action à un prix plus bas que le cours boursier, l'émission de ces nouvelles plaques ferait chuter le prix, mais le chauffeur resterait protégé patrimonialement par la revente de sa seconde licence. Si on estime que le marché ne s’accroîtra pas suite à la mesure, le doublement des plaques fait baisser d'environ la moitié le prix des plaques et le titulaire de la plaque n'y perd rien. S'il y a un effet d’offre favorable, ce qui très probable, il y gagne même patrimonialement, à coût nul pour l'autorité publique.

Pour compléter la mesure, il faut bien sûr une certaine prudence d’exécution. Elle doit se faire avec l’assentiment de la profession et en pleine information du marché. Elle doit s’accompagner probablement de la mise en place temporaire d’une caisse publique de rachat des plaques pour éviter des mouvements erratiques de prix qui nuirait à l’acceptation de la mesure. Le doublement du nombre des plaques peut être jugé trop important. Mais il n’est pas aisé de communiquer à la population du taxi le fait qu’on émet une plaque pour deux existantes, ce qui oblige chaque chauffeur à trouver l’âme sœur pour réaliser son patrimoine. On peut aussi s’interroger sur ce qu’une telle « émission » de plaques impliquerait sur la structure du marché, sachant que les deux grandes sociétés de radio-taxi possèdent déjà plus de 1000 licences chacune. Une licence moins chère réduirait probablement leur poids d’oligopole.

Evidemment, la mesure ne remet pas en cause le système des plaques et ses inconvénients. C’est son défaut. Peut-être faudra-t-il une nouvelle émission d’ici une génération (si Bruxelles n’est pas entre temps venue mettre fin au système). Mais d’ici là, on aura réglé la pénurie, créé près de 50 000 emplois, si ce même taux de deux plaques pour une existante s’appliquait à toute la France, et rehaussé le service rendu aux citoyens des grandes villes. Cela vaut la peine d’y regarder de plus près.