Suez-GDF : politique politicienne contre politique publique edit

12 septembre 2006

Il faut écouter les voix qui s'expriment au Parlement, et notamment celle d'élus de l'UMP réputés proches de Nicolas Sarkozy. Ils ont joué un rôle décisif dans la loi débattue ces jours-ci. Ils sont les acteurs d'une formidable régression politique dont il faut craindre dans l’avenir des retombées délétères sur l'intégration européenne, la politique économique et la réforme de l'Etat. Alors qu'au nom des exigences d’investissement nées du nouveau contexte énergétique il était possible de lever la règle des 70% de propriété publique qui limite les mouvements stratégiques de GDF, le gouvernement a choisi une voie autrement plus risquée. Il a élaboré un projet de loi qui mêle transposition de la dernière directive européenne de libéralisation du marché de l'énergie, privatisation de GDF, fusion avec Suez, régulation des prix de l’énergie, missions de service public, et il a enrobé le tout de considérations fumeuses sur le « patriotisme économique ».

A des Français tétanisés par la hausse des prix du gaz et à qui il convenait d’expliquer que la France ne pouvait peser sur des prix mondiaux et qu’il convenait de s’adapter à un gaz durablement plus cher, le gouvernement a répondu « défense du pouvoir d’achat ». Alors que son rôle était au mieux de lisser dans le temps l’évolution des prix réglementés, le gouvernement s’est posé en maître des prix. GDF n’ayant pu répercuter intégralement les hausses du prix du gaz importé, en violation d’un contrat passé avec l’Etat et contrairement aux recommandations du régulateur et d’une commission d’experts indépendants, s’est ainsi retrouvée dans une position de faiblesse relative face à Suez. Résultat : non seulement l’Etat s’appauvrit mais de plus il légitime auprès du public l’idée selon laquelle la propriété publique protège des mouvements de prix internationaux.

A des Français qui doutent des vertus du marché et restent attachés au service public, on explique qu’il faut simultanément privatiser GDF, libéraliser le marché et contrôler les prix. Mais si on ne croit ni aux disciplines du marché, ni à l’office du régulateur européen et national, pourquoi libéraliser et privatiser ? En effet si la libéralisation signifie la hausse des prix, et si, facteur aggravant, il faut brider le champion national EDF pour favoriser la concurrence, comment ne pas détester l’œuvre européenne de libéralisation des marchés de l’énergie ?

A des Français qui n’aiment pas le capitalisme et trouvent anormal l’affichage de profits record par les entreprises du CAC40, le gouvernement donne raison aussi. Si privatisation rime avec prédation par les entreprises cotées et si à l’inverse service public = secteur public = encadrement des profits, comment ne pas trouver détestables des privatisations qui nous éloignent d’un modèle national paré de tant de vertus ?

Enfin, en inventant une nouvelle taxe EDF-Suez pour indemniser les entreprises qui avaient fait le libre choix du marché contre la sécurité du tarif régulé, le gouvernement atteint un sommet. Cette taxe a un double effet : elle offre un parachute public contre la prise de risque privé, elle désincite à l’usage d’énergies propres. En effet, cette taxe qui permet de financer l’écart entre tarif réglementé et prix de marché est assise sur le nucléaire et l’hydraulique, c’est-à-dire sur des énergies non émettrices de gaz à effet de serre, et elle va servir à financer les énergies plus polluantes (gaz et charbon) des nouveaux entrants !

Le gouvernement a ainsi donné le sentiment de rendre les armes sur la libéralisation du marché de l’énergie, sur les vertus de la privatisation pour les entreprises opérant sur des marchés concurrentiels, sur la dissociation des missions de services publics et de leur mode d’exercice par des entreprises publiques ou privées, sur l’office du régulateur dans la mise en œuvre d’une concurrence réelle… Mais pouvait-il en être autrement ?

En différant le plus longtemps possible la libéralisation du marché de l’énergie pour ne pas avoir à affronter la CGT, les gouvernements successifs se sont privés des bénéfices de la libéralisation précoce dans un contexte d’énergie bon marché (cf. pays nordiques et Royaume-Uni). En maintenant GDF dans le giron public après la perte de son monopole d’importation du gaz et en refusant de l’adosser à un producteur de gaz au nom de la préservation du caractère public de l’entreprise, on s’est exposé à réaliser dans la hâte une privatisation justifiée officiellement par la nécessité de bouter hors de France Enel. En n’assumant pas devant l’opinion une hausse du prix de l’énergie inéluctable du fait des tensions durables sur le marché des énergies fossiles, des besoins d’investissement pour renouveler les équipements et surtout de l’impact de la politique de lutte contre l’émission des gaz à effet de serre, le gouvernement s’est senti obligé de recourir à la rhétorique de la défense du pouvoir d’achat.

Ce projet de Loi a donc bien des défauts. Pourtant, il permet d’éviter le pire. Pour Dominique Paillé, député sarkozyste de choc, l’échec de la loi permettrait de réaliser la fusion EDF-GDF. Ainsi l’union rêvée par la CGT est bénie par un député UMP alors qu’elle aurait pour effet soit de démanteler les deux entreprises, soit de provoquer un affrontement majeur entre Paris et Bruxelles. Jamais à court d’idées, le même Dominique Paillé trouve des vertus au plan du fonds vautour Knight Vinke, qui propose d’endetter GDF pour nationaliser Suez avant de le démanteler en cédant les activités Eau, Propreté et Services énergétiques, pour le plus grand profit des fonds d’arbitrage qui spéculent sur l’échec de la fusion Suez-GDF. Avec une telle droite, on en vient à trouver particulièrement modérée une gauche hier décidée à privatiser GDF et aujourd’hui à soumettre ce choix à référendum, tout en indiquant qu’elle ne reviendrait pas sur une éventuelle fusion en cas d’arrivée au pouvoir en 2007.

Le deuxième mérite de l’actuel texte est qu’il présente les mesures de régulation des prix comme provisoires : la libéralisation du marché n’est pas remise en cause dans son principe, mais sa mise en œuvre est suspendue le temps que les marchés de l’énergie se détendent ou le temps que la hausse du tarif rejoigne le niveau des prix libres.

Au total, dans un contexte politique préélectoral où chaque camp est divisé, quand de surcroît aucune pédagogie de la libéralisation et de la maîtrise de l’énergie n’a été faite, il était probablement inévitable d’en passer par ces déferlements de démagogie. Raison de plus pour éviter les dommages irréversibles d’un échec de cette loi et faire aboutir les solutions du moindre mal qu’elle contient.