Mieux réguler les jeux en ligne ? edit

11 octobre 2011

On manquait jusqu’ici de quantification du jeu pathologique en France. L'étude Tendances copubliée par l'INPES et l'OFDT répond à cette lacune. Son niveau demeure faible : 1,3 % de joueurs seraient « problématiques » (à comparer à 5,5 % aux États-Unis) et il y aurait 0,4 % de joueurs « pathologiques » (contre 1,9% aux États-Unis). Pourtant, ces résultats plutôt rassurants contredisent les demandes des opérateurs pour une libéralisation des conditions du jeu en ligne. Celles-ci sont encadrées par la loi du 12 mai 2010 qui reviendra en discussion devant le Parlement dans le cadre de la clause de revoyure.

Cette loi a légalisé les sites de jeu d’argent sur Internet, en prévoyant que l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), créée à cet effet, fixe des modalités permettant de sécuriser les transactions notamment sur le plan de la protection des mineurs. Elle a aussi autorisé la publicité pour ce secteur. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), chargé de réguler la publicité à la télévision et à la radio, a largement ouvert les vannes, faisant peu de cas des demandes de prudence émanant des associations. Les arguments en faveur de l’ouverture de ce secteur à la publicité télévisée ont rapproché les opérateurs de télévision historiques qui y ont vu une nouvelle ressource précieuse dans des temps de compression des budgets et des audiences. Les auteurs, par la voix de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, les ont soutenus. Les nouveaux entrants du secteur ont espéré découvrir un eldorado, nouant diverses alliances avec les médias (TV et presse).

L’étude nous apprend cependant que le fait de jouer à ces jeux sur internet concerne des joueurs plus jeunes et que la précocité du jeu est un facteur de risque. Le poker qui est plus addictif fait partie des jeux les plus fréquentés sur le web.

La faible prévalence du jeu « problématique » en France est sans doute favorisée par un accès encore limité grâce à l’encadrement prévu par la loi qui reste important tant pour le contrôle des sites légaux que pour les modalités d’ouverture de comptes pour les joueurs. Mais la demande de dérégulation risque d’être forte du côté des nouveaux entrants car le marché s’est révélé bien moins rentable que prévu, l’eldorado a même viré au fiasco dans certains cas. La règlementation va donc se retrouver accusée de surprotection comme le laissent prévoir certaines conclusions du rapport Filipetti-Lamour.

Dans le contexte d’un haut-le-cœur général face aux profits excessifs de quelques-uns, à la montée du surendettement des plus fragiles, aux risques que fait courir la financiarisation à l’économie globale, une certaine tempérance dans les pratiques de jeu serait bienvenue. Tout à l’opposé, les entreprises publiques qui restent leaders du secteur rivalisent d’imagination pour faire briller l’économie casino et ont accru leur chiffre d’affaire.

La Française des jeux (FDJ) a atteint un record en 2010 et prévoyait dès le début de l’année de dépasser les 11 milliards d’euro. Ayant longtemps bénéficié d’un monopole censé permettre la régulation du secteur, voire sa moralisation, la FDJ est prête à presque tout aujourd’hui pour maintenir ses recettes, en arguant notamment des rentrées fiscales occasionnées. Elle multiplie les nouveaux jeux, selon la stratégie bien connue de la différenciation de produit, et augmente les mises et les gains. Au moment de la sortie de l’étude, les radios palpitaient de l’annonce d’un heureux gagnant de l’euromillion de 162 millions d’euro, une somme faramineuse qui ne peut qu’accroître la fascination pour le jeu.

Pour la télévision dans son ensemble, la légalisation des jeux en ligne a été une aubaine, 40% de la publicité a été réalisé sur ce média, même si les effets de la dérégulation ont été atténués par l’atonie du marché, notamment en raison de la faible performance de l’équipe de France de football en 2010 lors de la coupe du monde, et la diminution des budgets investis par les opérateurs.

Comme l’a observé le CSA, France télévision n’a pas hésité à diffuser en 2010 de la publicité pour ces jeux autour de la seule émission éducative de la télévision publique, l’emblématique C’est pas sorcier. Elle aurait même envisagé en 2011 de demander sa déqualification en tant qu’émission jeunesse afin de pouvoir continuer à diffuser de la publicité pour les jeux d’argent.

À plusieurs reprises le site de France Télévisions a accueilli de la publicité pour les jeux en ligne sur sa page d’accueil, elle a même en janvier dernier été habillée aux couleurs de Joacasino. Les chaînes publiques proposent d’ailleurs toutes une panoplie de jeux d’argent en ligne sur leur site, et notamment de poker.

La Française des jeux a préparé l’ouverture du marché en s’investissant depuis quelques années dans la promotion du « jeu responsable ». Dans le monde d’aujourd’hui, l’autorégulation est certainement une piste d’action à encourager qui ne doit pas être dénigrée. Mais elle devrait aussi être évaluée, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises leader sur le marché. Or on ne voit pas bien quel public adulte ou adolescent peut aller regarder les vidéos proposées sur le site de la FDJ. Faire reposer sur le joueur individuel à risque la responsabilité de sa prise en charge, alors que l’étude récente vient nous rappeler ses caractéristiques socioculturelles, plus pauvre, plus faiblement doté en capital culturel et en diplôme, est à tout le moins le signe d’une pol itique qui fait peu de cas de la solidarité sociale.

Avant de défaire les quelques liens qui retiennent encore le déversement du casino en ligne, il faudrait faire une évaluation un peu précise de l’efficacité de ces mesures, au-delà de leur effet esthétique !