L’Europe et le multiculturalisme edit

18 février 2011

Après Angela Merkel affirmant en octobre 2010 que le multiculturalisme avait fait faillite, après les récentes déclarations de David Cameron lors d’une conférence sur la sécurité à Munich le 5 février 2011, Nicolas Sarkozy a emboîté le pas lors de son intervention télévisée du 10 février 2011 et proclamé lui aussi l’échec du multiculturalisme. Les trois poids lourds européens, dans un unanimisme peu habituel, sont donc d’accord sur l’idée qu’il convient de rejeter le multiculturalisme, source de désagrégation des sociétés européennes et de perte de leurs valeurs. Le multiculturalisme serait le nouvel ennemi de l’Europe.

On ne négligera pas la dimension politicienne du débat pour des leaders d’une droite cherchant à rallier les électeurs les plus conservateurs. On ne sous-estimera pas non plus les craintes qui se manifestent dans la société européenne à l’égard du fondamentalisme islamique. On se gardera enfin de simplifier le débat en faisant masse des traditions britanniques, allemandes ou françaises. On s’intéressera cependant ici à la dimension proprement juridique de la question. Où se cacherait donc le multiculturalisme dans le cadre d’une société européenne qui se reconnaît dans des valeurs libérales au sens politique du terme ? Et si multiculturalisme il y a, il faut aussi s’interroger sur une identité européenne qui s’opposerait à d’autres cultures coexistant sur le sol européen : l’Europe aurait jusque-là prôné le multiculturalisme en invitant d’autres cultures à s’installer sans leur proposer de s’intégrer.

Quelle est cette identité européenne qui s’oppose aux autres cultures ? Certes on pourrait être tenté – comme l’ont fait Angela Merkel ou Nicolas Sarkozy antérieurement à leurs déclarations – de rechercher un ancrage de l’identité européenne dans des valeurs chrétiennes. On rappellera que le débat sur l’inscription des valeurs chrétiennes dans la Constitution européenne avait fait l’objet d’une farouche opposition de la France... qui y voyait précisément une contradiction forte avec ses propres valeurs républicaines. Mais à supposer que l’on cherche à fonder les valeurs européennes dans une tradition chrétienne pour l’opposer assez clairement à l’islam, comment se traduisent ces valeurs ? On est bien embarrassé de trouver un socle européen de valeurs qui aille au-delà des principes reconnus comme droits fondamentaux.

Que l’on en juge : le divorce n’existe en Irlande que depuis 1996, il n’est toujours pas possible à Malte. La séparation de l’église et de l’État est un principe fondateur de la République française et la laïcité une de ses valeurs cardinales quand la reine de Danemark ou celle d’Angleterre sont chefs des Églises de ces pays. L’orthodoxie est selon l’article 3 de la Constitution grecque la religion dominante en Grèce. La diversité des règles de bioéthique ou vis-à-vis du mariage homosexuel expriment des valeurs très sensiblement différentes parmi les États membres européens.

Cette extrême diversité ne permet pas de déceler la trace d’une « Europe chrétienne » homogène et si on veut trouver un ensemble de valeurs communes, il faut se tourner vers les valeurs exprimées par la Charte des droits fondamentaux et par la Convention européenne des Droits de l’Homme.

C’est la position exprimée par David Cameron. Le sens de son discours n’est pas de s’appuyer sur une Europe chrétienne mais bien de rappeler les principes de vie dans une société libérale : respect de la liberté de parole et d’opinion, respect de la liberté de culte, respect des lois, respect de l’égalité hommes-femmes.

Dès lors, on ne peut être que d’accord pour refuser par exemple de subventionner des associations prônant la guerre sainte, la lapidation des femmes ou ouvertement racistes. On s’étonne même que cela soit en débat ! Il ne s’agit pas de rejeter un hypothétique multiculturalisme, il s’agit simplement de considérer qu’inciter à la haine de l’autre ou proclamer l’inégalité raciale ou sexuelle ne peut être admis dans le cadre d’une société libérale. Plus encore, il n’a jamais été question de tolérer que des résidents européens ne respectent pas strictement l’État de droit en Europe. En d’autres termes, toute identité culturelle sur le sol européen s’inscrit dans le cadre des droits fondamentaux proclamés en Europe. Loin de conduire à une attitude de tolérance naïve ou molle, ces valeurs doivent être affirmées avec force.

Mais on ne peut être exigeant sur le respect des droits proclamés dans le cadre de la Charte que si l’on applique soi-même ces principes avec rigueur ! Et on ne peut s’empêcher de faire le lien avec la pénible affaire des Roms en France ou encore les récentes lois de contrôle des média adoptées par la Hongrie au début de sa présidence du Conseil de l’Union. Si l’Europe veut promouvoir une attitude de tolérance exigeante, elle doit d’abord être exigeante avec elle-même... l’ennemi n°1 de l’Europe, c’est sa faiblesse à condamner ses propres manquements.