En finir avec la prime de Noël de l’Etat Père Noël edit

17 janvier 2017

Depuis 1998 une « prime de Noël » est versée, entre décembre et janvier, aux allocataires de certains minima sociaux (principalement le RSA). Cette libéralité annuelle de plus de 500 millions d’euros devrait être supprimée à l’occasion des réflexions sur le rapprochement et la simplification des minima sociaux. On glose actuellement beaucoup sur un éventuel revenu universel. Il importe, d’abord, de faire le ménage dans tout ce qui entoure les minima sociaux. L’aide sociale souffre d’un déficit d’image auquel ce type de prime contribue, en renforçant l’idée d’un pouvoir abusivement discrétionnaire de l’Etat et en instituant de très contestables inégalités dans le traitement des défavorisés.

Il est souvent dit, dans les cercles libéraux, que l’État, parmi d’autres expressions, serait un État Père Noël. L’allusion ne relève pas uniquement de la métaphore. Depuis une vingtaine d’années, l’Etat verse une dite « prime de Noël ». Il s’agit d’une « aide exceptionnelle de fin d’année » versée automatiquement à certains bénéficiaires de minima sociaux (en 2016 : Revenu de solidarité active - RSA, Allocation de solidarité spécifique - ASS, Allocation équivalent retraite - AER, Allocation transitoire de solidarité - ATS). D’un montant, dans le cas du RSA, d’un peu plus de 150 euros pour une personne seule, de 230 euros pour un couple sans enfant pour une personne seule avec un enfant, elle fait l’objet, au cours de l’automne, d’un mini suspens qui affecte les couloirs des administrations sociales et fiscales. Chaque année, il y a rumeurs et faux suspens car il est peu vraisemblable qu’un gouvernement ne revienne unilatéralement sur une aide (qui n’est pas une prestation légale) reconduite, quasiment à l’identique (pour son montant), d'année en année. Il y a toutefois des interrogations sur le montant, le champ d’application (qui sera concerné ?) et la date de versement. Il y a ensuite annonce gouvernementale avec une rhétorique rituelle mêlant compassion et compréhension. Les uns soulignent le manque d’ambition, les autres signalent l’effort consenti.

Le paiement de la prime de Noël pour décembre 2016 a été officiellement annoncé le 13 décembre par la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine. En 2015, l'annonce officielle de la reconduction de la gratification de Noël avait été faite dès le 1er décembre par Manuel Valls. Ce retard par rapport à l'an dernier peut s'expliquer par le changement de Premier ministre.

Actuellement cette libéralité de Noël – un rien étrange, soit-dit en passant, dans une République qui aime se draper dans sa laïcité – représente plus d’un demi milliard d’euros, pour près de 2 millions d’allocataires (soit quelque 3 millions de personnes avec les conjoints et enfants).

Relevons qu’à côté de l’Etat Père Noël, certains conseils départementaux, dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et en Corse-du-Sud par exemple, ont pu s’ériger en petits papas Noël, en versant, en plus, leur propre prime de Noël, aux bénéficiaires du RSA. Il s’agit, alors, d’un supplément à la prime nationale, en argent comptant ou sous forme de bons de réduction (bons d'achat de 50 euros par enfant, en 2016, pour le département des Bouches-du-Rhône).

Née, avec d’autres dispositions plus structurelles, en réponse au mouvement des chômeurs de l’hiver 1997/1998, la prime (1 000 francs à l’origine, devenus donc 150 euros) s’inscrivait dans une perspective de refonte de l’indemnisation des chômeurs de longue durée. Demandée et décidée en tant que geste ponctuel, à la fois pragmatique et symbolique, elle est devenue pratique habituelle. Tous les ans des associations font monter la pression et le Ministre en charge du dossier, voire le Premier ministre, répond positivement aux revendications. La prime de Noël s’est institutionnalisée sans s’instituer véritablement sur le plan légal.

En termes imagés, mais correspondant à la réalité juridique, il s’agit d’un cadeau annuel de l’Etat qui, discrétionnairement, peut en établir le montant et le champ. Versée par les CAF, les caisses de MSA ou Pôle Emploi, cette gratification, décidée et organisée par décret, est financée par l’Etat. Celui-ci vient donc compléter une prestation qu’il a – au moins pour le RSA – décentralisé. Un temps il a pu être envisagé que cette prime soit laissée à la libre appréciation, et au financement, des départements. Mais l’Etat père Noël s’est alors fait sèchement rappelé à l’ordre par les départements providence.

Avec cette aide de l’Etat Père Noël les libéraux classiques doivent (comme pour toute dépense sociale) se retourner dans leur tombe ou dans leur lit (s’ils sont toujours en vie et intéressés par ce dossier assez technique). Mais au-delà des grands principes, il faut se demander, d’abord, pourquoi les critères de calcul de la prime de Noël ne sont pas les mêmes pour les allocataires du RSA et pour les allocataires des minima sociaux versés par Pôle Emploi (ASS, ATS, etc.). Il en va, naturellement, des barèmes de ces prestations et de leur degré de familialisation (prise en compte de la taille de la famille pour le calcul du montant de la prestation). Mais Noël est la fête familiale par excellence : on voit mal comment légitimer des traitements différents pour les enfants. C’est pourtant ce qui se passe : le montant de la prime de Noël est forfaitaire, pour le cas des allocataires de prestations versées par Pôle Emploi. Il n'est pas majoré en fonction du nombre de personnes qui composent le foyer, contrairement au cas des allocataires du RSA.

Bien plus étrange (au sens de préoccupant) : tous les allocataires de minima sociaux ne sont pas concernés. Ce n’est qu’à partir de 2009, dans le contexte de création du RSA, que la prime de Noël a été étendue aux bénéficiaires de l’Allocation aux Parents Isolés (API) fusionnée dans le RMI. Mais pourquoi les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou du minimum vieillesse sont-ils encore à l’écart de ce cadeau de l’Etat ? On pense peut-être que les colis que distribuent généralement les villes aux personnes âgées pour les fêtes de fin d’année suffisent. Sur un autre plan, mais toujours de justice, il faut rappeler que ne peuvent bénéficier de la prime que les bénéficiaires des allocations de solidarité qui ont perçu l'une d'elles au titre du mois de novembre - décembre pour les nouveaux entrants. Donc, pour ceux qui ne sont plus allocataires en octobre et le redeviennent en janvier, pas de Noël. Il faudrait, dès lors, peut-être envisager des primes de Pâques ou de vacances d’été.

L’ironie de côté, il y a, en réalité, quatre voies possibles pour l’avenir de la prime de Noël. La première – et la plus probable – est que chaque année voit sa reconduction, avec des paramètres évoluant marginalement. La deuxième – la moins probable – est celle de sa suppression nette au nom de principes ou de nécessaires économies budgétaires. La troisième – souhaitée par une partie du monde associatif – est sa transformation en une prestation légale, à l’instar de l’allocation de rentrée scolaire (ARS), prévue et organisée par les textes. La quatrième – qui pourrait sembler la plus juste – est d’incorporer cette prime dans le barème des minima sociaux concernés, c’est-à-dire d’intégrer cette prime dans le montant mensuel versé aux allocataires toute l’année. Cette option supprimerait le caractère discrétionnaire et rattaché à une date de la prime. Mais elle la rendrait invisible politiquement. C’est pour cela, hélas, que cette perspective est irréaliste. Le risque est aussi, après avoir intégré la prime, de voir naître une mobilisation pour en réclamer une nouvelle. Le sujet est pourtant pleinement un sujet de droits sociaux, à mieux organiser et structurer, et non de charité collective. Mais en France on continue vraiment à croire, semble-t-il, à l’Etat Père Noël. Petit État papa Noël, quand tu descendras du ciel, avec tes prestations déguisées, n’oublie pas certains RIB… On doit pouvoir faire mieux. Plus efficace, plus juste, plus compréhensible. On peut souhaiter que les agitations et cogitations actuelles autour du revenu universel et/ou de l’allocation sociale unique autorisent au moins une réforme de ce type.