Boris, les sachets de thé et la complexité du droit edit

11 mars 2016

Boris Johnson dans un plaidoyer en faveur du Brexit reprend le thème bien connu d'un excès de normes tatillonnes et stupides provenant de Bruxelles. L'argument n'est pas nouveau. Il fournit régulièrement de savoureux exemples, plus ou moins exacts, sur l'ingérence de la Commission dans la vie des pauvres citoyens européens. Boris Johnson choisit, lui, de dénoncer l'absurdité de réguler le recyclage des sachets de thé, la possibilité pour un enfant de huit ans de gonfler un ballon de baudruche ou les limites fixées à la puissance d'un aspirateur.

L'argumentation de Boris Johnson présente de façon remarquable un cas de schizophrénie juridique assez répandu. Parallèlement à cette charge convenue, il y aurait selon lui impossibilité pour le Royaume-Uni, du fait de son appartenance à l'Union européenne, de définir des normes de sécurité appropriées pour les vitres des cabines de camion permettant de protéger les cyclistes. Si on comprend bien l'argument, c'est plutôt l'absence de normes venant de Bruxelles qui est invoquée. Il y aurait donc à la fois trop de normes et pas assez. Mais on voit bien que si le cycliste Johnson veut des normes pour les camions, il est probable que le fabricant, lui, trouve que l'Union ou le Royaume-Uni n'ont pas à légiférer en la matière...

Cette situation illustre parfaitement le fait que personne ne souhaite un monde dans lequel les produits proposés à la vente ne sont pas sûrs ou ne respectent aucune norme sociale ou environnementale mais chacun souhaiterait aussi la plus large liberté pour produire ou agir. Les normes sont stupides si elles entravent ma liberté mais nécessaires si elles me protègent.

La prolifération des textes ne résulte pas de l’Union européenne mais bien de la tension entre les aspirations contradictoires d’une société complexe, dans l'exigence d'une sécurité toujours plus forte et dans le refus de tout aléa. Soulignons au passage que le fait qu'une partie de ces textes soit commune à l'ensemble des pays de l'Union européenne est plutôt un facteur de réduction de la complexité dans un monde ouvert. Il serait donc illusoire de penser que rapatrier au niveau national le pouvoir de définir toutes les normes applicables en réduirait le nombre et les rendraient plus simples.

La question est donc de savoir quel est le niveau approprié pour l'adoption de normes.

A cet égard, les juristes peuvent proposer des outils d’analyse. Il est tout d'abord essentiel de hiérarchiser les normes. Cela ne réduit pas le volume des textes mais permet d'y voir plus clair. C'est l'approche de la commission Badinter sur le code du travail. Dégager des principes permet d'identifier ce qui sera adaptable, ce qui fera l'objet de dérogations. C'est aussi ce qui permet d'identifier précisément l'autorité compétente pour chaque niveau. Il s'agit alors de choisir entre une élaboration du droit décentralisée et une approche plus harmonisée. Remarquons qu'aucun de ces modèles n'est en soi plus simple ou plus économe en normes juridiques : choisir de donner une priorité à la négociation collective plutôt qu'au développement du code du travail fera peut-être maigrir ce dernier mais ajoutera au cadre juridique applicable à l'entreprise des accords qui ne seront pas nécessairement moins complexes.

Une alternative pourrait être de renoncer à une précision tatillonne et de s'en tenir à des règles générales. Cela revient à considérer que le juge saura trouver le point d'équilibre entre des principes contradictoires et traiter les applications pratiques de ces principes. Ce n'est que très rarement l'approche juridique française qui se méfie du "vide juridique" - autrement dit de l'absence de texte - et qui répugne de confier au juge un pouvoir perçu comme arbitraire. Mais plus généralement, la tendance historique va à l'encontre d'une telle approche car la technicité se déporte alors vers la jurisprudence. Jusqu'à la réforme du droit des obligations de février, le code civil fixait des règles relativement simples au droit des contrats. Mais ces règles ne pouvaient être pleinement comprises sans référence à la jurisprudence de la Cour de cassation et la simplicité des textes n'était en définitive qu'illusoire.

La question n'est donc pas de savoir s'il faut des normes détaillées mais bien à quel niveau il faut les adopter. A cet égard, donner de la flexibilité localement a un coût et se fait au détriment de la facilité de circulation. On peut préférer en matière de droit du travail une meilleure adaptation aux conditions de fonctionnement de l'entreprise au prix de plus de négociation ou de complexité en cas de changement d'employeur. La situation est différente pour ce qui concerne la production de biens et services.

C'est ce qui explique le caractère dérisoire de l'accord obtenu par David Cameron : il avait annoncé qu'il s'agissait pour le Royaume-Uni de retrouver sa souveraineté mais il ne pouvait formuler aucune exigence concrète renforçant significativement la souveraineté de son pays tout en préservant le marché intérieur.

Pas plus que le Premier ministre, Boris Johnson n'est en mesure de proposer une alternative cohérente préservant à la fois une économie ouverte et le rapatriement du pouvoir normatif. Qui peut croire, qu'en dehors de quelques cas anecdotiques, le Royaume-Uni ne s'alignerait pas sur les normes décidées à Bruxelles afin de pouvoir exporter ses produits y compris pour ce qui concerne les sachets de thé, la puissance des aspirateurs, la conception des cabines de camion ou les ballons de baudruche ?