Plan auto : le pire des deux mondes edit

11 février 2009

On croit rêver. Nicolas Sarkozy vient de déclarer au FT Deutschland qu’il faut produire en France les voitures achetées par des Français, comme il est légitime de produire en Inde les voitures achetées par les consommateurs indiens. La rumeur enfle, Sarkozy conditionnerait ses aides financières au secteur automobile à des décisions de relocalisation en France d’usines implantées en Tchéquie ou en Slovaquie. Cette « évidence de bon sens » qui est un immense lapsus protectionniste a été approuvée par M. Bayrou qu’on croyait sincèrement attaché au marché intérieur et, en tous cas, plus européen. Se sentant menacés les dirigeants slovaques ont répondu du tac au tac qu’on renverrait Gaz de France en France au lieu de lui confier la gestion de la distribution gazière en Slovaquie. La démonstration a ainsi été faite en temps réel, le protectionnisme appelle le protectionnisme, c’est un jeu à somme négative. À caresser les opinions publiques dans le sens du poil, on obtient le pire des deux mondes, celui de l’inefficacité économique et du discrédit politique.

Revenons donc au plan automobile pour en évaluer la portée. Il comporte quatre volets : un dispositif de financement du crédit automobile à travers une aide aux captives de crédit des groupes Renault et Peugeot, un mécanisme de solidarisation des équipementiers et des ensembliers, un crédit public de 6 milliards d’euros aux deux groupes automobiles, une aide à la R&D industrielle pour favoriser l’avènement du véhicule électrique. En échange, le gouvernement obtient une garantie de gel de l’outil de production, un maintien des effectifs actuels et un engagement de localisation sur le territoire national des chaînes de production pour les nouveaux véhicules et les usines de batteries et d’équipement des nouveaux véhicules électriques. Le groupe de poids lourds Renault-Volvo a refusé cette aide conditionnelle.

En somme l’Etat prête de l’argent à des conditions favorables en échange d’engagements stratégiques et sociaux. Autant le dire d’emblée c’est de la mauvaise politique du crédit, de l’interventionnisme industriel à courte vue, et une brèche dans le marché intérieur.

On ne peut soutenir à la fois que les banques doivent faire leur métier qui est de prêter aux entreprises et aux ménages et justifier une quelconque conditionnalité stratégique ou sociale. Le système financier est cassé, l’aversion au risque est maximale, les banques cherchent à se désendetter, elles ont donc tendance à réduire leurs encours de nouveaux crédits. Les entreprises, notamment celles qui dépendent du crédit, pour vendre leurs produits, souffrent de cette attrition du crédit bancaire. L’Etat a décidé d’apporter sa garantie aux banques pour qu’elles se mettent à prêter, il a même commencé à les recapitaliser, cela n’a pas permis de relancer le financement des grandes entreprises. Les dirigeants de l’industrie automobile ont expliqué que l’accès au marché obligataire était fermé et qu’aux Etats-Unis la Fed et le Trésor apportaient les financements nécessaires aux groupes de Detroit et à leurs filiales de crédit automobile. L’Etat a donc décidé de se substituer aux banques défaillantes et aux marchés obligataires atones pour venir en aide aux groupes automobiles. L’Etat banquier est légitime pour négocier les meilleures conditions financières, imposer des taux plus élevés que les 6% négociés et même introduire des clauses de retour à meilleure fortune. Si la difficulté est provisoire, liée à des dysfonctionnements du marché, l’Etat peut négocier chèrement son concours momentané. Cela ne le qualifie pas pour décider de la politique sociale et encore moins pour peser sur les politiques de localisation d’activités, ou d’externalisation de fonctions. Imaginons en effet que la crise automobile soit sérieuse et qu’il faille en particulier éliminer des surcapacités de production, voire fermer des sites en sous-activité chronique; avec le plan actuel les firmes automobiles différeraient de telles décisions pour bénéficier d’une manne financière ardemment désirée. Le banquier par la conditionnalité du crédit qu’il accorde aggraverait donc la situation de l’entreprise aidée et compromettrait la viabilité à long terme de l’emploi dans le secteur.

Abandonnons à présent la perspective de l’Etat banquier pour adopter celle de l’Etat soucieux de la prospérité des citoyens, garant de l’intérêt général et de la paix civile. L’Etat peut souhaiter protéger les salariés des rigueurs d’une crise sévère, favoriser l’innovation dans le secteur automobile, et promouvoir le site France pour les localisations d’activités industrielles et de laboratoires de R&D. Doit-il user de sa politique du crédit pour atteindre de tels objectifs. ? La réponse est clairement non. Il peut aider à la reconversion de salariés, il peut mieux indemniser le chômage partiel, il ne doit pas privilégier le gel des effectifs dans les sites de production actuels. L’Etat Français, et l’Union Européenne, peuvent favoriser le basculement dans l’univers du véhicule électrique ou du moteur thermique à faibles émissions en CO2, il y faut des crédits recherche, des politiques d’achats publics innovants, des investissements en infrastructures. Mais on ne troque pas une aide à l’innovation contre un gel des sites. Enfin les pouvoirs publics nationaux et locaux peuvent vouloir favoriser le site de production France ou Bretagne. Les politiques publiques mobilisées dans ce ces relèvent de la politique foncière, fiscale de formation ou d’équipement du territoire. Lorsque Toyota a choisi un site dans le valenciennois contre une vingtaine d’autres sites européens, elle a clairement privilégié le site qui offrait le plus d’atouts.

En confondant logique financière et logique industrielle, en conditionnant un crédit par des engagements industriels et sociaux, l’Etat français ne rend service ni aux salariés qui n’ont rien à gagner à la perte de compétitivité de Renault et Peugeot, ni au site France qui n’est choisi que sous la contrainte. Pire encore, en offrant un crédit en dessous des conditions du marché et en obtenant en échange une localisation sur le territoire national l’Etat fournit la preuve que l’aide public distord la concurrence et porte un coup sérieux au marché unique.

On ne comprend que trop bien les motivations des pouvoirs publics quand ils défendent l’emploi national : comment justifier une aide publique à une entreprise qui demain peut faire fabriquer la prochaine Clio en Europe Centrale, au moment où l’activité industrielle s’effondre et où le chômage décolle sur le territoire national. L’hypocrisie d’un Gordon Brown qui vante à Davos la mondialisation et son ennemi le protectionnisme et qui ne trouve rien à redire à Londres à la défense des British jobs pour les British workers n’est pas à offrir en modèle. Mais si dans les temps de crise les politiques n’agissent pas en fonction des intérêts bien compris du pays et d’une Union Européenne que nous avons eu tant de mal à construire, quitte à apporter des aides aux salariés et des crédits aux entreprises pour passer ce mauvais cap, qui le fera ? Si on cède aux chimères de l’interventionnisme industriel sous couvert d’aide financière, qu’opposera-t-on demain à tous ceux qui demanderont un traitement spécial pour leur secteur et de proche en proche n’aura-t-on pas contribué à libérer la tentation protectionniste ?