Elections professionnelles dans les TPE: fragilité salariale, fragilité syndicale edit

16 février 2017

Les élections pour mesurer la représentativité des syndicats dans les très petites entreprises (TPE) se sont déroulées du 30 décembre au 13 janvier derniers. Leurs résultats, publiés très récemment, étaient attendus pour trois raisons, au moins. En juillet prochain, les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) seront mises en place. Instituées par par la loi Rebsamen (août 2015), elles constituent une nouvelle instance qui permettra une représentation des salariés des TPE qui n’en disposaient pas jusqu’alors, seules les entreprises d’au moins 11 salariés étant dotées d’une représentation des personnels. Ils précèdent de peu – fin mars 2017 – la publication des résultats globaux des élections relatives à la représentativité syndicale sur l’ensemble des entreprises françaises. Enfin avec près de 4,5 millions d’inscrits, les élections en TPE concernent une population importante.

Attendus, les résultats du scrutin dans les TPE l’étaient notamment quant à la participation électorale. Décevants, ils le sont surtout à la veille de la mise en place des CPRI. En 2012, lors du scrutin précédent, le nombre d’abstentions était extrêmement fort, près de 90% des inscrits. Il l’est encore plus aujourd’hui puisque seuls 7% des salariés concernés auront pris part au vote.

En outre, le scrutin se déroulait dans un contexte de concurrence syndicale devenu très critique voire pour certains insurmontable. Le mouvement du printemps 2016 qui s’opposait à la loi El Khomri a approfondi les clivages syndicaux existants selon une répartition des rôles bien connue. D’un côté, un pôle contestataire animé par la CGT, de l’autre un pôle réformateur avec pour pivot l’organisation dirigée par Laurent Berger. D’un côté, une CGT qui lors de son congrès de Marseille tenu en 2016 a affirmé la nécessité d’un syndicalisme de luttes face à un syndicalisme devenu selon elle trop institutionnalisé, trop porté  sur le compromis. De l’autre, une CFDT animée par un principe de réalisme économique face au chômage et qui veut donner une réelle importance à la négociation d’entreprise et aux régulations contractuelles face à la loi. Pour elle, le compromis n’est pas forcément compromission.

Au vu de la réalité de la situation des TPE souvent fragile et de celle de leurs salariés dont les salaires sont fréquemment bas et les conditions de travail parfois difficiles, il était évident que les clivages syndicaux auraient pu prendre l’allure d’un véritable choix entre deux grandes orientations - celle de la CGT et celle de la CFDT. Là aussi, les résultats sont décevants et ils le sont pour la CGT d’abord. Certes, la centrale de Montreuil reste la première organisation syndicale avec près de 25% des suffrages recueillis. Mais elle qui misait sur les élections des TPE pour combler son retard – supposé ou réel – sur la CFDT au niveau des élections nationales de représentativité, voit ses espoirs contrariés. Comparé à son dernier score lors des élections organisées en 2012, elle recule de 4,4 points soit un recul important et analogue à ceux qu’elle a récemment connu dans plusieurs de ses bastions traditionnels. Quant à la CFDT, elle ne bénéficie pas du recul cégétiste. En l’occurrence, l’idée de vases communicants n’est pas de mise. Elle perd, elle aussi,  près de 4 points passant de 19,2% à 15,5% des suffrages exprimés. Du côté de FO, on constate également un recul d’influence (de 15,2% en 2012 à 13% aujourd’hui). En fait, parmi les syndicats qui ont une implantation nationale seule l’UNSA opère une progression en nombre de voix – plus de 5 points, 12,4% des suffrages – mais cette progression doit être relativisée : un peu plus de 6500 voix, c’est très peu comparé au nombre de votants et plus encore à celui des inscrits.

Au total, ces élections constituent sur un échec pour les syndicats. A quoi l’attribuer ? Pour Louis Viannet qui dirigeait la CGT dans les années 1990, les PME et plus encore les TPE constituent depuis toujours un « désert syndical ». Mais justement, si il n’est jamais aisé de se syndiquer dans une petite entreprise, le vote qui pouvait être fait par correspondance ou par voie électronique, n’est-il pas un moyen de pallier ce genre de difficultés, d’exprimer un point de vue, de prendre part à une grande manifestation de la démocratie sociale ? N’est-il pas au fond, un droit qui peut être le plus commodément utilisé et dès lors pourquoi tant de salariés concernés ne le font pas ? Pour expliquer l’abstention, on pourrait aussi arguer du fait de la forte dispersion des listes en présence : 12 listes, de la CGT à la CNT anarchiste, auxquelles s’ajoutaient localement d’autres listes professionnelles ou régionales (comme le Syndicat des travailleurs corses – STC – également présent sur le continent). Pourtant et a priori, on aurait pu penser que la proximité par rapport aux électeurs constituait un élément favorable au vote du moins si l’on en croit les centrales les plus importantes qui estiment indispensable la recherche de toujours plus de proximité avec les salariés surtout dans une période où est souvent soulignée une crise profonde des institutions et de leur rapport à la société civile.

En fait, disons-le clairement. S’il existe de multiples éléments qui peuvent  expliquer l’abstention concernée, ils ne doivent pas dispenser les syndicats de se questionner sur eux-mêmes. Et sur les difficultés qu’ils ont pour être reconnus par des salariés dont beaucoup connaissent une situation souvent difficile comparée à celles d’autres salariés, ceux des grandes entreprises ou de la Fonction publique. A défaut d’un tel retour sur eux-mêmes, les syndicats risquent de se voir marqués par beaucoup d’indifférence voire par une certaine défiance que traduit à sa manière la défection électorale qui caractérise l’élection en cause ici. Et dès lors d’être encore plus déstabilisés plus qu’ils ne le sont déjà d’où ce paradoxe : comment des salariés fragilisés face aux évolutions du travail – montée de la précarité, révolution numérique, concurrence économique de plus en plus dure au stade national comme internationale – pourraient-ils s’appuyer sur des syndicats dont la fragilité s’accentue sans cesse ?