Multiculturalisme : les trois erreurs de Sarkozy edit

21 février 2011

En déclarant, lors de l’émission « Paroles de Français » le 10 février dernier : « le multiculturalisme est un échec », Nicolas Sarkozy a commis une triple erreur. Il a utilisé un terme étranger à l’oreille politique française et d’un usage particulièrement complexe. En procédant ainsi, il semble persister dans l’erreur tactique qui consiste à se placer sur le terrain de l’un de ses adversaires électoraux, ici Marine Le Pen, sans en tirer aucun bénéfice. Et, last but not least, le président de la République brouille un peu plus le message qu’il voudrait envoyer aux Français sur les questions identitaires puisqu’après avoir longtemps promu la diversité et la « laïcité positive », il constate l’échec d’une politique renvoyant aux principes qu’il a lui-même proclamés.

L’erreur présidentielle est d’abord lexicale. Le multiculturalisme est en effet un mot à la fois étranger au vocabulaire politique français et particulièrement difficile à manier. Le terme s’est surtout diffusé ces dernières années dans le monde académique. Il n’évoque rien de précis pour la plupart de nos concitoyens si ce n’est quelque chose de désagréable et de menaçant, à la manière d’un autre terme parfois présent dans le débat politique et intellectuel : le communautarisme. Le président de la République a d’ailleurs allégrement confondu les deux notions lors de son intervention télévisée lorsqu’il a dit : « Nous ne voulons pas (…) d’une société où les communautés coexistent les unes à côtés des autres. » Le multiculturalisme est également un mot difficile à appréhender puisqu’il renvoie simultanément à un constat de fait sur les sociétés contemporaines, à des débats théoriques très riches (notamment dans les pays anglo-saxons) et, avec des différences notables d’un pays à l’autre, à des politiques publiques de défense ou de valorisation de la diversité culturelle et identitaire – qu’elle s’appuie sur des critères ethno-raciaux, religieux, de « genre », d’orientation sexuelle, de pratiques linguistiques ou régionalistes, etc.

On comprend cependant assez bien comment l’idée est venue à Nicolas Sarkozy de lancer ainsi, à la volée, ce mot dans le débat français. Il a successivement entendu Angela Merkel proclamer, le 16 octobre 2010, que « le multi-kulti – nous vivons côte à côte et nous nous en réjouissons – avait totalement échoué » et David Cameron annoncer, le 5 février dernier : « il est temps de tourner la page des politiques du passé (celles du multiculturalisme) qui ont échoué », c’est-à-dire la fin des politiques d’ouverture et de tolérance voire de reconnaissance vis-à-vis des populations immigrées de religion musulmane. La clef d’un tel mouvement d’ensemble qui parcourt aujourd’hui toute l’Europe, par-delà les clivages politiques et les substantielles différences nationales, tenant aux progrès électoraux significatifs réalisés depuis quelques années par une forme nouvelle de populisme. Celui d’un Geert Wilders aux Pays-Bas par exemple dont le propos central est la mise en danger par l’islam des valeurs des sociétés occidentales : droits individuels et libertés fondamentales (notamment ceux des femmes et des homosexuels), sécularisation, pluralisme religieux et politique, etc.

C’est là qu’intervient la deuxième erreur, tactique cette fois, du président de la République. En proclamant ainsi l’échec du multiculturalisme, il tente d’enfoncer le clou qu’il avait déjà martelé lors de son fameux discours de Grenoble, le 30 juillet 2010 : « nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration. Nous sommes si fiers de notre système d’intégration. Peut-être faut-il se réveiller ? Pour voir ce qu’il a produit. Il a marché. Il ne marche plus. » Le niveau élevé d’intentions de vote pour Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle et, au-delà, l’adhésion croissante à ses propos dans les récentes enquêtes d’opinion ont conduit le chef de l’Etat à durcir encore le ton.

Or il n’est pas certain, pour dire le moins, que cela soit réellement efficace. Nos concitoyens, confrontés à la fois à l’approfondissement de la crise économique et sociale et à l’absence manifeste de résultats en matière de lutte contre l’insécurité, semblent, à rebours de 2007, peu enclins à faire à nouveau confiance à Nicolas Sarkozy. Jouer sur le même registre qu’il y a quatre ans avec l’ambition de conquérir une part significative du « vote Front national » est à la fois dangereux électoralement et surtout illusoire politiquement. Non seulement il s’agissait d’un fusil à un coup mais, surtout, Marine Le Pen a profité de son élection à la présidence du FN pour étoffer son offre politique. Elle propose désormais, à côté du programme anti-immigré et sécuritaire classique, à la fois un programme économique et social nettement plus à gauche que celui de son père, et une rhétorique anti-musulmans beaucoup plus sophistiquée qu’auparavant. Elle s’érige en effet désormais en protectrice aussi bien des juifs que des femmes et des homosexuels contre les menaces de l’islam ; le tout au nom de la laïcité !

En se lançant ainsi sur le terrain mal balisé de l’échec du multiculturalisme, le président de la République révèle également l’incohérence profonde de son « projet identitaire » pour la France. C’est sa troisième erreur. Comment en effet proclamer l’échec d’une politique que l’on n’a cessé par ailleurs d’appeler de ses vœux ? Qui a, en effet, depuis des années, comme ministre de l’intérieur puis à l’Élysée tenté de valoriser le communautarisme musulman, lancé des attaques contre le « modèle républicain » à coup de « laïcité positive » et d’insistance sur la religion comme morale supérieure ? Qui a assuré en toute occasion la promotion d’une « diversité » télégénique et purement élitiste comme panacée aux difficultés sociales et aux discriminations subies par les populations issues de l’immigration ? Qui a lancé régulièrement des « débats publics » sur l’identité nationale, l’histoire, la mémoire ou encore la place de l’islam dans la société française en les instrumentalisant aussitôt à des fins électorales ?

Tout ceci, à côté de la mise en place de politiques sécuritaires de plus en plus répressives visant en premier lieu ces mêmes populations, a contribué à profondément déstabiliser les fragiles équilibres sociaux et culturels de la société française sans résoudre le moindre problème effectivement posé par le « fait social » multiculturel. Si échec il y a en la matière, il est donc avant tout le résultat d’une politique de Gribouille dont l’inefficacité le dispute à l’injustice. Un fiasco qui s’étend désormais aussi à la politique étrangère de la France à l’occasion du mouvement révolutionnaire qui parcourt en ce moment des pays dont sont originaires nombre de Français issus de l’immigration récente. Comme si Nicolas Sarkozy voulait à toute force amoindrir encore ses propres capacités politiques et celles de son successeur éventuel en 2012 en rendant plus difficile toute action de l’État.