Pourquoi la Chine va aider l’Europe edit

1 novembre 2011

En pleine crise de la zone euro et à la veille du G20 de Cannes, est apparue l’ombre d’un chevalier blanc venu du fond de l’Eurasie : la Chine va-t-elle sauver l’euro et apporter son soutien aux priorités de l’Europe au G20 ?La réponse est paradoxale : oui, la Chine va presque certainement apporter une participation limitée au sauvetage de la zone euro et un minimum de soutien à l’Europe au G20. Mais cette décision complexe et discutée au sein du gouvernement chinois symbolise plus la vulnérabilité de la Chine que sa puissance. Et l’Europe ferait mieux de l’accueillir et de développer sa connivence avec la Chine sur des sujets-clés de gouvernance mondiale, plutôt que d’imaginer un nouveau péril.

Que peut-on attendre dans les faits ? Après avoir soufflé le chaud et le froid pendant deux mois, il est désormais clair que la Chine va investir dans le Fond européen de stabilité financière (FESF), une fois que le mécanisme sera mis en place. Le montant sera limité : entre 50 milliards et 100 milliards de dollars. En effet, bien que les réserves extérieures chinoises soient évaluées à 3200 milliards de dollars, la quasi-totalité est déjà investie dans des bons du Trésor américain à maturité de long-terme ou dans d’autres investissements de longue durée. La Chine ne peut pas facilement rendre ses réserves liquides pour une action immédiate. Par ailleurs, la majeure partie des réserves est détenue en dollars, et tout transfert significatif du dollar vers l’Euro aurait un impact fort à la hausse sur le cours de l’Euro.

L’on sait également que la Chine préfèrerait un investissement mixte, une partie allant dans le FESF et une partie allant vers des participations directes dans des banques ou entreprises européennes. Il faut voir là avant tout le comportement traditionnel d’un investisseur suivant une stratégie de portefeuille, même s’il est clair que la Chine aimerait aussi bénéficier de cette occasion pour ouvrir le champ de ses investissements directs en Europe. Pour ce qui est de la dette européenne, la Chine préfère fortement investir dans de la dette commune de la zone euro (via le FESF) et non dans de la dette nationale (d’un État donné) afin de réduire son risque de pertes financières. Enfin, la Chine préfère passer par un véhicule du FMI afin d’augmenter ses garanties, de rationnaliser le système d’aide aux pays en crise sur le plan global et d’augmenter sa voix au sein du FMI. Rappelons-nous au passage que lors de la crise asiatique de 1997, c’était les Américains et des Européens qui cherchaient à conserver leur avantage au FMI et à enrayer toute velléité asiatique de créer un Fond monétaire asiatique (FMA). Au tour de la Chine de jouer les bons élèves de la gouvernance mondiale !

Force est également de constater que la Chine a fait beaucoup de zigzags sur cette question d’aide à la zone Euro depuis deux mois. Depuis le début de la crise, l’Europe avait espéré voir la Chine voler à son secours. Mi-septembre, les marchés réagirent fortement aux contacts entre le CIC (China Investment Corporation) et le gouvernement Italien. Mais ces espoirs furent vite déçus. Le 14 septembre, au Davos asiatique de Dalian, le Premier ministre Wen Jiabao prononça un discours sec demandant à l’Europe de reconnaître d’abord le statut de la Chine comme économie de marché et de s’ouvrir aux investissements chinois avant de demander de l’aide à la Chine. Le 24 septembre, Gao Xiqing affirmait que la Chine ne pouvait pas sauver les pays européens, mais devait d’abord se sauver elle-même. Ce n’est qu’à la réunion des ministres des finances du G20 les 14-15 Octobre que la Chine a fait une proposition (conjointe avec le Brésil) d’investissement dans la zone euro. Ce chemin tortueux indique la présence de furieux débats internes à la Chine entre les différents ministères et même au sein de la banque centrale. Le gouvernement chinois doit manœuvrer entre un calcul stratégique et les fortes réticences de son opinion publique.

Pourquoi la Chine va-t-elle venir au secours de l’Euro ? Il s’agit avant tout des inquiétudes chinoises face aux risques économiques très graves en Europe. L’Europe est le premier partenaire commercial de la Chine ; la Chine ne peut que pâtir d’un effondrement de l’euro. Par ailleurs, la Chine souffre déjà de sa trop forte dépendance économique et stratégique envers les États-Unis et souhaite garder un équilibre entre Europe et États-Unis. Sur le plan du système monétaire international, Chinois et Européens ont une vision similaire, souhaitant un système pluraliste fondé sur trois devises dominantes : dollar, euro, et yuan. Pour maintenir la possibilité de ce pluralisme monétaire et éviter une totale dominance du dollar, les Chinois ont intérêt à sauver l’euro. À cela s’ajoutent bien sûr les considérations limitées d’avantages potentiels pour la Chine : ouverture aux investissements chinois en Europe, possibilité d’un soutien minimum de l’Europe à la Chine dans la forte confrontation sino-américaine sur le yuan, et espoir de créer une dynamique d’opinion positive en Europe. Il faut bien voir ici que la Chine souhaite agir avant tout pour contrer ses vulnérabilités et équilibrer ses risques et non par élan dominateur.

Mais les contraintes sur cette action chinoise sont également nombreuses. Avant tout, les gouvernants chinois craignent beaucoup d’investir à perte, tant du fait du risque de la dette européenne que du fait du risque sur le cours de l’euro à moyen terme. Après les fortes pertes encourues sur leurs investissements financiers aux États-Unis en 2008, les dirigeants économiques chinois sont prudents.

Deuxième contrainte, la relation avec les États-Unis demeure la priorité stratégique chinoise ; tout investissement chinois significatif dans la zone euro aura un effet collatéral négatif sur la dette américaine et irait contre les préférences américaines, lesquelles appellent à une pression maximum sur la zone euro pour forcer des réformes structurelles. Or la Chine considère les États-Unis non seulement comme un marché absolument essentiel, mais aussi comme la puissance qui contrôle encore le système économique mondial.

Autre contrainte forte, la transition du leadership chinois qui va être entièrement renouvelé à l’automne 2012, plaçant les neuf leaders actuels dans une position sans précédent de canards boiteux (lame ducks) et générant un immense processus de concurrence interne pour obtenir les meilleures places. Le régime est aussi particulièrement sensible aux réactions de l’opinion publique. Cette situation place les négociateurs chinois dans l’incertitude et limite leur autonomie.

En somme, la participation probable de la Chine au sauvetage de la zone Euro est un indicateur des vulnérabilités chinoises face à l’interdépendance internationale de l’économie. Loin de crier au loup, nous ferions mieux de saisir l’occasion pour développer les points de convergence d’intérêts entre Chine et Europe, notamment le travail très important au sein du G20 pour la réforme de la gouvernance mondiale. Au moins à moyen-terme, l’on découvrira d’étonnantes connivences sur des sujets tels que les régulations financières, la taxe Tobin, la volatilité des marchés agricoles ou le besoin d’institutionnaliser le G20.